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Les mutations des relations internationales entre 1890 et 1945.

Publié le 03/03/2014

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Les mutations des relations internationales entre 1890 et 1945. À un siècle de distance, il est tentant, du point de vue de l'histoire de la mondialisation, de dresser un fort contraste entre une économie en croissance et transformation rapides dans le quart de siècle qui précède 1914, appuyée sur des échanges internationaux déjà très considérables, et une politique internationale aussi routinière que cynique et finalement agressive, qui mit presque gratuitement fin aux grandes espérances de "Belle Epoque"[1] en la faisant sombrer dans l'horreur de la guerre des tranchées. Pareille vision n'est pas sans fondement, mais doit être au moins nuancée: les relations internationales d'avant 1914[2] surent intégrer -insuffisamment- certaines préoccupations du monde nouveau, et en ce sens préparer l'avenir. Quant à l'entre-deux guerres, il est souvent encore jugé avec une très grande injustice. De ce que le système international centré sur la Société des Nations (SDN) n'a "tenu" que deux petites décennies, qu'il se soit révélé impuissant face à Hitler, on déduit fréquemment sa débilité intrinsèque et définitive. C'est oublier, et que les années trente connurent peut-être le contexte international le plus infernal de toute l'histoire, et que l'ONU, qui connut aussi (faut-il parler au passé?) d'interminables périodes de quasi-paralysie, ne fut pas pour grand chose dans le fait que les États-Unis et l'URSS ne se lancèrent finalement pas dans une Troisième Guerre mondiale: la bombe atomique (ou plutôt la terreur qu'elle inspirait) fut une garantie bien plus efficace que tous les accords et organismes internationaux. En fait, à peu près tous les principes nouveaux sur lesquels on tente toujours de construire un ordre international moins dangereux, plus humain, furent posés dès l'après-Première Guerre mondiale, et pour certains bien avant 1914. I -- Triomphe et premiers craquements du "concert des puissances": jusqu'en 1914 A/ Les fondements du système Le Congrès de Vienne, en 1815, avait mis en place un "concert des puissances" destiné à empêcher dorénavant toute déstabilisation de l'ordre européen par les ambitions excessives d'une d'entre elles (comme la France sous Napoléon Ier), et à régler des conflits locaux (guerres civiles ou internationales) toujours dangereux, car susceptibles d'extension du fait des alliances. Le système ne remettait pas en cause, en tout cas pour les grands États, les fondements de l'"ordre westphalien", issu des traités de Westphalie qui avaient en 1648 mis fin à la cruelle guerre de Trente Ans: souveraineté absolue de chaque État, reconnaissance mutuelle, abandon du rêve d'Empire, même fédératif, aux dimensions du continent. Il l'organisait cependant à une échelle internationale, limitait dans une certaine mesure la souveraineté des petits et moyens États (d'où, en 1823, l'expédition française de "maintien de l'ordre" en Espagne), et entendait promouvoir des principes communs: hostilité aux principes de la Révolution française certes, mais aussi, sur pression de l'Angleterre, lutte contre la traite des Noirs -- ce qui donna lieu à la première opération humanitaire internationale de l'histoire; elle fut durable (plusieurs décennies) et de très grande ampleur. La première mouture de ce nouvel ordre international fut la Sainte Alliance, si réactionnaire (l'Autriche du prince Metternich la dominait) que Londres résolut de s'écarter des affaires continentales, en veillant seulement à ce qu'aucune puissance ne puisse y devenir par trop hégémonique. Les révolutions de 1848 lui portèrent un coup fatal, et l'on revint en apparence à la liberté absolue des États, qui avait régné entre 1648 et 1815. Mais le principe d'un directoire informel des puissances européennes avait montré son efficacité, aussi y recourut-on en cas de crise grave. La première conférence de Berlin, qui annulait le traité de San Stefano (1878), par exemple, manifesta leur ingérence dans un conflit russo-turc qui menaçait d'entraîner l'effondrement de l'empire ottoman. Les grandes puissances "permanentes", consultées quel que soit le conflit, sont l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, le RoyaumeUni et la Russie. Suivant le lieu du problème, elles s'adjoignent telle ou telle puissance de niveau régional: ainsi, en Méditerranée, l'Italie, la Turquie, parfois l'Espagne. Le système, d'une certaine façon, atteint son zénith au début de la période qui nous intéresse: avec le Congrès de Berlin (1885), puis avec la conférence d'Algésiras sur le Maroc (1906), il étend son champ de compétence aux questions coloniales; avec l'intervention des puissances -États-Unis et Japon inclus- contre la révolte des Boxers à Pékin en 1900[3], puis dans le règlement de la guerre russo-japonaise (traité de Portsmouth, 1905) il prend en charge des problème qui n'intéressent pas forcément l'Europe, en tout cas directement. Mais, simultanément, il montre ses faiblesses. D'une part il n'a pas su gérer collectivement les ambitions de la puissante Allemagne bismarckienne et post-bismarckienne, qui menace constamment après 1870 l'équilibre du continent, et empêche toute réconciliation franco-allemande. D'autre part la multiplication des États en Europe même (péninsule balkanique surtout) et l'extension des enjeux à la scène mondiale rend le "concert des puissances" de plus en plus délicat à gérer, et de moins en moins légitime: les États balkaniques préfèrent s'appuyer sur telle ou telle grande puissance qu'accepter leur arbitrage conjoint; les Japonais eurent à Portsmouth le sentiment de s'être fait voler leur victoire, et l'on peut dater de là leur tournant anti-occidental; le statut des États-Unis est mal défini - ils refusent toute intervention européenne dans la sphère américaine (doctrine de Monroe) tout en s'affirmant après 1898 (victoire sur l'Espagne) partie prenante, mais au coup par coup, de certaines grandes affaires mondiales. La faillite du concert des puissances allait être signée par l'éclatement de la guerre européenne, en août 1914, qu'il n'avait pas été capable d'empêcher malgré la relative médiocrité des enjeux initiaux (le sort de la petite Serbie). Comme souvent en histoire, le système qui allait lui succéder à partir de 1918 -- et qui malgré les apparences dure toujours sous la forme de l'ONU -- allait à la fois le contredire et s'en inspirer. B/ Les mécanismes: un "réalisme" sans principes forts a) La politique des intérêts Elle connaît alors certaines de ses expressions les plus achevées. Quand Bismarck assure "Qui parle d'Europe a tort... (C'est une) notion géographique... une fiction insoutenable", on peut le taxer d'un cynisme également illustré par son attitude envers la France, provoquée à déclarer la guerre en 1870, puis frappée avec une dureté qu'on croyait dépassée dans les relations intereuropéennes: énorme indemnité, et surtout arrachement de l'Alsace-Lorraine. L'Italie et le Royaume-Uni virent dans la "paix allemande" de 1871 une atteinte aux principes d'une "société européenne" née des ruines de l'entreprise de Napoléon Ier. Le Premier ministre britannique Gladstone critique en particulier la négation des souhaits clairement exprimés des Alsaciens-Lorrains. La Realpolitik (politique du réel) que le chancelier allemand entend pratiquer reste synonyme de primauté donnée à l'égoïsme national. Ce dernier est en GrandeBretagne surnommé jingoisme, et anime (en particulier aux alentours de 1900) les cercles les plus pro-impérialistes du parti Conservateur. C'est dans les colonies que le mépris de tout ce qui n'est pas la grandeur de son pays se déploie le plus ouvertement: ainsi, en novembre 1911, la France et l'Allemagne évitent une guerre (affaire d'Agadir) en échangeant le Maroc (mains libres à la France) contre un morceau du Congo français, derechef rattaché au Cameroun allemand. Ces partages, tractations, manoeuvres où se jouent sans qu'ils en soient même informés le sort de millions d'hommes et celui de vastes territoires, on les appelle parfois "le Grand Jeu"[4]. La jeunesse (et donc la fragilité) de beaucoup d'États-nations, le nationalisme sourcilleux d'une part de l'opinion et des élites, expliquent cette tendance aux positions radicales, largement responsable et de l'explosion guerrière de 1914, et de l'arrivée au pouvoir de ces aventuriers