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L’expérience morale et la détermination des devoirs.

Publié le 12/11/2016

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morale

Il n’est pas besoin, disait-il, pour être un honnête homme, pour donner une ferme direction à sa vie morale, de croire à des règles éternelles, immuables. On peut vivre et mourir pour des certitudes relatives. Déjà Fichte, par réaction contre un kantisme trop abstrait, conseillait : « Agis toujours conformément à la conviction de ton devoir ; cherche d’abord à te convaincre de ce qui est ton devoir en chaque circonstance : et, une fois en possession de ce que tu crois être ton devoir, fais-le par cette seule raison que tu es convaincu de bien agir... Il n’y a aucun critère extérieur de l’obligation... Aucune loi n'est obligatoire que sous condition d’être vérifiée par notre examen personnel ». Certes, la subjectivité pure pourrait être dangereuse. Mais, nous l’avons vu, Rauh estime nécessaire la confrontation de notre expérience intime avec la conscience d’autrui, avec les idéaux collectifs. Il insiste seulement sur le rôle (comme en science) de l’esprit critique. La décision demeure, à ses yeux, œuvre toute personnelle, adaptée au réel concret et non déduite d’idéologies abstraites ou trop soucieuses de se conformer docilement à l’opinion commune.

 

Avant de terminer sur ce point, rappelons-nous ce que nous avons vu dans l'étude psychologique de la volonté. Elle n’a de signification, disions-nous que lorsqu’il s'agit de ne pas faire ce que, dans certains cas, nous aurions instinctivement envie de faire ; et, dans d’autres cas, faire ce qui nous est pénible. N’est-ce point précisément aussi la signification de la morale ? Si nous étions parvenus à ce stade rêvé par Spencer, où notre unique penchant serait celui de l’action droite, à quoi la morale servirait-elle ? La naïve parole d’un enfant, rapportée par le psychologue Groos symbolise le problème : « La raison, c’est quand on a couru, qu’on a soif, et qu’on ne boit pas »...

 

La raison, certes... La volonté morale est à base de raison. Mais n’oublions pas que, sans un puissant état affectif, la volonté n’est plus rien qu’une horloge sans poids ni ressort. Cet état affectif indispensable sera, en premier lieu, un sentiment de respect, de confiance envers les éducateurs, parents ou maîtres. (Et, au degré le plus élémentaire, il résultera des sanctions, donc du dressage).

 

Quant à l’autonomie, c’est-à-dire la domination et la direction de soi-même, elle naîtra de l’adhésion intelligente et vigoureuse à une régulation comprise. Mais, supprimez le désir d’agir en vue d’un idéal à réaliser (dont la qualité peut être soit simplement honnête, soit d’une sublime élévation), supprimez, en un mot, ce que comporte d’affectif la motivation, et la règle demeure alors une vue abstraite de l’esprit, sans chaleur vivante, sans efficacité.

1. — L’EXPÉRIENCE MORALE.

 

« L’expérience morale », c’est le titre d’un ouvrage publié au début de ce siècle (1903) par Frédéric RAUH (1861-1909). Comme son contemporain Gustave Belot (1858-1929), Rauh se tient à l’écart de l’école sociologique durkheimienne, parce que celle-ci ne considère pas assez, dira Belot, « à côté de la société qui fait l’homme, une société que l’homme fait. »...

 

Mais, surtout, les deux moralistes sont d’accord pour répudier toute morale « théorique », déduite d’une métaphysique. Ils proclament la spécifité de la morale. En 1896 déjà, G. Belot concevait la possibilité « d’une attitude qui soit, en morale, ce qu’est l’attitude scientifique dans la connaissance »...

 

Si l’on entend par théorie morale, déclare Rauh, une doctrine telle que l’on en puisse déduire idéologiquement telle conviction morale, ou encore la position d’un dogme moral immuable, je n’y crois pas. Le seul fondement de la certitude intime se trouve dans l’expérience morale.

 

Le savant accepte au point de départ de ses recherches les découvertes de ses prédécesseurs. De même, le moraliste et l’honnête homme partent des traditions ; mais ils vérifient les idées traditionnelles à l’aide de leurs expériences personnelles. Il serait insensé de n’attribuer aucune valeur à ce qu’ont pensé ceux qui nous ont précédés : l’homme ne peut pas plus faire à lui seul sa morale qu’il ne fait sa géométrie ou sa physique. L’imprudence serait toutefois de se fier aveuglément à la tradition. La morale ni la science ne seront jamais achevées.

