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L'ÉCOLE DU DAO En manière de boutade, on pourrait dire que tou· Chinois est taoïste quand il n'est pas confucéen,...

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« L'ÉCOLE DU DAO En manière de boutade, on pourrait dire que tou· Chinois est taoïste quand il n'est pas confucéen, e1 confucéen quand il n'est pas taoïste, et que cela dépenc non seulement de l'opportunité ou de son humeur mais encore de 1' impossibilité où il est de n'être pas e· l'un et l'autre.

Il doit bien y avoir des exceptions - et égard à l'immensité chinoise cela doit faire pas mal dt monde quand même mais, qui baigne dans le mondt chinois en est de toute façon affecté, surtout si on veu bien considérer que confucéen, grosso modo, signifü humaniste, et taoïste, quelque chose comme méditati: ou mystique. A moins d'échapper ou de vouloir échapper à h condition humaine est-il possible de n'être pas à la foi! l'un et l'autre, les différences seraient-elles grandes 01 petites entre telle ou telle façon d'être ou de ne pas êtn humaniste, telle ou telle manière d'être ou de n'être pai mystique? L'homme n'est-il pas toujours plus et autn: chose que l'étiquette qu'on lui fait porter, plus et autre• ment que ce qu'il croit le définir ou chercher? Dao et Taoïsme Il nous faut encore une fois le répéter, et nous ne h répéterons jamais assez, les taoïstes, ceux que l'or range dans l'école du Dao (Daojia) ne sont pas le: seuls à user du concept de dao ou à placer cette« idée• force» au principe de leur vision du monde.

En fait, toutes les écoles philosophiques chinoises se réfèrent à cette conception clef, à ce maître-mot, car dao signi­ fie à la fois ce qui est au principe du«il y a» et du«il n'y a pas», comme aussi la«voie suivie» ou à suivre, en quelque sorte immanente au principe. Confucius, comme Mozi, comme Yang Zhu le «cynique» ou Hui Shi le «sophiste» explicitent et enseignent leur vision du dao surtout comme «voie à suivre».

Quant aux taoïstes, on ne s'éloignerait sans doute pas trop de la vérité - pour autant que c'est d'elle qu'il s'agit dans une pensée volontairement non systématique - en les caractérisant comme ceux qui ont pensé la voie comme non réductible en son essence à quelque morale ou discours vrai que ce soit. La Voie trace son cheminement mystérieux dans !'Efficace (De) même de son cheminement chan­ geant: elle«se suit» plus qu'elle n'est«à suivre». Autrement dit, les Maîtres du taoïsme, apercevant bien ce qu'avait de réducteur, mais surtout de volonta­ riste, le dao des confucéens, des moïstes, des sophistes, des cyniques, des légistes, ont pensé aller plus loin et plus juste dans l'appréhension du Dao.

Mais cela entraîne obscurité et mystère, sinon contradictions. Si les commentateurs chinois eux-mêmes sont loin d'être d'accord sur le sens à donner à tel ou tel pas­ sage, sur la façon de s'en smiir à propos de telle ou telle ambiguïté ou contradiction, réelle ou apparente, si les spécialistes en sinologie ne s'en sortent à leur manière, fût-elle savante et érudite, guère mieux, il va sans dire que nous autres, obscurs lecteurs de ces textes et de leurs commentateurs, sommes encore plus perplexes. Mais qu'à cela ne tienne, car c'est aussi cela le taoïsme: ni enseigner, ni être enseigné.

Qu'il s'agisse 344 / la philosophie chinoise de vivre ou de lire, l'important est de ne pas se laisser piéger aux réponses réductionnistes, mais dans la «spontanéité» même du vécu se trouver en « consonance» avec la spontanéité du Dao.

Rien de plus difficile et de plus mystérieux, à nous qui avons pris le pli de la «difficulté» culturelle et le parti de la «lumière», que cette spontanéité-là.

