Les autres personnages La conception du personnage est liée au genre littérantt; or le conte philosophique (➔ PROBLÉMATIQUE 5, p....
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«
Les autres personnages
La conception du personnage est liée au genre littérantt; or le
conte philosophique (➔ PROBLÉMATIQUE 5, p.
61) est une forme
brève, orientée vers la satire et la démonstration.
Voltaire ne campe
donc pas des personnages au portrait physique et moral détaillé
comme le feront les romanciers du XIX" siècle.
Les personnages de
J.:lngénu ne sont cependant pas de simples ébauches.
Deux raisons s'opposent à une excessive stylisation.
Le ton devient plus
romanesque dans la seconde moitié du conte, à partir des inter
ventions de M0• de Saint-Yves, et tous les personnages importants
évoluent au fil du livre, ce qui enrichit l'analyse psychologique.
On peut distinguer, aux côtés du héros, les autres personnages
principaux dont le portrait est plus fouillé (M"• de Saint-Yves et
Gordon), les caractères secondaires 0e prieur et sa sœur) et les
figurants 0e bailli et son fils, l'abbé de Saint-Yves, M.
de Saint
Pouange et l'amie de Versailles).
!.:Ingénu représente l'irruption d'un élément étranger au sein
d'une communauté caractérisée par des valeurs et des règles
définies.
Les membres du groupe réagissent par le rejet 0e bailli et
l'abbé de Saint-Yves), la violence (à Versailles) ou par une évolu
tion plus ou moins profonde (Gordon, M8• de Saint-Yves et les
Kerkabon) selon leur degré de sagesse.
Les portraits sont dyna
miques, comme il convient à un conte d'apprentissage, évoquant
les expériences formatrices d'un jeune héros.
LES PERSONNAGES
PROCHES DE L'INGÉNU
1M
11 e
de Saint-Yves
Les contes de Voltaire offrent peu d'exemples de portraits d'héroïnes aussi riches et détaillés que celui de M11• de Saint-Yves.
On
ne peut lui comparer Cunégonde, la fiancée de Candide, sorte
d'utilité romanesque assez ridiculisée par Voltaire.
M1• de Saint-
Yves dispute à l'ingénu la fonction de héros par son action décisive et sa mort qui clôt le roman.
Comme l'ingénu, elle évolue et
gagne en grandeur ce qu'elle perd en bonheur.
Une aimable provinciale
Dans les premiers chapitres, elle se distingue peu de M11•, de
Kerkabon.
Elle possède les attributs traditionnels de l'héroïne :
«
[Elle est] fort jolie et très bien élevée » (chap.
1).
Voltaire note avec
malice son rapide éveil à la sensualité et à l'amour : elle éprouve
une jalousie rétrospective envers la malheureuse Abacaba; elle
demande comment on fait sa cour en Huronie et admire le corps
du jeune homme.
Elle est fière de l'influence qu'elle exerce sur lui.
Les événements révèlent son véritable caractère.
Elle allie la
pudeur à la sensualité.
Elle ne joue pas les coquettes avec le
Huron, mais consciente de son honneur et des règles sociales, elle
respecte les bienséances : « [ •••] elle était bien élevée et fort
modeste, elle n'osait convenir tout à fait avec elle-même de ses
tendres sentiments; mais, s'il lui échappait un regard, un mot, un
geste, une pensée, elle enveloppait tout cela d'un voile de pudeur
infiniment aimable.
Elle était tendre, vive et sage
»
(chap.
V).
La découverte de l'arbitraire et de l'injustice (quand elle est
enfermée au couvent) la transforme : la jeune première devient une
héroïne.
«
L'affront d'avoir été mise dans un couvent augmentait
sa passion; l'ordre d'épouser le fils du bailli y mettait le comble»
(chap.
XIII).
Elle devient capable de feindre pour sauver son
amour : « elle accueille le détestable beau-père, caresse son frère,
54
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
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répand l'allégresse dans la maison » (chap.
XIII).
Lors de sa fuite,
elle déjoue intelligemment les ruses de ses poursuivants.
Une héroïne tragique
M.
de Saint-Pouange lui confère une dimension tragique.
