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Les autres personnages Le système des personnages, dans Le Procès, s'organise en fonction du processus judiciaire. Les personnages croisés par...

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« Les autres personnages Le système des personnages, dans Le Procès, s'organise en fonction du processus judiciaire.

Les personnages croisés par K. sont liés directement ou indirectement à la justice.

Ils peuvent éga­ lement, par leurs êomportements troubles, jeter le discrédit sur cette institution. LE PERSONNEL DE LA JUSTICE Deux types de personnages se présentent à K., directement liés à la justice Oes policiers), ou n'entretenant avec celle-ci qu'un lien non institutionnel, donc indirect, mais réel O'avocat, le peintre, le négociant, l'abbé sont les plus importants). 1 Les policiers Un comportement irrationnel et abusif K.

est arrêté par un inspecteur accompagné de deux gardiens, Franz et Willem.

La caractéristique majeure de ces personnages est leur absence de rationalité, passant brutalement d'une attitu­ de à son contraire : ils sont autoritaires, hostiles, mais aussi tristes et compatissants (p.

33).

Cette attitud� déroutante est à l'image du fonctionnement paradoxal de la justice, qui arrête K.

mais le laisse libre.

Dans le film, cette ambivalence disparaît.

Menaçants, les policiers ont un comportement essentiellement abusif : si l'oc­ cupation de la chambre dans le roman est relativement justifiée (p.

34), dans le film elle est gratuite.

Ce parti pris a été expliqué par Welles : « Si le fait de traîner un meurtrier devant les tribunaux est une tâche importante et juste, elle perd toute ir_nportance si l'on doit y parvenir aux dépens des droits et de la dignité de l'homme [..•].

Dorénavant, je m'intéresse plus aux abus de la police et de l'État qu'à ceux de l'argent, parce qu'aujourd'hui l'État est plus important que l'argent1. » La double contrainte Les policiers donnent à K.

des ordres ou des conseils paradoxaux.

Ils adoptent une attitude inquiétante, puisqu'ils viennent arrêter K., tout en lui conseillant de ne pas s'inquiéter (pp.

30-31, 38).

De même, le brigadier dit : « Je puis tout de même vous conseiller de penser un peu moins à nous d'admettre que K.

est « » (p.

36), alors qu'il vient sans doute fort surpris » (p.

34).

Ces recommandations sont paradoxales, car en contradiction avec la situation créée par celui qui les formule.

Connues en psychanalyse sous le terme de« double contrainte2 », elles sont particulièrement déstabilisantes.

Nous verrons que l'avocat en fait également usage. Les gardiens, des doubles de Joseph K.

? Les deux gardiens présentent des points communs avec K. L'un d'eux s'appelle Franz.

Dans la biographie de Kafka, Franz et Joseph sont des prénoms étroitement liés, à cause de l'admiration de ('écrivain pour l'empereur, considéré comme le protecteur des Juifs.

Non seulement ils se montrent parfois bienveillants à l'égard de K., mais en outre ils s'approprient symboliquement son identité : ils surviennent le jour de son anniversaire, mangent son petit déjeuner, s'emparent de ses vêtements ..• Leur proximité avec K. participe du caractère onirique, absurde et angoissant de la situation.

Dans l'hypothèse qu'il s'agirait d'un rêve de culpabilité, on peut se demander si ces gardiens ne représentent pas la conscience de K.

Dans 1~ film, cette proximité avec le protagoniste disparaît.

Il s'agit pour W~lles de mettre en scène les représentants d'un État autoritaire, capable de procéder à des arrestations 1.

Voir C.

Miller, Téléciné, avril-mai 1963, p.

10. 2.

Voir P.

Watzlawick, J.

Helmick Beavin, D.

Jackson, Une logique de la communication, Seuil, coll.• Points•, 1979, pp.

187-231. PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 77 i injustifiées.

