Les personnages secondaires Le texte des Nouvelles de Pétersbourg est relativement bref, leurs sujets assez simples. Le lecteur de ces...
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«
Les personnages
secondaires
Le texte des Nouvelles de Pétersbourg est relativement
bref, leurs sujets assez simples.
Le lecteur de ces cinq
récits éprouve toutefois une impression de complexité, de
richesse, un sentiment de fourmillement du réel.
Ceci est
dû en partie à la multiplicité des personnages secondaires
hauts en couleur qui grouillent à proprement parler tout au
long des Nouvelles de Pétersbourg.
Ils" jouent un rôle
majeur dans l'économie narrative du texte, repoussant
même parfois au second plan l'intrigue principale.
UNE FRAGMENTATION
DE SOLITUDES
La grande ville moderne est un espace parcouru en per
manence par une multitude de personnes que tout sépare.
La circulation incessante, les rencontres fortuites permet
tent d'introduire dans l'espace du récit les échantillons
humains les plus variés.
L'ouverture que l'on pourrait qualifier d'unanimiste de
« La Perspective Nevski » est très caractéristique à cet
égard.
La Perspective est le lieu où défile pratiquement
tout Pétersbourg.
Et l'auteur d'énumérer les diverses
sortes de gens qui parcourent la célèbre artère selon les
heures du jour ou de la nuit.
Le matin, la Perspective
Nevski est vide ou plus exactement peuplée de miséreux,
de représentants du bas peuple aux bottes sales et au
parler énergique.
À midi, précepteurs et élèves envahis
sent les trottoirs.
Puis vient le tour de leurs parents, des
fonctionnaires en mission spéciale et des fonctionnaires
des Affaires étrangères.
Vers trois heures on ne voit plus
que des fonctionnaires en uniformes verts : vieux
conseillers titulaires ou auliques, jeunes enregistreurs de
collège ou secrétaires de département.
À partir de quatre
heures, la Perspective est déserte et seuls y rôdent
quelques personnages atypiques : couturière, un carton
sur les bras, longue Anglaise, son réticule et un livre à la
main, encaisseur, manœuvre, hûrluberlu égaré, Le soir
venu, l'avenue se peuple de jeunes hommes pour la plu
part célibataires et qui semblent à la recherche d'un but
de toute évidence érotique.
Il n'est toutefois pas impos
sible d'y rencontrer de respectables vieillards attirés par
les lèvres charnues et les joues fardées de quelque
dame.
Enfin commis de boutique, artisans, commerçants
se promènent bras dessus, bras dessous.
DES CONSCIENCES
REPLIÉES
, SUR ELLES-MÊMES
Cette foule est évoquée avec un grand luxe de détails
significatifs, ceux qui frappent l'énonciateur.
Il s'agit la plu
part du temps de parties du corps ou du vêtement (nez,
favoris, manches, tailles).
Nous avons déjà évoqué 1 cet
emploi quasi systématique du procédé de la synecdoque
(figure de rhétorique qui consiste à prendre la matière pour
l'objet, le tout pour la partie).
Ici, l'art de Gogol évoque
avant la lettre les techniques cinématographiques expres
sionnistes2.
La Perspective Nevski regroupe bien la popu
lation de Saint-Pétersbourg, mais cette réunion est falla
cieuse.
Classes et sous-classes sont soigneusement
séparées et font des apparitions successives qui évoquent
un ballet soigneusement réglé.
Il n'y a pas de communica
tion entre les uns et les autres.
La foule qui défile en un
mouvement tout à la fois perpétuel et figé est formée de
consciences repliées sur elles-mêmes et auxquelles les
autres apparaissent comme autant d'objets ou fragments
d'objets.
Ces derniers se démultiplient à l'infini, d'où lés
interrogations rhétoriques et les exclamations portant sur
la quantité («combien!», «que de!»).
1.
VÔir ci-dessus p.
30.
2.
Art qui insiste sur l'intensité de l'expression (grossissement du
trait, effets d'éclairage).
On peut citer les films de Fritz Lang Le
Testament du docteur Mabuse ou Métropolis.
C'est un peu de la même façon qu'est évoqué le quar
tier de Kolomna dans «Le Portrait».
Refuge des laissés
pour-compte de la grande ville, il abrite fonctionnaires
retraités, veuves, petites gens.
L'écrivain évoque tour à
tour les individus «cendreux» (p.
142) qui le peuplent :
employés de théâtre à la retraite, conseillers titulaires,
anciens militaires; les veuves titulaires d'une pension et
pourvues d'une jeune fille effacée, d'un vieux toutou et
d'une pendule constituent l'aristocratie du lieu.
