L'exécution de !'Amiral En causant ainsi ils abordèrent à Portsmouth ; une multitude de peuple couvrait le rivage, et regardait...
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L'exécution de !'Amiral
En causant ainsi ils abordèrent à Portsmouth ; une multitude
de peuple couvrait le rivage, et regardait attentivement un assez gros
homme qui était à genoux, les yeux bandés, sur le tillac d'un des
vaisseaux de la flotte ; quatre soldats, postés vis-à-vis de cet homme,
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lui tirèrent chacun trois balles dans le crâne, le plus paisiblement du
monde; et toute l'assemblée s'en retourna extrêmement satisfaite.
"Qu 'est-ce donc que tout ceci ? dit Candide ; et quel démon exerce
partout son empire ?" Il demanda qui était ce gros homme qu'on
venait de tuer en cérémonie.
"C'est un amiral, lui répondit-on.
- Et
10 pourquoi tuer cet amiral? - C'est, lui dit-on, parce qu'il n'a pas fait
tuer assez de monde; il a livré un combat à un amiral français, et
on a trouvé qu'il n'était pas assez près de lui.
- Mais, dit Candide,
l'amiral français était aussi loin de l'amiral anglais que celui-ci
l'était de l'autre! - Cela est incontestable, lui répliqua-t-on; mais
15 dans ce pays-ci il est bon de tuer de temps en temps un amiral pour
encourager les autres.
Candide fut si étourdi et si choqué de ce qu'il
voyait et de ce qu'il entendait qu'il ne voulut pas seulement mettre
pied à terre, et qu'il fit son marché avec le patron hollandais (dût-il le
voler comme celui de Surinam), pour le conduire sans délai à Venise.
Candide.
Chapitre III, extrait.
------QUESTIONS-----1 - Commentez l'emploi du pronom "on" dans le texte
De la ligne 10 à la ligne 20, on note quatre emplois du pronom indéfini "on".
Dans trois cas il sert à désigner les interlocuteurs de Candide, dans
un cas à évoquer l'autorité responsable de l'exécution ("On a trouvé ...
").
Dans tous les cas, l'usage de cet indéfini crée un sentiment de malaise car
la barbarie ici dénoncée semble recueillir une sorte d'assentiment général : c'est un "on" indifférencié qui parle et qui argumente.
C'est un
"on" tout aussi flou qui a décidé l'exécution.
Dès lors, à qui s'en prendre ?
2 - Observez la construction du texte.
Cette organisation carres- pond-elle à une évolution du ton ?
Le texte est construit de façon assez claire.
Voltaire raconte d'abord l'exécution sur un ton tout à fait détaché.
S'ensuit un dialogue où
s'opposent la pondération des Anglais et l'émotion de Candide.
Enfin
quelques lignes sont consacrées à l'évocation d'un Candide en état de choc.
Voltaire a manifestement joué sur un effet de gradation : le récit
d'abord désinvolte laisse place pour finir à la description d'un malaise
proche de la commotion.
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Introduction
- Présentation
du texte
-Annonce du
plan
Au chapitre XXIII de Candide, le héros, victime
d'un traquenard, vient d'échapper à une arrestation
machinée par un abbé périgourdin.
Faute de trouver
un vaisseau pour Venise où il espère rejoindre
Cunégonde, il s'embarque pour Portsmouth où l'attend
un épouvantable spectacle, l'exécution d'un amiral, qui
fait l'objet de ce passage.
Pour rendre compte de cette page très préméditée
qui fonctionne sur le principe de la gradation, il sera
intéressant de montrer les diverses manières dont
~'exprime successivement l'indignation de Voltaire face
à un assassinat "pour l'exemple''.
On soulignera d'abord
le ton extrêmement détaché qui est emprunté pour présenter la scène ; on mettra ensuite en lumière l'affleurement, dans le dialogue, d'une généreuse colère ; il
restera enfin à commenter l'éclat du dernier paragraphe.
Le détachement est, d'abord, le mot approprié pour
qualifier le ton qu'adopte Voltaire en présentant une
sçène directement assimilable à un spectacle populaire.
Tout un chacun semble en effet avoir oublié ses occu- le public
pations ordinaires pour un événement à ne pas manquer : "une multitude de peuple couvrait le rivage".
Cette foule regarde "attentivement", c'est-à-dire avec une
intensité qui n'implique aucune émotion particulière une
sorte de scène de théâtre, "le tillac d'un des vaisseaux".
Nous sommes conviés, sans plus d'émotion que s'il
s'agissait d'une sorte d'attraction, à y relever la présence de personnages, un individu à genoux, dont on
- les acteurs
note au passage la corpulence, (comme si cela importait) signalée par le qualificatif "assez gros", et quatre
soldats "postés vis-à-vis".
Il y a dans ces indications
vierges de toute compassion, se bornant à fournir des
indications chiffrées et spatiales, quelque chose d'inattendu vu les circonstances.
Mais l'inattendu le cède au
surprenant quand nous est relatée, sans la moindre
- l'action
variation de ton, l'exécution elle-même.
Lorsque les
pistolets sont déchargés, c'est un honnête et froid
reportage qui nous informe de la quantité de balles
tirées à la destination du "crâne" de l'intéressé.
La précision des chiffres comme l'inadaptation du
ton au drame sont caractéristiques de la manière voltairienne, et tout particulièrement l'effet savamment mul- un sens aigu tiplicateur de l'expression "chacun trois balles".
Cornde la précision ment ne pas songer à l'épisode de la guerre où l'on
voit la mousqueterie détruire "à peu près six mille
hommes de chaque côté" ?
Une fois de plus, c'est au lecteur qu'est laissé le
soin de faire l'opération et de sécréter lui-même, du
- c'est au lecteur même coup, la noble indignation que suscite en lui, si
de jouer
ce n'était assez de l'horreur du spectacle, la sécheresse
émotive de la relation des faits.
Cet appel indirect à la conscience du lecteur est très
savamment piloté comme en témoigne l'emploi des
deux superlatifs - "le plus paisiblement du monde" et
"extrêmement satisfaite" - qui, au lieu de souligner l'horI - Un spectacle
populaire
Transition
reur de la scène en renforcent l'apparente banalité.
Exécuteurs et public ont le sentiment du devoir accompli.
L'ironie est ici nettement marquée puisqu'en abondant exagérément dans le sens des Anglais, Voltaire
confère à leur attitude flegmatique tous les dehors de
l'énormité.
C'est alors que le dialogue vient relayer la description ; Voltaire affine sa méthode, s'efface, sa main est
moins voyante,....
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