De ce point de vue, le film est plus explicitement politique que le récit de Kafka, davantage construit sur le fantasme. 1 IL'avocat Un avocat inefficace et véreux Me Huld est l'avocat conseillé par l'oncle de K.

Sa caractéristique la plus marquante est son inefficacité (p.

163).

Sa seconde caractéristique est le symbole de cette inefficacité : il est malade, obligé de rester au lit.

Autre caractéristique : il entretient de troubles réseaux d'amitié au sein du tribunal.

Son handicap apparaît donc également comme le symbole d'une justice« malade » au sens métaphorique du terme, c'est-à-dire injuste, vénale. Un avocat pervers Une autre caractéristique fait écho aux discours paradoxaux des policiers : Huld manie perversement la double contrainte à l'encontre de Black, constamment « troublé par des ordres contradictoires » qui altèrent ses facultés de jugement (p.

212).

li l'humilie en le faisant venir puis en lui reprochant d'être importun (p.

238).

Ces injonctions contradictoires (viens, ne viens pas) étant l'une des caractéristiques les plus fortes de l'appareil judiciaire, l'avocat apparaît comme le représentant le plus parfait de la justice. L'ironie est qu'il est précisément censé protéger K.

de cette justice. Dans le film, Welles endosse le rôle de l'avocat, auquel il confère beaucoup d'autorité, sous le nom de Hastler.

Lors de la première rencontre (séquence 7), cette autorité est mise en scène par les angles de prise de vue (contre-plongée), la diction, les jeux d'ombre et de lumière, et la corpulence même du comédien.

Mais dans la séquence 9, il inspire de la répulsion, par l'humiliation qu'il fait subir à Black.

On peut même se demander dans quelle mesure les vapeurs qui s'élèvent de son visage n'en font pas une sorte de personnage diabolique (dans la culture médiévale le diable est souvent représenté en avocat, maître de la parole et du mensonge). 78 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES \ l l Une personnification de la Loi ? L'intérêt des modifications apportées par Welles est de bouleverser le portrait psychologique de K.

Alors que, dans le roman, ce dernier affiche un certain mépris devant la soumission de Black (p.

239), dans le film il n'en supporte pas le spectacle et part précipitamment.

Hastler devient ainsi une figure clé de la révolte finale de K.

Il est donc logique de le voir revenir dans la dernière séquence.

Cet ajout, où l'avocat apparaît comme un être intelligent, calculateur et cynique, semble faire de lui plus qu'un simple représentant de la justice : une véritable personnification de la Loi. C'est d'ailleurs lui qui montre à K.

l'écran d'épingles avec le portail de la Loi.

Toutefois, il est vaincu par K., qui renverse les rôles en manipulant à son tour l'appareil de projection : K.

transforme Hastler en personnage d'illusion (il projette l'ombre de l'avocat sur l'écran).

Welles suggère ainsi que la révolte de K.

s'exerce à l'encontre de la Loi elle-même. ILe peintre Un personnage ambigu Personnage famélique, « presque un mendiant » (p.

173), habi- tant une mansarde misérable dans « un faubourg diamétralement opposé aux bureaux du tribunal » (p.

179), Titorelli peint des toiles médiocres.

Moralement ambigu, il entretient avec les fillettes de son immeuble de troubles relations (pp.

182-183).

Autre ambiguï- --- té : quoique misérable et vivant loin du tribunal, il maîtrise parfaitement la législation, dont il fait un exposé très complet à K. C'est pourquoi, contrairement aux apparences, il apparaît le mieux « placé » pour l'aider, aux sens figuré et propre : il loge dans des locaux du tribunal (p.

207). Une fonction symbolique Peintre officiel du tribunal, il vit « surtout du portrait » (p.

273). Cela suggère que, comme tout portraitiste, il a accès à l'âme de son modèle, la justice.