démagogues ultra-nationalistes que sont Mussolini et Hitler. La papauté et les autres forces morales traditionnelles ont beaucoup perdu de leur influence, des institutions internationales contraignantes n'ont pas su prendre le relais, et la grande espérance suscitée par l'internationalisme socialiste (et dans une moindre mesure syndicaliste) a donné la mesure de sa vacuité en 1914[5], puis, après 1917, de son détournement au service des intérêts de l'État soviétique. Notre période est au coeur de l'ère d'absolutisme de l'État-nation: ce souverainisme triomphant est porteur de tensions et de guerres. b) Une diplomatie sans principes, des combinaisons fragiles Les années 1890-1914 sont peut-être l'âge d'or de la diplomatie. Celle-ci imagine sans relâche des combinaisons d'une rare complexité. Ainsi, en février 1887, un accord secret italo-britannique reposant sur un simple échange de lettres (à la différence d'un traité, il n'y a donc pas nécessité de discussion et de ratification par les parlements des deux pays) se prononce pour le statu quo en Méditerranée, et concrètement "échange" le soutien italien à l'occupation britannique de l'Egypte contre le soutien britannique au projet italien d'occupation de la Libye. Le problème, c'est que l'Italie croit pouvoir compter désormais en cas de conflit sur un soutien formel du Royaume-Uni, que ce dernier n'entend aucunement lui accorder. Les choses se compliquent encore du fait de la signature par la Russie et l'Allemagne, la même année, d'un "Traité de Réassurance". C'est une sorte de pacte de non-agression, mais assorti d'une double (et essentielle) réserve: l'Allemagne serait déliée de ses obligations si la Russie attaquait l'Autriche-Hongrie, et la Russie si l'Allemagne attaquait la France. On peut de plus constater que le traité, qui laisse en principe les mains libres à la Russie pour satisfaire ses ambitions (maîtriser les Détroits, qui relient la Méditerranée à la mer Noire) aux dépens de l'Empire ottoman, contredit sur ce point l'accord italo-britannique (tourné vers le statu quo), auquel Vienne et Berlin, alliés de Rome, ont donné leur bénédiction. Il est vrai que SaintPétersbourg en ignore l'existence ! On a donc un édifice fragile de combinaisons diplomatiques de diverses natures (rarement des alliances en bonne et due forme), pleines de contradictions au moins potentielles, reposant sur le non-dit et les arrière-pensées. Conjoncturellement, cela peut fonctionner : un meneur de jeu suprêmement habile, Bismarck, appuyé sur la première puissance du continent, tient longtemps tous les fils entre ses mains. Mais que l'arbitre vienne à manquer (ce qui sera le cas après sa retraite, en 1890), et le "système" risque de se révéler château de cartes, de s'effriter très vite. Quelles que soient ses maladresses, on ne peut blâmer Guillaume II d'avoir ensuite cherché à simplifier l'organigramme, en resserrant l'alliance solide avec l'Autriche-Hongrie et (croyait-il) l'Italie, tout en renonçant aux ententes plus incertaines. Les relations internationales sont rendues plus dangereuses par les "accords à déclenchement", alors fréquents, qui essayent de prévoir entre signataires un mécanisme mutuellement avantageux. Le problème, c'est que les choses se déroulent rarement comme prévu. Ainsi, en 1911, l'Italie se sent autorisée par les Accords dits méditerranéens, conclus avec la France en 1902, à attaquer la Tripolitaine (Libye), puisque la France vient de s'emparer du Maroc. Mais la Turquie entreprend vigoureusement de défendre sa possession: l'Italie cherche à l'en couper en occupant certaines îles (le Dodécanèse, alors ottoman) de la mer Egée: au tour de la Grande-Bretagne de s'inquiéter de cette menace potentielle pour "sa" route des Indes. À plus petite échelle, ce sont déjà les enchaînements fatals de l'été 1914 qui s'annoncent. Chaque négociation est emplie d'arrière-pensées, et mieux vaut faire attention à ce que l'on signe. Par exemple, à partir de 1903, les Allemands tentent de manière répétée d'obtenir l'accord britannique (puissance européenne dominante au Proche-Orient depuis sa mainmise sur l'Egypte, en 1882) à leur grand projet de construction d'un chemin de fer allant d'Istanbul à Bagdad (alors chef-lieu de province t...

