Lorenzaccio et le mal du siècle romantique Tous ces thèmes marqués par les apparences s'inscrivent dans cette attitude désespérée des...
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Lorenzaccio
et le mal du siècle
romantique
Tous ces thèmes marqués par les apparences s'inscrivent
dans cette attitude désespérée des romantiques et de Mus
set devant la vie à laquelle on a donné le nom de « Mal du
siècle».
Celui-ci repose tout entier sur la conception d'un
monde éclaté : le xv11° siècle classique parvenait à reconsti
tuer l'unité de l'univers autour de valeurs figées; le xv111°
siècle y arrivait, en prenant comme références la raison et le
progrès; les romantiques, impuissants, constatent les
contradictions irrémédiables dans lesquelles l'homme
doit vivre.
LES TARES
DE LA POLITIQUE
ET DE LA SOCIÉTÉ
Incohérence de l'histoire
Le mal du siècle qu'éprouvent les romantiques est une
attitude à laquelle on a souvent reproché le caractère artifi
ciel, mais c'est également le résultat d'une réflexion provo
quée par une situation politique.
Depuis 1789, la France vit à
l'heure des bouleversements.
Les révolutions se succèdent.
Tout système de références cohérent s'effondre, dans la
multiplication des divergences.
Aucune marche logique ne
semble être suivie par l'histoire.
Tout paraît être livré au
hasard ou à des personnages providentiels qui surgissent et
s'évanouissent tour à tour : Alexandre de Médicis assassiné,
qu'importe? Côme est là pour lui succéder.
À l'époque de
Musset, on espérait en Louis-Philippe.
Il ne vaut pas mieux
que Charles X.
C'est de nouveau l'échec.
Une fois de plus,
les aspirations républicaines ont été trompées.
Dans Lorenzaccio, Musset n'a pas résisté à la tentation de
juger les faits à travers son époque.
L'évocation de l'Italie de
la Renaissance doit beaucoup à la France contemporaine de
l'auteur.
L'insouciance du peuple et l'inconséquence des
républicains, c'est la transposition de l'échec de 1830 qui a
vu à une royauté, celle de Charles X, succéder une autre
royauté, celle de Louis-Philippe, alors que tout était possible.
L'attitude de Venturi et de Bindo qui acceptent les faveurs
du duc (acte Il, scène 4) est le reflet de la compromission de
certains républicains avec le pouvoir royal.
L'éloge de la cour
que fait le marchand (acte 1, scène 2) est la transcription
d'une mentalité, générale chez les commerçants de ces
années 1830, qui soutenaient le régime du roi bourgeois,
parce qu'il leur donnait l'occasion de s'enrichir.
La fin de la
réplique de Philippe Strozzi : « Allons-y donc plus hardi
ment; la république, il nous faut ce mot-là.
Et quand ce ne
serait qu'un mot, c'est quelque chose, puisque les peuples
se lèvent quand il traverse l'air...
» (acte Il, scène 1 ), c'est le
cri des républicains avides de liberté.
Une société morcelée
Une royauté acceptée par tous, parce que de droit divin,
c'était la caution d'une hiérarchie qui ne reposait pas sur une
disparité entre les différents individus, mais sur une décision
de la Providence, agissant dans le cadre de l'harmonie du
monde; une république, c'est la garantie de la liberté et de
l'égalité dans le respect mutuel; un régime de téndance
monarchique suscité par les circonstances, qu'il soit imposé
par des puissances étrangères, comme celui des Médicis,
ou toléré avec plus ou moins de réticences, comme celui de
Louis-Philippe, c'est une couverture commodément offerte
à une minorité pour opprimer la majorité.
Voilà qui contribue à enfermer chaque groupe social à l'in
térieur de ces barrières que représentent la naissance, l'ar
gent, l'éducation, comme le souligne Lorenzo à propos de
Gabrielle : « D'ailleurs, fille de bonnes gens (naissance), à
qui leur peu de fortune (argent) n'a pas permis une éducation
solide; point de fond dans les principes, rien qu'un léger ver
nis » (acte 1, scène 1 ).
Et ce cloisonnement est encore
accentué par la montée des ambitions personnelles : elles
aboutissent à l'aggravation des contradictions entre l'être
individuel et l'être social, chacun ayant tendance, au lieu de
contribuer au bonheur général, à exploiter les avantages que
lui offre une situation donnée : ainsi, le marchand, malgré
son honnêteté, approuve la vie de fête de la cour, parce qu'il
en profite pour s'enrichir (acte 1, scène 2).
UN CONSTAT D'ÉCHEC
La faillite de l'homme
La réflexion sur l'homme ne fait que confirmer ces
constats.
Le progrès aggrave, selon Musset, les inégalités
sociales, parce qu'il aboutit à l'amélioration de l'existence
des seuls privilégiés qui peuvent ainsi, grâce au travail des
autres, se livrer à tous les plaisirs.
Comment croire à la rai
son, devant le spectacle des soubresauts politiques, à la vue
de l'inconséquence du peuple, qui, lorsque le gouverneur de
la citadelle « a offert de livrer la forteresse aux amis de la
liberté, avec les provisions, les clefs, et tout le reste [...], a
braillé, bu du vin sucré, et cassé des carreaux » (acte V,
scène 5)? La religion, comment s'y fier, alors qu'elle a perdu
son unité, qu'elle n'est plus une référence absolue?
L'action ? De quelque manière qu'on l'envisage, elle
échoue.
Qu'elle engage la sensibilité, comme chez la mar
quise, c'est la trahison de soi-même; qu'elle sollicite la
réflexion, comme chez Philippe, c'est l'impuissance; qu'elle
fasse intervenir la détermination, comme chez Pierre, c'est
l'aventure; qu'elle se développe souterrainement, comme
chez le cardinal, c'est la dissimulation, le machiavélisme;
qu'elle mette en œuvre enfin toutes les facultés, comme
chez Lorenzaccio, c'est l'autodestruction.
Dans tous les cas,
c'est l'inutilité, la déception, l'échec: le compromis réfor
mateur aussi bien que l'activisme radical ne mène à rien.
Les relations humaines? Elles reposent sur l'ambiguïté et
sont à la merci de ces revirements qui font subir à l'individu
de monstrueuses métamorphoses.
L'idéal? Il est inacces
sible, et crée l'orgueil et la démesure.
Le triomphe du Mal
L'homme serait-il donc foncièrement mauvais ? Dans le
jeu des contradictions qui le marquent, l'un des aspects
l'emporte irrémédiablement.
Et c'est malheureusement
souvent celui qui satisfait ses mauvais instincts.
La méta
morphose qui s'opère donne· naissance à des monstres.
C'est là une vision pessimiste qui repose sur cette concep
tion selon laquelle les apparences sont en fait des masques
d'honnêteté et de bonté bien fragiles, si bien que la vérité
faite d'impureté et....
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