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Les personnages dans Candide Les commentateurs ont dit et redit que les personnages dè Candide n'étaient que des marionnettes, Voltaire...

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« Les personnages dans Candide Les commentateurs ont dit et redit que les personnages dè Candide n'étaient que des marionnettes, Voltaire tirant toutes les ficelles.

Cela ne paraît pas exact.

L'auteur est derrière ses personnages, certes, mais ceux-ci apparaissent bien vivants, en chair et en os : et là encore, vérité physique et vérité psychologique sont toujours suffisament respectées pour nous obliger à les accepter telles quelles, sans discussion possible. CANDIDE Les deux aspects de la candeur Candide est l'incarnation même de la candeur.

Le nom que Voltaire lui donne, comme sa physionomie, « annonce son âme » (chap.

1) et dit presque tout de lui.

La candeur implique, en effet, à la fois la notion de crédulité et de pureté.

D'un côté, la naïveté du personnage en fait la proie idéale du système de Pangloss et de toutes les illusions. Mais l'autre face est positive (candidus signifie « blanc » en latin) : elle suppose la pureté, la droiture du jugement, le bon sens, l'absence de préjugés qui lui permettront de s'étonner, de raisonner avec pertinence, de remettre en question les propos de son précepteur. La candeur comporte aussi une bonté naturelle à toute épreuve : compassion vis-à-vis de Pangloss qu'il secourt et fait soigner (chap.

4).

pleurs sur le nègre de Surinam (chap.

19) et sur la mort de Jacques (chap.

5).

Cette sensibilité se porte même sur le mouton qu'il retrouve en mer : il éprouve « plus de joie de retrouver ce mouton qu'il n'avait été affligé d'en perdre cent tous chargés de gros diamants » (chap.

20).

On notera également sa politesse : il fait la révérence aux deux recruteurs bulgares (chap.

9), se prosterne devant Jacques et le remercie de sa générosité (chap.

3), s'adresse à tous avec courtoisie, appelant le derviche « mon révérend père», le sénateur Pococuranté « Votre excellence», etc. Certes notre héros tue Don lssachar et l'inquisiteur (chap.

4) ainsi que le frère de Cunégonde devenu jésuite (chap.

15), mais le lecteur lui pardonne aisément ces meurtres dus à la légitime défense et à la · passion amoureuse.

Sa jeunesse enthousiaste les explique ; la rapidité du récit et la parodie des romans d'aventure, leur enlèvent toute importance.

Ils contribuent aussi à donner au personnage une épaisseur psychologique qui en fait un homme comme les autres, capable de violence malgré sa douceur naturelle, capable d'action malgré sa passivité originelle.

Les morts n'ont d'ailleurs rien pour nous plaire, et l'un d'entre eux ressuscite même, ce qui empêche Candide d'être l'assassin de son futur beau-père.

Rien ne pervertira donc le jeune homme, et nous ne nous étonnons pas que Cacambo lui soit fidèle, que Martin finisse par le suivre autrement que par intérêt, que Cunégonde lui revienne toujours.

Il suscite la sympathie, parce qu'il donne la sienne ... La perte des illusions Mais si Candide conserve toujours ces qualités rares, il évolue cependant du point de vue de la crédulité et de la pureté du jugement : une perpétuelle oscillation entre ces deux aspects de la candeur fonde l'essentiel du conte, qui se construit au fur et à mesure qu'au contact des épreuves le héros abandonne sa naïveté pour conquérir une personnalité et une philosophie propres.

C'est pourquoi Candide a été si souvent rapproché des nombreux romans d'apprentissage de notre littérature.

Le jeune garçon inconsistant du chapitre 1 devient à la fin le guide d'une petite communauté composée de ses amis, instituant un nouvel art de vivre : « cultiver notre jardin ».

Il s'éloigne petit à petit, malgré quelques rechutes, de la tyrannie du système panglossien. Au début du conte, en effet, Candide est inexistant, totalement passif : il écoute, il croit innocemment, il troùve Cunégonde belle sans jamais oser le lui dire.

La structure verbale reflète son comportement : la forme passive parcourt les premiers chapitres, dans le premier titre par exemple : « Comment Candide fut élevé dans un beau château, et 52 1 ~ ,J comment il fut chassé d'icelui».

Malmené par les soldats bulgares qui le dressent au combat (« On le fait tourner à droite, à gauche, hausser la baguette, remettre la baguette, coucher en joue, tirer, doubler le pas, et on lui donne trente coups de bâton », chap.

2), il subit ensuite la guerre sans se révolter.