« évidemment la fin de l'Entente. Pour les grandes puissances, la tentation est donc grande de lier tous les problèmes, d'aboutir à des réglements globaux au travers d'un marchandage hétéroclite[7]: cela marche pour lerapprochement franco-britannique, puis russo-britannique; mais le processus est si complexe que l'échec est fréquent.

Et, du coup, la solution des questions plus limitées est retardée. C/ Naissance de la solidarité internationale Simultanément apparaissent pourtant les premières organisations authentiquement internationales, concentrées sur la recherche de la paix, et qui annoncent l'avenir; certaines subsistentd'ailleurs.

Ainsi, en 1885, est constituée une Union Interparlementaire, où dialoguent les députés.

En 1892, à Berne, est créé un Bureau International de la Paix.

En 1899, puis en 1907 seréunissent deux Conférences de la Paix, à La Haye (Pays-Bas), qui débouchent en particulier sur une Cour de Justice Internationale chargée d'arbitrer les contentieux (en particulierterritoriaux) entre États.

Lors de la montée des tensions internationales, à partir de 1905, la IIe Internationale (socialiste, fondée en 1889) tente d'opposer principes (solidaritétransfrontière des travailleurs) autant que stratégie (propagande pacifiste, grève générale en cas de conflit) au danger de guerre. Intellectuellement, le terrain est préparé par des intellectuels et hommes politiques de renom, qui se situent souvent dans la tradition du philosophe allemand Immanuel Kant (1724-1804),dont le traité Sur la paix perpétuelle (1795) préconise gouvernement républicain, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, fédéralisme, mise hors-la-loi des politiques d'agression etdésarmement concerté comme voies de la pacification universelle.

Dès 1867, Victor Hugo et Giuseppe Garibaldi fondent la revue États-Unis d'Europe, qui survit jusqu'en 1888.

En 1878se réunit un forum sur une possible Fédération européenne, à l'initiative de Britanniques.

En 1889, le Premier Congrès pacifiste international se réunit en Grande-Bretagne. D/ Les premiers pas du droit humanitaire La période est marquée par la peur de la guerre.

Si personne n'avait imaginé qu'un conflit paneuropéen puisse durer plus de quatre années, on avait prévu qu'il serait terriblementmeurtrier.

Cette certitude provient du caractère dévastateur des dernières grandes guerres livrées dans des pays industrialisés: conflit franco-prussien de 1870-71, et plus encore guerrede Sécession (1861-65), responsable de 500 000 victimes — plus que toutes celles de toutes les guerres réunies que livrèrent les États-Unis.

On attribuait cette cruauté audéveloppement de la puissance de feu.

Or celle-ci, dans les décennies suivantes, avait à l'évidence encore beaucoup progressé. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les premiers efforts de concertation humanitaire internationale aient porté sur les armements.

En 1868 une conférence réunie par legouvernement russe à Saint-Petersbourg prohiba les balles explosives ou incendiaires; la déclaration finale jetait des principes fondamentaux: "Le seul but légitime dans une guerre estl'affaiblissement de la puissance militaire de l'ennemi (...) Cet objectif n'autorise pas l'usage d'armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des blessés, ou rendraient leur mortinévitable (...) Dans ces conditions, l'emploi de ces armes serait contraire aux lois de l'humanité".

Les conférences de La Haye de 1899 et 1907 élargissaient l'interdiction aux "poisons etarmes empoisonnées", ce qui aurait dû empêcher l'utilisation des gaz quelques années après.

La Convention de 1907 prohibait aussi le bombardements de civils sans défense, le pillage"même après l'enlèvement d'une place par assaut", la destruction des biens de l'ennemi, et l'utilisation de la traîtrise pour atteindre l'adversaire. Parallèlement on se préoccupa d'améliorer les soins aux soldats blessés et malades: le Suisse Henri Dunant fonda en 1863 le Comité International de la Croix Rouge, que songouvernement appuya l'année suivante, à Genève, par une conférence internationale.

Il fut alors décidé que personnels et infrastructures médicales devraient être considérés commeneutres dans les conflits.

Des Croix Rouges nationales allaient ensuite essaimer un peu partout, jusqu'au Japon dès 1886, et amélioreront considérablement les soins aux armées encampagne: la guerre russo-japonaise (1904-05) fut probablement la première de l'histoire où l'on ne mourut pas plus de maladie ou de blessures mal soignées que des combats !Simultanément le Comité International, depuis la Suisse neutre, se préoccupait d'améliorer le sort des prisonniers de guerre: inspection des lieux de détention, échange de prisonniers, etde civils des pays opposés internés; acheminement du courrier aux familles, de colis envoyés par elles, et informations sur le sort du prisonnier - ce qui fut capital pour des millions depersonnes. La guerre russo-japonaise fut aussi sans doute la première où une réglementation très stricte définit le statut des prisonniers de guerre.

