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L'éducation, moyen et enjeu des Lumières Une fois posé l'idéal des Lumières et définie sa quête de la vérité sous...

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« L'éducation, moyen et enjeu des Lumières Une fois posé l'idéal des Lumières et définie sa quête de la vérité sous l'éclairage de la raison, on comprend mieux pourquoi l'éducation est un des thèmes les plus fréquemment abordés par les auteurs du siècle.

Le meilleur moyen d'amener l'homme aux lumières de la raison est en effet de l'y préparer dans sa jeunesse : telle semble être par exemple l'ambition de Kant dans son traité de pédagogie.

L'Humanisme, en son temps, avait déjà prêté la plus grande attention à la question de l'en­ seignement et de l'éducation, âu travers des Essais de Montaigne, de l'apprentissage du Gargan.tua de Rabelais ou de L'Éducation des enfants du hollandais Érasme.

Cela ne fait que souligner les parentés des Lumières et de !'Humanisme: ces deux mouvements s'opposent à l'ob­ scurantisme prétendu des âges qui les ont précédés, et tous deux cherchent à éclairer le monde dans sa recherche de la vérité.

Reste que l'éducation des Lumières est plus nuancée : certains, comme Rousseau, soulignent la 'nécessité de «laiss[er] mûrir l'enfance dans les enfants» et de ne pas éduquer ces derniers selon les seuls principes de la raison et de la vérité, du moins pas dans leur plus jeune âge.

Enfin, un autre enjeu du siècle est l'éducation des femmes, question sur laquelle Fénelon et Condorcet, de part et d'autre du siècle, semblent s'opposer. 1.

Pour une éducation par la raison Kant, Pédagogie,« Le projet moral de l'éducation», 1776-1777. Kant avait particulièrement bien compris l'enjeu que l'édu­ cation revêtait dans le projet des Lumières 1• Lecteur attentif de Rousseau et de son Émile (traduit et publié dès 1762 en Allemagne), Kant pensait, à l'encontre du philosophe français, que l'éducation a pour première tâche de soumettre l'homme à la raison et à la réflexion : à la différence de l'animal, l'homme ne peut agir par son seul instinct, et ses actions doivent être, dès lors, motivées par une cause rationnelle.

Cela nécessite un long apprentissage, et ce dès le plus jeune âge : laissé trop long­ temps à sa seule liberté, l'enfant ne pourrait plus, par la suite, adopter une démarche réfléchie.

L'apprentissage des Lumières, pour Kant, apparaît donc comme une éducation à la raison. L'état sauvage est l'indépendance envers les lois. La discipline soumet l'homme aux lois de l'humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure.

C'est ainsi par exemple que l'on envoie tout d'abord les enfants s à l'école non dans l'intention qu'ils y apprennent quelque chose, mais afin qu'ils s'habituent à demeu­ rer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu'on leur ordonne, en sorte que par la suite ils puissent ne pas mettre réellement et· sur-le-champ 10 leurs idées à exécution. Cependant l'homme, par nature, a un si grand penchant pour la liberté, que, s'il commence par s'ha1.

Mieux encore, dans la célèbre définition de Qy, 'est-ce que les Lumières? (voir p.

32), Kant définit celles-ci comme une éduca­ tion de l'homme. bituer à elle quelque temps, il lui sacrifie tout.

C'est pourquoi, comme on l'a dit, il faut avoir très tôt recours à la discipline, car s'il n'en est pas ainsi, il est par la suite très difficile de transformer l'homme.

Il suivra alors tous ses caprices.

En considérant les nations non civilisées on voit bien, si longtemps 20 qu'elles restent au service des Européens, qu'elles ne peuvent s'habituer à leur manière de vivre 1.

Ce n'est point chez elles, comme Rousseau et d'autres le veu­ lent 2, un noble penchant à la liberté; ce n'est qu'une certaine rudesse, puisqu'ici, d'une certaine manière, 2s l'animal n'a pas encore développé en soi l'humanité. Aussi bien l'homme doit-il de bonne heure être habi­ tué à se soumettre aux prescriptions de la raison.