Mais c'est bien d'elle qu'il est question et qui est à l 'œuvre et dans l'art de vivre, comme dans ce qui n'est pas autre chose : la poésie, la calligraphie, la peinture, la musique et même aussi le gouvernement. Mais alors que pour l'homme confucéen le fin du fin est d'être «sincère», autrement dit authentiquement fidèle à son dao, pour l'homme taoïste le fin du fin est d'être «spontané», autrement dit identique au Dao. Ziran, la spontanéité, voilà bien le maître-mot du taoïsme qui montre à tout le moins, à quiconque s 'arrête un instant de gigoter, à quel point cela est d'un autre ordre que l'habituel train-train des lois, des codes, des coutumes qui se suffisent du « faites cela», tandis que l'injonction même : « soyez spontanés» est une contradiction dans les termes, le possible parfait que l'injonction même rend impossible. Or, qui n'est pas spontané, qui est-il? Mais attention aussi, est-il spontané celui qui serait esclave de ses passions? Il suffit, le lecteur n'a jamais besoin qu'on lui rabâche. Les traductions De ce qui précède, le lecteur attentif aura déjà conclu au moins une chose : méfiance.

Au vrai une « méfiance sans méfiance», une méfiance supérieure. t F f Les six écoles philosophiques antiques / 345 Savoir que ce qu'il va lire comme traduction lui donnera sans doute à penser, à intuitionner - c'est à espérermais nullement à savoir, à être sûr de comprendre pour de bon, et cela pour, entre autres, une bonne raison: que dit vraiment le texte (et le contexte).

Il existe, je crois, une collection dont le chapeau est: ce qu'a vraiment dit Marx, Mélanie Klein, Freud...

Une traduction des textes taoïstes devrait presque obligatoirement porter en chapeau : ce que ne dit pas vraiment (Laozi, Zhuangzi, Liezi). Non seulement à texte obscur, traduction obscure, ce qui va de soi si le traducteur est intellectuellement honnête et d'aucune chapelle, fût-ce une très grande et très à la mode, mais encore à texte clair, traduction diverses. Or, comme les textes des Maîtres taoïstes, sans parler des erreurs de copistes, des interpolations 1, des ajouts, des chamboulements et des pe1tes, des versions différentes, ne sont pas - et nous dirions presque par principe et par style (aphoristique, elliptique, laconique) - ce qu'on pourrait appeler clairs et limpides, «cartésiens» si on veut, toute traduction de ceux-ci est une lecture possible, non exclusive d'une autre, et finalement incapable de supprimer, le cas échéant, ambiguïtés et contradictions. Certaines traductions sont plus poétiques que d'autres, mais la poésie n'a certes pas pour fonction d'être lumineuse et de lever ambiguïtés et contradictions, d'autres sont plus philologiquement et historiquement travaillées, aucune ne peut être et n'est définitive. 1.

Interpoler : introduire dans un texte par erreur ou par fraude (des mots ou des phrases n'appartenant pas à l'original) (Le petit Robert). Et c'est tant mieux sans doute car la fonction de ces textes -·si tant est qu'au paradoxe «penser sans dis­ cours» devrait s'articuler un «enseigner sans ensei­ gnement» - n'est pas d'être au service d'une clarté ou d'une rigueur discursive mais en quelque sorte de donner à penser (à vivre) selon une spontanéité mysté­ rieuse et obscure accordée à un Dao non moins mysté� rieux et obscur. Donnons quand même au lecteur un exemple «facile» avec lequel il faudra bien qu'il se débrouille. Faisons appel à sa méfiance supérieure qu'alimente pourtant une confiance mystérieuse. A la limite d'ailleurs toutes les portes sont bonnes pour entrer en taoïsme. Transc rit en pinyin, le texte c i-dessous est extrait d'un des frois livres du canon taoïste 1• TIAN ciel Dl terre ZHI de DAO dao FEI pas YIN yin ZI YANG alors yang SHEN sage REN homme ZHI de JIAO doctrine FEI pas REN bienveillance ZI YI alors justice Voici la traduction du Père Wieger qui assez sou­ vent, quoique sinologue- averti et érudit, par esprit «missionnaire» (christiano..: et européocentriste ), gau­ chit ou alourdit le texte. l'action du ciel et de la terre consiste dans l'alter­ nance du yinn (sic) et du yang, l 'injluence du sage consiste à inculquer la bonté et l'équité. les Pères du système taoïste, Cathasia, Paris, 1950, p.

71 Voici celle de B.

Grynpas, plus «juste». 1.

Le Laozi, le Zhuangzi, le Liezi. Aussi le tao du ciel et de la terre est ou yin (ténèbres) ou yang (lumière).