Le gouvernement japonais l'adoptaunilatéralement: la conférence de La Haye de 1899 avait discuté de la question, mais sans adopter de résolution.

Les principes sont clairs: "Les prisonniers de guerre seront traités avechumanité: on ne les insultera ni ne les brutalisera (...) Hormis quand la discipline militaire l'imposera, ils ne seront soumis à aucune contrainte physique".

Les mesures d'application necontredisent pas ces principes: respect des grades, attribution d'une solde au moins égale aux grades japonais équivalents, droit à la correspondance, possibilité de conserver sesarmes, mais "sans munition", sanctions disciplinaires mais non pénales en cas de tentative d'évasion, et possibilité de libération sur parole.

Le résultat fut probant: sur 70 000 prisonniersrusses, à peine 500 moururent en détention.

La Convention de La Haye d'Octobre 1907 allait faire de principes très semblables une loi internationale, en y ajoutant l'interdiction del'utilisation de prisonniers pour des travaux d'utilité militaire et leur égalité de traitement en tous points avec les troupes du pays.

L'exécution de prisonniers après leur reddition étaitexpressément condamnée. II — Sécurité collective et droit international : 1914-1933 Ces deux décennies forment une période contrastée.

Elles débutent par les quelque dix millions de victimes de l'atroce Grande Guerre - qui ne vit pourtant pas les principaux belligérantsrenier complètement les principes humanitaires auxquels ils avaient souscrit, en ce qui concerne le respect des civils et des prisonniers de guerre[8].

Elles continuent avec la mise enplace d'un nouvel ordre international fondé sur l'égalité et le rejet de la violence.

Mais la SDN n'a quelque crédibilité que durant une petite quinzaine d'années, et ne parvient pas à réagirlors des remises en cause des traités internationaux par les futures puissances de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon), à partir de 1931. A/ La Grande Guerre: une césure On n'évoquera pratiquement pas ici les évènements militaires, que l'on espère connus, et qui font l'objet d'innombrables récits.

On se penchera sur les conséquences du conflit pour lamondialisation, telle que nous l'avons vu commencer à se mettre en place. a) Une guerre accidentelle? À l'inverse d'une opinion courante, on soulignera l'absence de continuité entre la diplomatie d'avant 1914 et la Première Guerre mondiale: celle-ci, dans sa violence radicale, continue àreprésenter une manière de mystère.

Certes, on sous-estimait la longueur d'un conflit européen, et la dissuasion nucléaire n'existait pas: l'acceptation de la transgression guerrièreapparaissait moins scandaleuse qu'aujourd'hui.

Mais personne n'a vraiment voulu la guerre, ou même accepté clairement l'idée d'y recourir.

Dans une Allemagne qui pourtant joua unrôle funeste fin juillet 1914, quand une partie de l'État-major (dont le fameux général Schlieffen, auteur de la stratégie suivie en 1914) suggère en 1905 une guerre préventive contre laFrance, en profitant de l'affaiblissement momentané de son allié russe battu par le Japon, le chancelier Bülow refuse fermement.

Après la seconde crise marocaine (1911), Jules Cambon(1845-1935), ambassadeur de France à Berlin, croit pouvoir assurer: "Au fond, personne en Europe ne veut la guerre, et l'on cherchera tous les prétextes pour s'y dérober".

Et GuillaumeII, encore en octobre 1913, remarque: "Ni la France ni la Russie ne veulent la guerre." C'est sans doute la pratique de la "diplomatie du bord du gouffre", lors des crises (on fait monter lesenjeux pour gagner davantage), qui fait finalement sauter la machine infernale.

En tout cas le contraste est on ne peut plus frappant avec le processus menant à la Seconde Guerremondiale, dans lequel la volonté guerrière d'Hitler est éclatante.

La diplomatie n'est plus pour lui que l'habillage d'une doctrine d'agression.

