Devoir de Philosophie

Les thèmes dans Candide de Voltaire LE FANATISME Le moins difficile à extirper de tous les grands maux sociaux, ce...

Extrait du document

« Les thèmes dans Candide de Voltaire LE FANATISME Le moins difficile à extirper de tous les grands maux sociaux, ce devrait être le fanatisme. L'inquisition Voltaire s'est documenté sérieusement sur l'inquisition. Fondée avant tout pour extirper l'hérésie des Albigeois', la juridiction spéciale confiée aux Dominicains par le pape Grégoire IX en 1233 avait été amenée peu à peu à sévir contre tous les « infidèles » : musulmans, protestants et renégats de tout bord, philosophes orgueilleux toujours suspects de déviationnisme, sorciers, et, bien entendu, juifs (sauf lorsque ceux-ci avaient de très hautes protections de par leur rôle de banquiers comme le Don lssachar de Candide, chap.

8). Voltaire, dans le Traité sur la tolérance, comme Montesquieu dans L 'Esprit des lois, argumente avec force contre tous ceux qui s'estiment assez sûrs de leurs opinions improuvables pour brûler à petit feu ceux qui n'aperçoivent pas les mêmes évidences.

Dans Candide, conformément à sa méthode, il n'énonce même pas « les délits d'opinion» reprochés aux condamnés.

Pour souligner l'absurde encore davantage, il se contente d'indiquer, sans aucune explication, les actes extrê­ mement légers pour lesquels les coupables vont recevoir leur châtiment.

Un habitant de Biscaye est accusé d'avoir « épousé sa commère», c'est-à-dire la personne qui a été marraine de l'enfant dont il est lui-même parrain.

Deux Portugais, « man­ geant un poulet, en ont arraché le lard».

Pour Candide et Pangloss, c'est encore pis: Pangloss « a parlé», et Candide a « écouté avec un air d'approbation », c'est tout (chap.

6). 1.

Les Albigeois croyaient que Dieu, parfaitement bon, n'avait pas créé le monde mauvais.

Le monde était l'œuvre d'un principe mauvais appelé d'ordinaire Satan, et parfois Satanaël. La charge paraît grosse, mais Voltaire est sûr que ses lecteurs le suivront.

Une Relation de /'Inquisition de Goa, de Dellon, une Histoire de /'Inquisition, de Marsollier, avaient paru en France et en Allemagne à la fin du xvue siècle et la première, en tout cas, avait été très souvent réimprimée.

On savait donc que les règlements de !'Inquisition portaient effectivement : il faut dénoncer celui « qui retire de la chair des animaux dont il se nourrit le suif ou la graisse » car c'est une preuve qu'il observe les commandements de la loi mosaïque, qu'il «judaïse».

On savait que l'Église interdisait, sauf dérogation spéciale, le mariage entre le parrain et la marraine d'un même enfant (l'intrigue de L 'Ingénu reposera en grande partie sur cette prescription).

On savait enfin que la procédure judiciaire des inquisiteurs était absolument secrète, que les dénonciations étaient permises et recommandées, que des « familiers » avaient mission de détecter les suspects, etc.

: « Pour encourir le soupçon d'hérésie, dit Marsollier, il ne faut qu'avancer quelque proposition qui scandalise ceux qui l'entendent, ou même ne pas déclarer ceux qui en avancent de pareilles.

» Le lecteur de Candide comprend donc facilement ici les quatre motifs de condamnation, y compris ceux de Pangloss et de Candide.

Pangloss a avancé une proposition scandaleuse, entraînant objectivement, selon les inquisiteurs, la négation du péché originel ; Candide ne l'a pas dénoncé ; ils sont coupables (chap.

6)1. L'auto-da-fé De même, pour le récit de I' Auto-da-fé (Acte de foi, cérémonie solennelle de jugement et de réparation destinée à affermir la foi), Voltaire suit d'extrêmement près le texte et surtout les planches du livre de Dellon2 : « Ceux qui sont tenus pour convaincus [c'est-à-dire qui n'acceptent pas de faire leur confession, leur « autocritique »l portent une (...

) espèce de scapulaire, appelé samarra, où le portrait du patient est représenté au naturel, devant et derrière, posé sur des tisons embrasés avec des flammes qui s'élèvent et des démons tout à l'entour (.

..

) Mais ceux qui s'accusent et ne sont pas relaps portent sur leurs samarras des flammes renversées la pointe en bas.

» Dellon parle aussi des « bonnets ! 1 1.

Cf.

p.

23-24.

2.

Cf.

ci-dessus. 4-'I de carton » des condamnés, « élevés en pointe à la façon d'un pain de sucre, tout couverts de diables et de flammes de feu »...

Même « les rafraîchissements» qui sont servis à Cunégonde et aux dames « entre la messe et l'exécution» (chap.

8) trouvent leur origine dans une autre notation du même témoignage : la cérémonie étant fort longue, « il n'y eut personne qui ne mangeât ce jour-là dans l'église», rapporte Dellon. Appuyé sur de tels documents, connus, je le répète, d'une bonne partie de ses lecteurs, Voltaire peut se permettre de corser la présentation générale, et tout de même d'inventer quelque peu - toujours en vue de souligner l'absurde : Après le tremblement de terre qui avait détruit les "trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler (...

) Le même jour, la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable (chap.

6). En réalité, la terre trembla bien une seconde fois, en décembre 1755, mais sans qu'il y ait eu autodafé.