La doctrine du Saint (a pour base) ou l'humanité, ou la justice. in Philosophes taoïstes, La Pléiade, p.

366 Quant à Etiemble dans le même volume de la Pléiade, il traduit : Le Tao du ciel et de la terre, s'il n'est yin, alors il est yang; la doctrine du sage (ou du saint, selon d'autres), si elle n'est jen (générosité) alors elle est yi Oustice). p.

LXXVI Au lecteur de choisir, ou d'éclairer l'une par l'autre, ou, pourquoi pas, d'en faire une à son goût. J'hésite peu à lui soumettre la mienne en dernier : La Voie du ciel-terre quand elle n'est pas selon le yin, c'est qu'elle est selon le yang; l'enseignement du sage quand il n'est pas selon la bienveillance, c'est qu'il est selon la justice. Quoiqu'on ne puisse pas dire que les taoïstes soient les défenseurs de la morale confucéenne et donc de la bienveillance (ren) et de l'équité (yi), il n'empêche que dans ce texte-ci Liezi fait usage de ces deux mots clefs du confucianisme pour les faire correspondre aux concepts de yin et de yang, voulant sans doute dire par là que pas plus que le ciel-terre (l'univers) n'échappe à la structure duelle du dao : ou yin, ou yang, le sage n'échappe à son dao (voie) d'enseigner. Et qui dit enseigner dit immanquablement soit la bien­ veillance, soit la justice.

Non pas qu'il ne dise autre chose quand il parle «mystérieusement» du Dao-Un, Dao en quelque sorte «indifférent» au yin-yang et encore plus à la bienveillance-équité, Dao qui parce que Un est nécessairement indifférencié. Que ce Dao e n tant qu'absolu soit le«Néant» et non pas l'Etre qui ne peut en procéder que nécessaire­ ment différencié (de Un procède Deux, et de Deux les «dix mille êtres»), cela est le fondement premier de l'«ontologie» taoïste.

Même si, d'un point de vue for­ mel, dans l'Absolu, «Etre» et «Néant» sont comme l'avers et l'envers du même«Tout». Mais ce Néant, me semble-t-il, doit surtout être compris comme le vide plus plein de vide que ne sera jamais plein d'être l'être le plus plein d'être. En d'autres mots, c'est parce que le vide englobe et englobera toujours le plein, le silence la parole, le néant l'être, l'indifférencié le différencié, le négatif le positif, ad nauseam, que tout se passe sur fond de néant et non sur fond d'être. C'est pourquoi si en tant que fondement premier le Dao est nécessairement mystérieux, innommable, obs­ cur et absolu, dès qu'il s'agit des dao comme«natures naturées», autrement dit comme voies singulières ou spécifiques, ceux-ci, ces dao, sont nommables, connais­ sables, évidents même, mais - et là est le point relatifs.. C'est dire autrement que le taoïsme, dès qu'il s'agira de politique, de vie sociale, de connaissances utiles, etc., ne sera pas au fond tellement différent des autres doctrines philosophiques chinoises qu'il criti­ quera surtout et à fond pour leur prétention à l'absolu, leur dogmatisme, leur irréalisme, en d'autres termes leurs excès, leur excessive confiance en elles-mêmes. Au fond ce que le taoïsme reproche, et parfois très durement ou caricaturalement, aux autres doctrines, c'est de ne pas même se rendre compte où gît le véri­ table absolu, et partant d'absolutiser faussement, inuti­ lement et même contre-naturellement, qui la morale, ce sont les confucéens, qui la loi, ce sont les légistes, qui la parole, ce sont les nominalistes, qui le Ciel, ce sont les moïstes. A la limite donc, et moins paradoxalement qu'il ne paraît à première vue, les taoïstes sont plus proches d'une vision possiblement scientifique parce que l'absolu est·«placé» tellement hors de quelque champ d'application que ce soit pour n'être plus que «pensable» que d'une vision mystique-pure. Néanmoins pour tout quiconque fait retraite, ce ver­ sant«pensable>> deviendra très vite purement médita­ tif ou mystique.