Intellectuellement, il est entièrement soumis aux leçons de Pangloss, qu'il récite sans les examiner: « Tout est enchaîné nécessairement et arrangé pour le mieux», ditil en récapitulant ses mésaventures (chap.

3). Le premier choc survient au chapitre 4, à la nouvelle de la prétendue mort de Cunégonde : « Ah ! meilleur des mondes, où êtes-vous ? » Candide commence à poser des questions. Il demande à Pangloss à propos de l'origine de la vérole: « N'est-ce pas le diable qui en fut la souche ? » Au chapitre 6, après le tremblement de terre et la mort de Pangloss, le doute s'insinue: « Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? » Mais lorsqu'il retrouve au Paraguay le frère de Cunégonde (chap.

14), le héros opère un brusque retour en arrière : « ô Pangloss ! Pangloss ! que vous seriez aise si vous n'aviez pas été pendu ! » L'Eidorado est cependant une source de méditation où Candide forme un jugement personnel: « C'est probablement le pays où tout va bien ; car il faut absolument qu'il y en ait de cette espèce.

Et, quoi qu'en dît maître Pangloss.

je me suis souvent aperçu que tout allait mal en Vestphalie » (chap.

17). Puis ses illusions sont de nouveau atteintes avec la rencontre du nègre de Surinam (chap.

19).

La critique de l'optimisme se fait claire: « ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination; c'en est fait.

il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme.

» L'optimisme, explique-t-il à Cacambo, « c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal». Un nouveau mouvement s'amorce alors: le jeune homme retourne en Europe, mais de fuyard il est devenu conquérant : nanti de richesses, il espère retrouver Cunégonde.

Le maître Pangloss est mis en doute, mais demeure une référence. Candide veut comprendre l'origine du mal par la réflexion et la recherche expérimentale : il se met en quête de l'homme le plus malheureux pour en faire son compagnon.

Devant les récits des candidats, tous plus misérables les uns que les autres, Candide renforce encore son sens critique : 53 « Ce Pangloss, disait-il, serait bien embarrassé à démontrer son système.

Je voudrais qu'il fût ici.

Certainement, si tout va bien, c'est dans !'Eldorado, et non pas dans le reste de la terre» (chap.

19). Sur le bateau du retour, réconforté par sa situation relativement agréable, il penche encore une fois pour l'optimisme et en discute avec son nouvel ami, le pessimiste Martin (chap.

20).

Mais les spectacles offerts sur le vieux continent, où se déchaînent les passions humaines (hypocrisie, orgueil.

ambition ...

), découvrent définitivement à ses yeux la présence du mal.

Il rencontre ensuite le sénateur vénitien Pococuranté que l'on dit le plus heureux des hommes (chap.

25).

Or cet esthète riche et cultivé s'ennuie, et remet en cause les valeurs reconnues et respectées.

Le souper des princes déchus révèle, de plus, la dérision du pouvoir suprême (chap.

26). Enfin Candide retrouve Pangloss, puis Cunégonde, enlaidie et acariâtre.

Ses derniers rêves s'évanouissent, car l'amour aurait pu justifier l'optimisme.

Il l'épouse cependant par honnêteté et s'installe dans une métairie.

Les dernières rencontres, celles du vieillard turc et du derviche, seront déterminantes : le bonheur est tout proche, il suffit de s'écarter des vaines spéculations.

Candide a terminé son éducation, il comprend les bienfaits d'une activité raisonnable et mesurée.

Il coupe désormais la parole à Pangloss, en qui il ne peut plus croire. En fait, l'évolution du personnage rappelle celle de Voltaire, qui abandonna son optimisme initial au contact des épreuves'. C'est pourquoi on ne saurait considérer son héros comme un pantin.

Certes, il y ressemble dans les premiers chapitres : mais de nombreux hommes ne sont-ils .pas possédés ainsi par des illusions, avant de s'en défaire ? L'expérience de Candide est ainsi profondément humaine. PANGLOSS Ici encore, le nom caractérise le personnage : il est « toute langue», du grec pan (tout) et glossa (langue).

Pour Voltaire, il incarne la philosophie optimiste de Leibniz, en vertu de 1.

Cf.

pp.

9-11. 54 l 1 i laquelle l'univers, régi par une bienveillance générale, est construit selon une harmonie préétablie.

Dans cette persf:)ective, tout malheur est relatif et pris dans une chaîne d'effets et de causes qui le transforment en bien. Le précepteur ne cesse de réciter mécaniquement et en abondance cette théorie, malgré les déboires qui l'affligent ou s'abattent autour de lui.