C'est donc chez lui, par ses tableaux allégo- PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 79 riques, que K.

prend clairement conscience de la véritable nature de la justice : une institution injuste Oes plateaux de sa balance sont en déséquilibre, p.

185) et invincible, chassant inexorablement l'accusé, telle un animal sauvage.

Le personnage de Titorelli a ainsi pour fonction de montrer l'issue nécessairement fatale du procès de K. On doit aussi noter que, en tant que peintre, de surcroît « menteur» (p.

174), Titorelli est expert dans l'art de l'illusion.

En cela, il est proche d'un cinéaste, qui met lui aussi en images le réel.

D'autre part, Titorelli « est bavard des autres » », il raconte les « histoires (p.

174).

Cela le rapproche également d'un cinéaste (et d'un romancier), qui met en scène des histoires.

On a donc l'impression que, en s'attribuant le rôle de Hastler, manipulateur et maître de cette machine à illusions qu'est l'appareil de projection, Welles a déplacé sur le personnage de l'avocat certaines caractéristiques du peintre.

Dans le roman comme dans le film, K.

est ainsi confronté à un maître en matière d'illusions, sans doute afin de mieux suggérer le caractère onirique de son procès. Un être amoral Chez Welles, une autre caractéristique du personnage apparait.

Le peintre est attiré par K.

Dans le roman, un seul passage le laisse supposer : il « s'était renversé confortablement sur son siège, la chemise ouverte sur la poitrine, une main passée dessous dont il se caressait les flancs » (p.

202).

Dans le film, il se tient près de K. et l'appelle « mon chou ».

Dans le contexte des années 60, cette homosexualité explicite renforce le côté amoral du personnage, déjà suggéré par les connotations pédophiles de ses relations avec les fillettes.

La proximité spatiale du tribunal et de l'atelier suggère sfonc que !'amoralité du peintre affecte aussi la justice. IM.

Block Une triple fonction romanesque Block est un négociant, client de Huld.

Il dort parfois chez l'avocat dans « une pièce basse sans fenêtre 80 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES » avec « un lit étroit » (p.

228).

Il est l'amant de Leni, qui rend compte à l'avocat de ses faits et gestes.

Au cours d'un dialogue avec K., il avoue que son affaire dure (p.

215) et qu'il a cinq avocats (p.

217), mettant ainsi en évidence l'inutilité de cette corporation.

Au sein du roman, il occupe une triple fonction.

D'abord, une fonction épidictique1 : blâmer l'inefficacité des avocats, dénoncer l'ignominie de leur représentant, Huld, qui l'humilie (p.

241).

Ensuite, une fonction rythmique : K.

prenant la décision d'assumer seul sa défense, la rencontre avec ce personnage accélère le tempo du récit.

Enfin, une fonction actantielle : Block n'est autre qu'une image d'accusé, donc un double de K., dont il préfigure par sa vie de soumission et d'angoisse l'un des destins possibles.

C'est par ce biais qu'il figure parmi les personnages indirectement liés à la justice. Une figure de l'aliénation humaine Dans le film, manipulé par Leni comme par Hastler, Bloch incarne fortement l'aliénation humaine.

Le jeu expressif du comédien met en valeur cette soumission: dans la cuisine, séquence 9, il se tient recroquevillé dans un coin.

La mise en scène de son humiliation par Hastler repose sur des procédés cinématographiques comme la position spatiale de l'avocat (dans un lit surélevé), l'angle de prise de vue Oa plongée écrase Bloch), la gestuelle du négociant (d'abord à genoux, puis rampant), la composition du plan (il est isolé par rapport au couple que forment Leni et K., ce qui accentue sa misère, sa solitude) ••• IL'abbé Un narrateur secondaire Dernière rencontre de K., ce personnage raconte la légende de la Loi - mise en abîme rétrospective de l'histoire de K.

L'abbé, aumônier de la prison (p.

260), est donc un narrateur secondaire en relation avec le milieu judiciaire..... »

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