La vertu
et l'honneur de Mlle de Saint-Yves se révoltent devant l'ignoble marché qui lui est proposé:« La Saint-Yves pleurait, elle était suffoquée, à demi renversée sur un sofa, croyant à peine ce qu'elle
voyait, ce qu'elle entendait » (chap.
Xv).
Sa grandeur d'âme lui fait
envisager un instant le suicide mais l'esprit de sacrifice l'emporte
rapidement quand elle comprend qu'il n'y a pas d'autre issue.
Incorruptible, elle refuse le second rendez-vous et les bijoux
que lui offre Saint-Pouange.
Voltaire souligne sa délicatesse morale par des expressions telles que
«
la généreuse et respectable
Saint-Yves,[•.•] l'heureuse et désolée Saint-Yves».
Il achève de
l'innocenter en lui accordant une mort pathétique qui réunit tous
les personnages dans l'affliction et le pardon.
Comme tous les véritables héros de t.:lngénu, M"• de Saint-Yves
évolue.
« Ce n'était plus cette fille simple dont une éducation
provinciale avait rétréci les idées.
L'amour et le malheur l'avaient
formée » (chap.
XVIII).
La fatale rencontre avec Saint-Pouange
exerce une influence comparable à la captivité sur l'ingénu : deux
personnages romanesques traditionnels, deux emplois, acquièrent
une autre dimension.
La jeune fille de province assez traditionnelle devient une héroïne.
D'un point de vue stylistique, ses déboires sentimentaux et
sa mort orientent le conte satirique vers le roman sensible (➔ PROBLÉMATIQUE 5,
p.
67).
IGordon
Bien qu'il n'apparaisse que dans la seconde partie du conte et
dans un lieu clos qui lui interdit toute action sur les événements
extérieurs, Gordon est un personnage fondamental puisqu'il contribue à la métamorphose de !'Ingénu.
Présenté dès le début comme
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un sage, il transforme une cohabitation forcée en une relation amicale et quasi paternelle.
Pédagogue, il se remet en question, s'interroge sur ses convictions et oublie les rigueurs jansénistes au
profit d'une sagesse humaniste.
Ce vieillard
frais et serein » (chap.
X) évoque la figure tradi-
«
tionnelle du sage.
Il en a les qualités morales : il est compatissant
et attentif aux souffrances d'autrui puisqu'il est lui aussi victime de
l'arbitraire.
Janséniste 1 convaincu au début du récit, il analyse son
infortune et celle de l'ingénu à la lumière des thèses jansénistes
sur la grâce et la prédestination : « Il faut [...] que Dieu ait de
grands desseins sur vous, puisqu'il vous a conduit du lac Ontario
en Angleterre et en France, qu'il vous a fait baptiser en Basse-Bretagne, et qu'il vous a mis ici pour votre salut » (chap.
X).
Cultivé, oisif, dépourvu d'égoïsme et bientôt admiratif devant la
soif d'apprendre du jeune homme, Gordon l'instruit et instaure
avec lui une relation de maître à disciple.
Gordon atteint le dernier
stade de la sagesse, selon Voltaire, quand il se débarrasse de ses
convictions jansénistes et qu'il renonce à la métaphysique sous
l'influence du jeune homme.
Il est désormais apte à profiter de sa
liberté recouvrée et représente un idéal humain : « Il était changé
en homme, ainsi que le Huron » (chap.
XIX).
Il admire l'amour unissant l'ingénu et M 11• de Saint-Yves.
« Il devait sa délivrance aux
deux amants, cela seul le réconciliait avec l'amour; l'âpreté de ses
anciennes opinions sortait de son cœur » (chap.
XIX).
Il ne
condamne pas
«
M1• de Saint-Yves après qu'elle a révélé la vérité:
Le vieux Gordon l'aurait condamnée dans le temps qu'il n'était
que janséniste; mais, étant devenu sage, il l'estimait, et il pleurait»
(chap.
XX).
Après la mort de la jeune fille, il empêche l'ingénu de
se suicider et participe à la conversion morale de Saint-Pouange,
ce qui souligne sa connaissance des cœurs humains ..•
Gordon représente deux faces de la sagesse, l'une religieuse,
l'autre philosophique.
Il....
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