On y ren
contre également des comédiens, des vieilles qui prient et
des vieilles qui s'enivrent, enfin des vieilles qui s'enivrent
et qui prient tout à la fois.
D'aucunes traînent à grand
peine d'infâmes guenilles depuis le pont Kalinkine jusqu'au
quartier des fripiers pour assurer à grand-peine leur maigre
sqbsistance.
DE L'INDIVIDU
AU GROUPE
Partant d'un individu précis, Gogol aime à 1 passer au
groupe dont il est représentatif.
Ainsi naissent des
tableaux de genre peuplés de personnàges secondaires
caractéristiques du groupe et saisis dans l'exercice de
leurs occupations favorites.
C'est ainsi que nous voyons
défiler : artisans allemands, assesseurs de collège, comé
diens de Kolomna occupés à réparer des pistolets, à fabri
quer des objets en carton et à jouer aux cartes et aux
échecs.
Les peintres pétersbourgeois contrastent avec la
masse de la population pétersbourgeoise composée de
fonctionnaires et d'artisans.
Ce sont gens paisibles, dis
crets et timides.
Et l'auteur de décrire leurs modestes
modèles, le bric-à-brac de leurs ateliers, leurs vaines tenta
tives d'élégance.
Tout autres sont les officiers du type de
Pirogov' qui constituent une sorte de classe intermédiaire
de la société.
Habitués des salons de la classe moyenne,
ils sont passés maîtres dans l'art de faire rire les jeunes
filles à marier.
En dépit de goûts assez discutables, ils se
piquent de connaître la littérature et de fréquenter les
théâtres.
Le mariage avec la fille de quelque gros négo
ciant nantie d'une riche dot et d'une abondante parenté
barbue marque le sommet de leur carrière.
L'INTRIGUE GÉNÉRATRICE
DE PERSONNAGES
SECONDAIRES
Artisans, petits fonctionnaires, employés de police,
médecins, l'intrigue génère une prolifération de personnages secondaires dont la route croise à un moment ou un
autre celle des personnages centraux.
« La Perspective Nevski »
Dans « La Perspective Nevski», Piskariov se retrouvant
dans une maison de passe, rencontre trois pensionnaires
de l'établissement.
L'.une interroge les cartes, la seconde
joue du piano avec deux doigts tandis que la troisième se
peigne sans songer à interrompre sa toilette à l'arrivée
d'un inconnu.
Le même Piskariov se procure de l'opium
chez un mystérieux Persan qui n'est pas sans évoquer
l'usurier oriental du «Portrait».
Les aventures de Pirogov, compagnon et antithèse de
Piskariov le conduiront chez un artisan allemand, Schiller1,
ferronnier de son état qu'il trouve en compagnie de son
ami Hoffmann2, bottier.
Tous deux sont ivres.
On rema'rque
bien sûr l'utilisation des noms propres en co~tre-emploi.
« Le Portrait »
Dans « Le Portrait», les rebondissements de l'intrigue
conduisent le lecteur chez un pittoresque marchand de
tableaux, puis lui font rencontrer un commissaire bon enfant
et amateur d'art mandé par un propriétaire en colère.
Le défilé des clients chez le jeune peintre donne à l'auteur l'occasion de présenter de nouveaux personnages
secondaires.
L'écrivain évoque plus longuement la première cliente qui vient, accompagnée de Lisa, sa fille.
1.
Le nom de cet artisan évoque naturellement Friedrich von
Schiller (1759-1805).
Auteur de drames historiques (Les Brigands,
Don Carlos, Walenstein) et de poésies lyriques, il exerça une
grande influence sur les écrivains romantiques français.
,
2.
Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822).
Ecrivain
romantique, auteurs d'opéras et de récits fantastiques (Contes
des frères Sérapion, La Princesse Brambilla, Le Chat Murr).
Des récits dans le récit relatent la dégradation morale
qui touche tous ceux qui eurent un jour affaire au mysté
rieux usurier.
Ils font surgir de nouveaux personnages épi
sodiques.
Un jeune seigneur, jadis généreux mécène
animé de nobles intentions, accepte l'argent de l'usurier.
Aussitôt, il se transforme en un être vil et soupçonneux et
causera la perte de nombre d'innocents avant d'être desti
tué de sa charge.
Puis c'est le prince R.
qui, à peine marié
à la femme admirable qu'il adorait, se transforme en tyran
et en bourreau de son épouse, manque de l'égorger avant
de retourner son arme contre lui.
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