 

Si Rauh compare l’expérience morale à la recherche scientifique, ce n’est qu’un moyen de se faire entendre ; c’est une sorte de symbole. Il veut dire surtout que l’honnête homme, conune le savant, garde une attitude impartiale, qu’il juge de toutes choses indépendamment de ses intérêts, de ses convenances personnelles. Et la rationalité, dans les deux cas, consiste en ce que, toutes les fois que l’on se pose une question, on y répond d’une façon impersonnelle et désintéressée. Pourtant, à d’autres égards, l’expérience morale n’est pas une expérience construite comme celle de la science. Dans la science, il s’agit presque toujours de faits matériels et mesurables. Les contenus de l’expérience morale, les données éprouvées par elle (cf. G. Gurvitch, lect.) sont des éléments en perpétuel devenir ; ils sont individualisés, ne peuvent à proprement parler s’universaliser. « Les principes moraux ne sont pas des momies royales silencieusement préparées dans le sanctuaire des cabinets d’études ». L’expérience morale est

morale

« L'EXPÉRIENCE MORALE 19 3 une intUitiOn temporalisée, toujours révisible, demandant sans cesse des retouc hes.

Il faut, pour agir moralement, se placer dans la durée, dans le présent.

On agit dans un temps, dans une famil le, dans des circonstances déterminées ...

Dans l'enquête qu'il mène, le moraliste s'intéresse cependant à d'a utres types moraux que le sien propre .

Dans le passé, à défaut du présent, il faut s'attacher à ces modèles vivants dont parle Hoffding : non seulement les honnêtes gens, mais les sages, les héros, les saints.

Il faut recueillir le témoignage « des consciences qui comptent ».

La concr étisation, 1 'individualisation des principes moraux conduisent Rauh à un pluralisme (•) large et tolérant, qui n'a rien d'un scepti­ cisme.

Il veut que l'enquête soit impartial e.

Méthode «en éventa il•, dit-il.

Car « la croyance morale est l'aboutissement de voies nom breuses et diverses » ••• En réfléchissant nous-mêmes, après coup, sur ce que nous avons éprouvé dans l'action, nous pouvons nous persuader qu'il s'agit d'une vérita ble expérience des valeurs morales, et non d'une illusion, «chaque fois que notre réflexion aura constaté que la valeur éprouvée n'exclut pas et ne détruit pas les valeurs saisies par d'autr es sujets et d'autres group es, mais les complète "· En somme, pour Rauh, une croyance morale ne se prouve pas : elle s'épr ouve .

• •• '"'.

0 0 •• 0 •••••• 0 •••••• 0 •••••• 0 ••••• •••••••••••• • •••••• ••••• Les critiques n'ont pas manqué à ces conceptions, s'accompagnant tou jours, d'ailleurs, d'une profonde et vive symp athie pour l'ardeur et la sincérité du moral iste.

•Nous croyons, dit A.

Cuvi llier (lect., p.

r6r) que Rauh n'a réussi ni à donner à sa pensée une parfaite unité, ni à découvrir un critère de l'expérience morale vraiment décisif>.

Dans l' intéressant chapitre qu'il a consacré à l'e xpérienée morale, A.

Cuvillier préfère .cependant, à tout prendre, les thèses de Rauh, même si elles manquent de précision, à d' autres qu'il énumère et analys e.

Quant à nous, il nous apparaît que, dans l'intention limitée qui est la nôtre, la connaissance des idées de Frédéric Rauh répond très suffisamment à ce que nous demande le Programme de notre examen.

A vouloir, en peu de place, exposer et discuter trop de thèses (parfois exagé­ rément subtiles et très contestées) nous risquerions de laisser dans l'e sprit du lecteur une impression confuse.

Au demeura nt, que devons-nous retenir de cette question, si justement situeè dans l'ensemble de nos objets d'étude, entre le Devoir (la valeur, l'e Bien) et la dét{!rmination des devoirs (puis la responsabilité ?) C'est, -e t tous les auteurs qui en ont parlé lui ont rendu hommage, -le caractère si vivant, si humain des exhortations contenues dans l'œuvre de Rauh .

S'il n'a pas fourni de critère précis de l'action droite, on ne saurait, à notre humble avis, le lui reprocher.

Car il n'etît .alors réussi qu'à fourn ir un système , lui qui s'élevait contre toutes les morales systém atiques ...

Il ne pensait pas que la moralité, pour trouver justifi­ cation et sécuri té, n'ait d'autre ressource que de se relier à un Absolu.

7. »

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