Si en sa jeunesse on laisse l'homme n'en faire qu'à sa volonté et que rien ne lui est opposé, il conserve 30 durant sa vie entière une certaine sauvagerie.

Et il ne sert en rien à certains d'être en leur jeunesse protégés par une excessive tendresse maternelle, car plus tard ils n'en rencontreront que plus de résistances et ils subiront des échecs dès qu'ils s'engageront dans les 35 affaires du monde.

C'est une faute habituelle dans l'éducation des grands que de ne jamais leur opposer dans leur jeunesse une véritable résistance, parce qu'ils sont destinés à régner.

Chez l'homme, en raison de son penchant pour la liberté, il est nécessaire de 15 1.

C'est-à-dire à la manière de vivre des Européens.

Voir, à ce sujet, les discussions de A et de B dans le Supp!,ément au Voyage de Bougainville de Diderot : dans le premier chapitre, B rappelle qu'Aotourou, le Tahitien ramené en France par Bougainville, «ne cessait de soupirer après son pays», entre autres choses parce qu'il ne parvenait pas à s'exprimer en français. 2.

On retrouve ici, sous-:jacente, la querelle sur le mythe du Bon Sauvage, caractéristique des Lumières (voir l'encadré p.

78). polir sa rudesse; en revanche chez l'animal cela n'est pas nécessaire en raison de l'instinct. 40 Trad.

A.

Philonenko, ©Vrin, 1974. 2.

Pour une éducation par la nature Rousseau, Émile ou De l'éducation, Il, 1762. L'Émile de Rousseau (1712-1778), long traité d'éducation, provoqua un vif débat parmi les Philosophes européens du siècle: c'est ainsi pour répondre à son point de vue que Kant écrit ses articles sur l'éducation.

Rousseau prend en effet le contre-pied de ses contemporains en ne nourrissant pas la foi dans le progrès; méfiant envers la civilisation et ses «Lumières», il ne pouvait, au contraire, que faire confiance à la nature et prôner une éducation de l'individu conforme à celle­ ci.

t:Émile a donc pour but de protéger l'enfant de la civilisation et veut laisser à sa nature la possibilité de s'épanouir librement. Oserais:ie exposer ici la plus grande, la plus impor­ tante, la plus utile règle de toute l'éducation? ce n'est pas de gagner du temps, c'est d'en perdre.

Lecteurs vulgaires\ pardonnez-moi mes paradoxes 2 : il en faut faire quand on réfléchit; et, quoi que vous puissiez dire, j'aime mieux être homme à paradoxes qu'l}-qmme � préjugés.

Le plus dangereux intervalle de la vie humaine est celui de la naissance à l'âge de douze ans. C'est le temps où germent les erreurs et les vices 3, sans qu'on ait encore aucun instrument pour les détruire; et quand l'instrument vient, les racines sont si profondes, I.

Vulgaires: ici au sens de communs, majoritaires.

Ce sens est à mettre en rapport avec le mot paradoxes. 2.

Paradoxes: étymologiquement, opinions qui vont à l'encontre des opinions communément admises. 3.

Vices: le mot désigne, dans cet emploi, les graves défauts moraux. 5 10 qu'il n'est plus temps de les arracher.

Si les enfants sau­ taient tout d'un coup de la mamelle à l'âge de raison, l'éducation qu'on leur donne pourrait leur convenir; 15 mais, selon le progrès naturel, il leur en faut une toute contraire.

Il faudrait qu'ils ne fissent rien de leur âme jusqu'à ce qu'elle eût toutes ses facultés; car il est impossible qu'elle aperçoive le flambeau que vous lui présentez tandis qu'elle est aveugle, et qu'elle suive, • dans l'immense plaine des idées, une route que la rai­ 20 son trace encore si légèrement pour les meilleurs yeux. La première éducation doit donc être purement négative 1• Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l'esprit 25 de l'erreur.