On en célébra un seulement le 20 juin 1756, puis de nouveau en 1757 et 1758, et certains fidèles superstitieux purent croire sans doute que de telles cérémonies leur vaudraient la clémence divine, mais les « sages du pays», en particulier les théologiens de la très célèbre université de Coïmbre, n'affirmèrent pas que c'était là un moyen très efficace pour prévenir les secousses sismiques...

Enfin et surtout, il n'y eut pas ces années-là au Portugal, semble-t-il, d'exécution de condamné.

La dernière sentence de mort prononcée par l'inquisition le fut en 1783, en Espagne1. De la fiction à la réalité Voltaire peut encore ici, dans tout le chapitre, conserver volontairement un ton dénonciateur certes, mais d'une très franche gaieté.

Il ne se doute pas que sept ans plus tard, le 1.

L'inquisition y fut supprimée en 1808 par Napoléon 1°• installé en Espagne, rétablie aussitôt après sa chute en 1814, supprimée définitivement en 1834. 42 l l ~ .- 4 juin 1766, en France même, à Abbeville, un tribunal qui n'était pas d'inquisition allait condamner le chevalier de La Barre1 et son compagnon Gaillard d'Étallonde2 à faire amende honorable de leurs impiétés devant le porche de la cathédrale Saint-Wolfram, pour, ensuite, avoir la langue coupée, être décapités et leurs corps jetés au feu 3 • Voltaire avait cru dans Candide écrire une somme de tous les maux de son temps. La réalité dépassa la fiction.

Le chevalier de La Barre ayant déclaré qu'il se défendrait jusqu'au bout si on essayait de lui couper la langue, on y renonça en fin de compte - pour ne pas troubler le spectacle ! Il fut décapité devant une grande foule par le même bourreau qui venait de décapiter à Paris, tellement maladroitement qu'il lui fallut s'y reprendre à plusieurs fois, l'innocent Lally-Tollendal. LA GUERRE , t Voltaire va parvenir aussi à rire de la guerre.

Mais, cette fois, ce n'est plus le rire de la gaieté, c'est le rire « grinçant» évoqué par Flaubert.

Sur les cent années du xvme siècle, l'Europe en a connu quatre-vingts de conflits - non pas même pour la plupart de ces conflits idéologiques, sociaux ou nationaux pour lesquels les hommes peuvent estimer qu'il vaut la peine de tuer et de mourir, défendant une liberté ou des bases de justice politique et sociale élémentaire sans lesquelles la vie leur paraît indigne, mais des conflits d'intérêts sordides quand ce n'était pas de simple vanité dynastique, menés par des armées en grande partie mercenaires et auxquels les peuples n'étaient guère intéressés que pour souffrir.

Pendant la décade qui précède Candide, les alliances changent complètement : en 1748, la France combattait avec la Prusse contre l'Autriche; en 1756, elle combat avec l'Autriche contre la Prusse.

La Suède, l'Allemagne, la Bohême sont à feu et à sang ; partout des combats, sur mer, aux Indes, aux Amériques. 1.

Il avait vingt ans. 2.

Celui-ci par contumace, heureusement; il avait réussi à s'enfuir. Voltaire obtiendra que Frédéric Il l'accueille en Prusse. 3.

L'arrêt intégral, avec les attendus, a été publié par le Courrier rationaliste (1963, p.

179). 43 Voltaire, qui a des correspondants presque dans chaque pays, n'ignore rien de ces horreurs.

La duchesse de SaxeGotha lui écrit le 7 juin 1757: « Les ruisseaux de sang humain qui inondent les champs de bataille et les gémissements de tant d'expirants me font horreur.

La ville de Prague (.

..

) se rendra à coup sûr, si elle n'est pas consumée par les flammes.» Mais la duchesse de Saxe-Gotha ne demeure pas moins fervente leibnizienne.

Voltaire en est stupéfait.

Toutes ses lettres de cette époque retentissent au contraire de sa double indignation, contre les massacres, et contre la « philosophie » qui prétend les expliquer, les faire accepter : On ne peut pas dire encore : tout est bien ; mais cela ne va pas mal, et avec le temps l'optimisme sera démontré. Tout est bien, tout est mieux que jamais, voilà deux ou trois cent mille animaux à deux pieds qui vont s'égorger pour cinq sous par jour'. La rage de Voltaire contre « cette boucherie héroïque » (chap.

3) est à la source même de Candide.

Les hommes osent faire de la littérature2 et de la musique avec des cadavres qu'ils accumulent ; ils chantent avant et après les combats, à la gloire des tueurs (chap.

3). Voltaire souligne la complicité de l'Église dans ces massacres. « Les deux rois faisaient chanter des Te deum, chacun dans son camp.

» Voltaire dénoncera à plusieurs reprises cette absurdité plus scandaleuse encore que toutes les autres, dont un homme comme Bossuet ne semblait même pas prendre conscience : Le merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain.

Si un chef n'a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n'en remercie point Dieu ; mais lorsqu'il y en a eu environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble 1.

Lettres de 1756, 1757, 1758, passim. 2.

Voltaire lui-même en a fait, et de la plus mauvaise, avec son poème de la bataille de Fontenoy.

Ici encore, Candide est écrit avec ses souvenirs. 44 l ~ j 11 r t de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes'. Dans Candide, comme toujours, le texte est plus bref, plus réaliste.

Énoncer le scandale est suffisant.

La mention des Te deum tient en une ligne.

Voltaire se contente de dépeindre ce qui est, sans craindre les clichés ni les accusations de mauvais goût : Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort.

Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