Nous y reviendrons. Le Dao du taoïsme Avant d'aborder la vie, pour ce qu'on en sait, des trois maîtres du taoïsme, et leurs écrits, il nous faut dans ce paragraphe, insister encore une fois sur ce qui fait la spécificité du taoïsme en tant que tel et qui est donc bien évidemment une «réflexion» sur le Dao. Surtout, parce que même si le Dao en tant que«voie» ne joue pas toujours ni nécessairement un autre rôle dans le taoïsme que dans les autres écoles philoso­ phiques chinoises, il n'empêche qu'à scruter sa nature les maîtres du taoïsme, et singulièrement Laozi, ont poussé _très loin ce qu'on pouvait et ne pouvait pas en dire, en penser. Il s'agît-là d'un sujet ardu et combien rebelle à toute pensée discursive au sens strict, car la démarche taoïste relève plus du saut intuitif, énigmatique et mystérieux que du pas à pas systématique, assuré et construit. Nous l'avons déjà vu, le terme dao appartient au vocabulaire commun de toutes les philosophies chi­ noises et il s'agit-là en quelque sorte d'un «mot­ valise» dans lequel on pourrait faire entrer tout ce qui signifie voie, ordre, principe d'ordre, principe de conduite ...

De ces différents dao «mondains» : céleste, terrestre et humain, tous les sages ont parlé peu ou prou, et les lettrés ou confucéens tout autant, même si c'est surtout du dao de l'Homme, en tant qu'intermé­ diaire «religieux» entre Ciel et Terre, qu'ils ont fait le plus de cas, ne traitant du dao céleste que par le biais «emblématique», symbolique, du Livre des Mutations· (Yijing) ou même s'abstenant d'en parler soit par agnosticisme (on n'en peut rien savoir), soit par scru­ pule religieux proprement dit (il y a quelque impiété à en parler, les rites religieux suffisent en eux-mêmes). Souvent chez les taoïstes eux-mêmes, le terme de dao apparaît avec ses connotations habituelles de voie, loi naturelle (le dao du ciel), idéal de conduite (le dao de !'homme), etc. Mais, et c'est là la nouveauté et la spécificité de leur approche du dao, pour eux celui-ci n'est pas seu­ lement ce que nous venons d'en dire, mais encore bien plus et autre chose : l'absolu même, la «réalité» qui est à l'origine du monde.

Mais ce Dao-là qui nomme cet absolu nomme en fait de l'innommable.

A défaut de ce nom inconnu, un «attribut» peut être proposé : Immense (da). Comme le traduit M.

Kaltenmark, mais, rnppelons­ le une dernière fois, ce n'est qu'une des traductions possibles: Il est un être indifférencié et parfait, né avant le Ciel et la Terre...

Nous pouvons le considérer comme la Mère de ce monde, mais j'ignore son nom; je l'ap- pellerai Tao et s'il faut lui donner un nom ce sera : l'immense. Ch.

XXV du.Daode Jing Cet «Immense-là», ce Dao-là est seul dit perma­ nent, constant, sans extérieur, «vide», nécessairement obscur, et se distingue des tas d'autres«dao» (natures) qui ont des qualités déterminées et sont localisables, qui sont efficients et dont il est possible de parler. C'est pourquoi, comme le dit M.

Kaltenmark, « le Saint, contemplant d'une part sa I vacuité obs­ cure et considérant d'autre part l'efficacité de sa démarche universelle, lui donne, à défaut de mieux, l'appellation de Tao, et c'est ainsi qu'il peut néan­ moins en discourir.

C'est pourquoi il est écrit: Un tao dont on peut parler n'est pas le Tao permanent.» M.

Kaltenmark, Lao Tseu et le taoïsme, p.

41, Le Seuil, 1965 Reste que la question n'est ni claire, ni vidée pour autant.

En effet, d'autres traductions sont possibles, et il y en a 2.

Et par ailleurs, faut-il compter jusqu'à deux comme si le Grand Dao «pennanent», mystérieux, innommé et innommable, mais toutefois«prénommé», était distinct en nature du dao «prénommé», ou peut­ on toujours compter Un: le Grand Dao n'étant que l'innomination obscure du Dao immanent tel qu'il est prénommable et apparemment moins obscur? 1.

«sa» renvoie ici au Dao («être permanent»). 2.

Notamment la traduction de J.-J.-L.

Duyvendak.

Dans cette traduction nouvelle et «révolutionnaire» du Daode Jing, l'auteur opère une sorte de renversement copernicien de la notion de Dao. Le Dao traditionnellement reçu comme !'Innommé permanent par rapport à toutes les nominations et.... »

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