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L'espace Hugo juge très sévèrement, dans la Préface de Cromwell, la règle classique des trois unités au théâtre. Seule l'unité...

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« L'espace Hugo juge très sévèrement, dans la Préface de Cromwell, la règle classique des trois unités au théâtre.

Seule l'unité d'action trouve grâce à ses yeux, pour autant qu'elle soit envisagée avec souplesse.

C'est pour l'unité de lieu qu'il se montre le plus sévère: il juge particulièrement absurdes les contraintes que celle-ci impose aux dramaturges, comme par exemple faire se réunir des conspirateurs dans la salle du trône elle-même, où se tenait, à l'acte précédent, le despote à abattre.

Mais à l'inverse, les limites matérielles de la représentation théâtrale imposaient, à l'époque ro­ mantique, une certaine retenue.

Le dramaturge ne pouvait pas multiplier les lieux à l'excès; ce qui aurait rendu sa pièce techniquement injouable. Hugo, dans sa pratique de dramaturge, opte donc logi­ quement pour un équilibre entre le lieu théâtral unique des Classiques, dont il récuse l'invraisemblance, et l'éclate­ ment anarchique de l'espace, qui obligerait les régisseurs à opérer des changements de décor trop fréquents.

Un tel souci, en revanche, est absent chez Musset, qui n'écrivait pas pour la représentation scénique, mais pour la lecture. D'où la difficulté technique - encore de nos jours - de monter Lorenzaccio en spectacle, avec ses trente-huit scènes qui nous font presque toutes passer d'un lieu à un ' autre. Étudions d'abord ces degrés de complexité de l'espace théâtral, puis penchons-nous sur les rapports qu'entretien�· nent, dans les drames de Hugo et de Musset, les lieux clos et l'espace ouvert.

Nous nous attacherons également à relever les divers sens symboliques dont les auteurs in­ vestissent l'espace·de leurs drames. t:"ÉCLATEMENT ,. DU LIEU THÉÂTRAL Une pièce qui concentrerait toute son action dans 'un seul lieü ne pourrait pas être un drame romantique.

En effet, la sensibilité romantique exige la variété, le changement, l'approfondissement des perspectives.

Le lieu théâtral doit donc être multiple, pas seulement pour contredire une règle classique, mais également pour donner un reflet de la vie, dans sa richesse et sa diversité.

Hugo, toutefois, apparaît plus modéré que Musset à cet égard. Unité et diversité spatiales chez Hugo Un rapide relevé suffira: cinq lieux différents dans Hernani, quatre dans Ruy Blas.

On peut dire que Hugo re- prend à son compte une interprétation partielle de l'unité de lieu: plutôt que de l'appliquer à l'ensemble de la pièce, il l'applique à chaque acte individuel.

En effet, chacun des deux drames de Hugo comporte cinq actes, comme les tragédies classiques.

A chaque acte correspond un lieu unifié, ce qui présente un avantage technique évident: les changements de décor peuvent avoir lieu entre deux actes, pendant que les rideaux sont abaissés.

La seule exception à cette nouvelle « unité de lieu » que pratique Hugo (un acte = un lieu) se trouve à la fin de Ruy Blas.

Les deux derniers actes, IV et V, se déroulent tous les deux à l'intérieur de la petite maison de don Salluste, dans les environs du palais royal.

Cet usage modéré de la liberté que permet le drame romantique dans le traitement de l'espace n'a pas que des avantages techniques: il favorise également une certaine concentration de la tension dramatique. En effet, prenons l'exemple de Ruy Blas:, les deux derniers actes de ce drame se déroulent dans le cadre exigu de la petite résidence secrète de don Salluste, où les quatre personnages essentiels vont se croiser: don César, don Salluste, Ruy Blas et la reine.

Ce lieu étroit, où viennent converger toutes les intrigues du drame - la vengeance et le complot de don Salluste, l'amour entre la reine et Ruy Blas, et les aventures picaresques de don César -, offre une sorte de cadre miniature pour un tableau général de la vie.

C'est le lieu fatidique par excellence, le rendez-vous du destin : don Salluste et Ruy Blas y meurent.

On voit se succéder, dans ce cadre étroit, les scènes les plus comiques - don César tombe de la cheminée (IV, 2) - et l'apogée du pathétique avec la scène finale du suicidè de Ruy Blas.

Si Hugo avait dispersé tous ces éléments dans des lieux divers, la tension dramatique en aurait été amoindrie. Lorenzaccio ou la dispersion maximale Par contraste, Lorenzaccio offre la dispersion maximale de l'espace théâtral.

Certes, on pourrait considérer qu'il n'y a· dans ce drame que cinq« lieux» principaux: le bord de l'eau (1, 6), Venise _(V, 2 et 7), une auberge entre Florence et Venise (V, 4), Montolivet, près de Florence (1, 5), et la ville de Florence elle-même.

Mais ce dernier« lieu», où se situent pas moins de trente-deux scènes (sur un total de trente-huit, réparties là aussi en cinq actes) est de toute évidence un lieu complexe et multiple.

On y voit défiler un grand nombre de lieux divers: des jardins, des rues, la cour du palais ducal, la chambre du duc, celle de [orenzo, les appartements de la marquise Cibo, ceux de Marie Soderini, la mère de Lorenzo, etc.

Au total, étant donné que c_ertaines scènes font réapparaître le même lieu, nous n'avons pas moins de vingt décors différents (onze extérieurs et neuf intérieurs). Nous avons vu les avantages âramatiques que retire Hugo de sa relative «économie» dans l'éclàtement de l'unité spatiale.

Cela signifie-t-il pour autant que Musset a maladroitement laissé retomber la tension dramatique de sa pièce, en «éparpillant» l'action dans une multitude d'endroits divers? Pas du tout.

Hugo et Musset ont simplement des objectifs différents, auxquels se conforme leur traitement de l'espace théâtral.

Hernani et Ruy Blas se concentrent en effet sur des destins individuels; toutefois la réflexion sur !'Histoire n'en est pas absente: que l'on songe au monologue de don Carlos devant le tombeau de Charlemagne (IV, 2).

Lorenzaccio, en revanche, est tout autant une réflexion sur la destin.ée~ collective de la ville de Florence que sur les destinées iodividuelles notamment avec les personnages de Lorenzo, Philippe Strozzi et la marquise Cibo. C'est pourquoi Musset nous montre des scènes de rues, fait parler le peuple de la ville, et multiplie le nombre des personnages: une quarantaine en tout, sans compter les pages et les soldats, en nombre non précisé.

On peut dire, en ce sens, que.... »

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