La théorisation de la guerre rédemptrice,passage obligé, voire expérience désirable, est au coeur de la vision du monde d'un Hitler, d'un Mussolini, d'un Tojo, et avec quelques nuances (c'est pour lui la guerre civile qui emplitl'horizon) d'un Staline. b) La fin de la vieille Europe La guerre signe l'échec des espoirs mis en une réconciliation progressive des Européens au travers des subtilités de la diplomatie secrète, mais aussi par l'entente des acteurséconomiques: banques françaises et allemandes venaient en juin 1914 de conclure un vaste accord pour la mise en valeur commune de l'économie marocaine.

L'affrontement, demanière encore plus irréversible, va marquer la fin de deux caractéristiques séculaires de l'ordre européen: la domination absolue des grands États, et la relative similitude de leurssystèmes politiques aussi bien qu'économiques.

La tendance au fractionnement est particulièrement frappante: les empires les plus fragiles (Autriche-Hongrie, Russie, Turquie)explosent, en donnant naissance à de nombreux nouveaux États à l'est du continent et au Proche-Orient; le Royaume-Uni lui-même devra laisser partir l'Irlande; les territoires cédés parl'Allemagne vont essentiellement à des pays petits ou moyens (Belgique, Danemark et surtout Pologne), même si la France récupère l'Alsace-Moselle.

L'instabilité des relationsinternationales en sera fortement accrue, jusqu'à ce que la guerre froide, puis la construction européenne viennent, après 1945, restaurer la prééminence des grands ensemblesétatiques.

La révolution russe — sous bien des aspects, conséquence la plus importante de la guerre — donne naissance à un régime de type entièrement nouveau, et introduit l'ère destotalitarismes, qui marque le reste du siècle, jusqu'aux réformes de Deng Xiaoping et de Gorbatchev (cf chapitre communisme, fascicule 2). Les contemporains — en tout cas ceux du camp des vainqueurs, celui de l'Entente — pouvaient cependant à bon droit partager une vision plus optimiste.

Le triomphe, en 1918, du droitdes peuples à disposer d'eux-mêmes en Europe pouvait apparaître la base solide d'une reconstruction internationale plus équitable.

Simultanément, sous l'égide de l'idéaliste présidentaméricain Wilson, la guerre a pris l'allure d'une première "croisade des démocraties": les quatre empires européens, plus ou moins marqués d'autoritarisme, s'effondrent; le principerépublicain — limité en 1914 en Europe à la France, la Suisse et le Portugal — triomphe presque partout, les monarchies subsistantes étant significativement soit strictementconstitutionnelles, soit (dans les Balkans) contraintes d'amorcer une démocratisation.

Pour pérenniser le bond en avant de cette dernière, les États les plus solidement démocratiques dutemps décident la fondation de la SDN.

Quant à la "dissidence" de la Russie bolchevique, sa gravité semble limitée et par les lourdes pertes territoriales subies par l'ancien empire destsars, et par les énormes difficultés internes (guerres civiles au moins jusqu'en 1922, catastrophe économique, famines) dans lesquelles elle se débat. C'est progressivement — pour une large part pas avant les années trente — qu'on a saisi pleinement les dangers de la nouvelle configuration.

La reconstitution des puissancesallemande et soviétique sur une base expansionniste et militariste rendit de plus en plus aléatoire l'indépendance de la poussière d'États coincés entre elles.

La démocratisation rapidedes nouveaux pays, parfois peu cohérents ethniquement (Pologne, Yougoslavie en particulier), et peu développés économiquement (hormis la Tchécoslovaquie et l'Autriche), euttendance à conduire au pouvoir démagogues nationalistes et/ou populistes, puis, de plus en plus, fascisants.

L'application tant glorifiée du "principe des nationalités" conduit souvent àl'impasse dans une Europe centrale et orientale où elles sont à la fois nombreuses et entremêlées: ainsi les minorités ethniques constituent presque toujours une partie considérable dela population, et leur sort se détériore plutôt par rapport à ce qu'il était dans les empires défunts.

C'est le cas, à peu près partout, des Allemands et des Juifs (qui ensemble constituentune grande part de la population urbaine, et plus encore des élites), ainsi que des Tziganes.

Plusieurs nationalités, compactes mais de taille restreinte, ont été "privées d'État", et seconsidèrent plus ou moins légitimement comme opprimées par l'ethnie majoritaire: Croates de Yougoslavie, Slovaques et Ruthènes de Tchécoslovaquie.

Enfin les pays vaincus ont le. »

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