Ainsi, dès le chapitre 4, après l'attaque de vérole qui l'a privé d'un œil et d'une oreille, il persiste à raisonner : « Les malheurs particuliers font le bien général, de sorte que plus il y a de malheurs particuliers, et plus tout est bien.

» Or à peine prononce-t-il ces paroles que le vaisseau où ils se trouvent subit « la plus horrible tempête » et fait naufrage.

Quelques lignes plus loin, « trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines » à la suite du tremblement de terre de Lisbonne, sans que rien ne justifie ces désastres.

Le récit, dans sa totalité, vise ainsi à discréditer la philosophie optimiste en apportant constamment le démenti cruel des faits aux aphorismes de Pangloss1 • Des raisonnements absurdes Non seulement ce discoureur impénitent raisonne à tout propos, mais de plus il raisonne mal.

Ses propos sont émaillés d'articulateurs logiques (« il est démontré», «car», «si», « pour», « aussi », « par conséquent», etc.).

introduisant des liens de finalité et de conséquence.

Mais la rigueur du raisonnement n'est qu'apparente et repose sur des figures formelles: il ne peut s'en dégager aucune vérité sérieuse. On relève en effet dans ses paroles des sophismes a priori, c'est-à-dire non prouvés par l'expérience (« tout est bien »), et des raisonnements incorrects.

Par exemple, il affirme au chapitre 1 : « Les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin.

» Cette démonstration devient, à la suite du tremblement de terre : « Tout ceci est ce qu'il y a de mieux. Car, s'il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs. Car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont» (chap.

5).

Autre figure fautive, le renversement de cause à effet : 1.

Cf.

pp.

21-22. 55 « Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, .aussi avons-nous des lunettes» (chap.

1). Pangloss s'acharne à instituer des enchaînements entre les événements, quitte à énoncer les liens de causalité les plus saugrenus, prouvant ainsi que la vérole « était une chose indispensable dans le meilleur des mondes, un ingrédient nécessaire : car, si Colomb n'avait pas attrapé dans une île de l'Amérique cette maladie qui empoisonne la source de la génération, (...

) nous n'aurions ni le chocolat ni la cochenille » (chap.

4). Voltaire trouve cette philosophie incohérente et scandaleuse puisqu'elle explique et accepte l'horreur.

Il n'a pas poussé la caricature aussi loin que le lecteur pourrait le croire: ce n'est pas lui qui a inventé les plus ridicules des arguments finalistes. Bernardin de Saint-Pierre affirmait ainsi dans ses Études de ta nature parues en 1784, bien après Candide : « Si la vache a quatre mamelles, quoiqu'elle ne porte qu'un veau et bien rarement deux, (c'est) parce que ces deux mamelles superflues étaient destinées à être les nourrices du genre humain.

» Cette préférence obsessionnelle pour le verbe empêche Pangloss de voir la vérité, mais aussi d'agir : atteint par la vérole, il discourt sur cette maladie dans le chapitre 4, au lieu de se faire soigner comme le lui conseille Candide. Lorsque celui-ci est blessé après le tremblement de terre, et lui dit : « Hélas ! procure-moi un peu de vin et d'huile ; je me meurs », le philosophe se met à disserter sur les causes et les effets des séismes au lieu d'aider son ami.

Ce n'est qu'après son évanouissement qu'il finit par lui apporter de l'eau d'une fontaine voisine.

Pangloss n'est pas foncièrement méchant, mais Voltaire condamne à travers lui l'attitude des pseudo-intellectuels qui se réfugient dans le langage et prétendent enfermer la réalité dans des systèmes abstraits. Cette démarche est vaine, dangereuse, inefficace.

Mieux vaut se taire et agir, comme le lui conseillent, à la fin du conte, le derviche et Candide. Un personnage figé Mais Pangloss n'évolue jamais: dans les derniers chapitres, il continue à ratiociner, à se perdre en raisonnements, imperturbable malgré tous ses malheurs.

Ses dernières paroles touchent au comble de l'absurde, dans la mesure où 56 L l'optimisme qu'il affiche repose sur les expériences les plus catastrophiques qui auraient dû l'inciter à remettre en cause son système.

Une fois encore, il cherche à établir un lien logique entre des aventures qui ne dépendent que du hasard : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles; car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches » (chap.

30).

Sa sottise incorrigible met en valeur les changements de Candide qui, par un renversement des rôles, se retrouve dans la métairie le chef spirituel de la petite communauté et parvient à faire taire et peut-être.... »

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