Si vous pouviez ne rien faire et ne rien lais­ ser faire; si vous pouviez amener votre élève sain et robuste à l'âge de douze ans, sans qu'il sût distinguer sa main droite de sa main gauche, dès vos premières leçons les yeux de son entendement s'ouvriraient à la 30 raison; sans préjugés, sans habitudes, il n'aurait rien en lui qui pût contrarier l'effet de vos soins.

Bientôt il deviendrait entre vos mains le plus sage des hommes; et en commençant par ne rien faire, vous auriez fait un prodige d'éducation. 35 Prenez bien le contre-pied de l'usage, et vous ferez presque toujours bien.

Comme on ne veut pas faire d'un enfant un enfant, mais un docteur, les pères et les maîtres n'ont jamais assez tôt tancé 2, corrigé, répriL «J'appelle éducation positive celle qui tend à former l'esprit avant l'âge et à donner à l'enfant les devoirs de l'homme. J'appelle éducation négative celle qui tend à perfectionner les organes, instruments de nos connaissances, avant de nous don­ ner ces connaissances et qui prépare à la raison par l'exercice des sens.» Rousseau, Lett:re à Christ!JjJhe de Beaumont (1763). 2.

Tancé: réprimandé. mandé, flatté, menacé, promis, instruit, parlé raison. Faites mieux : soyez raisonnable, et ne raisonnez point avec votre élève, surtout pour lui faire approuver ce qui lui déplaît; car amener ainsi toujours la raison dans les choses désagréables, ce n'est que la lui rendre ennuyeuse, et la décréditer 1 de bonne heure dans un esprit qui n'est pas encore en état de l'entendre. Exercez son corps, ses organes, ses sens, ses forces, mais tenez son âme oisive aussi longtemps qu'il se pourra.

Redoutez tous les sentiments antérieurs au jugement qui les apprécie.

Retenez, arrêtez les impres­ sions étrangères : et, pour empêcqer 1� mal de naître, ne vous pressez point de faire le bien; car il n'est jamais tel que quand la raison l'éclaire.

Regardez tous les délais comme des avantages : c'est gagner beau­ coup que d'avancer vers le terme sans rien perdre; laissez mûrir I'enfan�e dans les enfants. 3.

Les Lumières et l'éducation des femmes Les Lumières ont porté une grande attention aux femmes, et à la question de leur éducation.

De nombreux auteurs s'y sont intéressés, parmi lesquels Choderlos .de Laclos (17411803) qui écrivit un discours.au sujet Des femmes et de leur éducation (1783), versant théorique d'une volonté de revalori­ ser la position de la femme dans la société qui trouve, d'une manière très ambiguë, sa justification pratique dans son roman épistolaire, Les Uaisons dangereuses 2• Les opinions semblent �voir évolué du début à la fin du siècle, si l'on en croit l'oppo- I.

Décréditer: variante sortie d'usage de «discréditer». 2.

Voir à ce sujet la lettre autobiographique de Mme de Merteuil (p.

61) qui fournit un discours ambigu , mais novateur, sur l'éducation des femmes et les contraintes qu'elles subissent. 40 45 50 55 sition qui apparaît entre le texte de Fénelon et celui de Condorcet.

Gardons-nous cependant de tirer des conclusions trop manichéennes à partir de ces seuls extraits : tout n'est pas aussi tranché dans l'histoire de la condition féminine au siècle des Lumières, et ce dernier est encore loin de consti.,, 1 tuer un âge' d'or du féminisme.

Ains{ Condorcet et la Révolution considèrent toujours la femme dans son rôle domestique, sans envisager qu'elle pourrait en jouer un autre. Fénelon, Traité de l'éducation des filles, 1, 1687. Fénelon (1651-1715) appartient pleinement au siècle de Louis XIV (qui mourut, lui aussi, en 1715), mais certains phi­ losophes du xvm• siècle ne cachèrent pas l'�dmiration qu'ils avaient pour lui, jusqu'à en faire un précurseur des Lumières. La pédagogie fut au centre.... »

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