« Lorsque Adam et Êve se sont retrouvés ensemble, ils se sont mis à dan sern, nous dit Michel Serres....
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« Lorsque Adam et Êve se sont retrouvés ensemble, ils se sont mis à dan
sern, nous dit Michel Serres.
Peut-être.
Mais, depuis, l'eau à coulé sous
les ponts et bien d'autres pensées ont détourné les hommes des plaisirs du
bal.
D'où vient que notre siècle de la raison et de la machine semble retrou
ver le goût de faire bouger les corps? Par lassitude, précisément, du dis
cours froid de la raison et par souci de retrouver quelque chose de plus pro
fond, d'intérieur.
L'attrait pour la danse a coïncidé avec la révolution des mœurs, qui a
conduit .les hommes à redécouvrir leur corps.
Un corps si longtemps
contraint, caché, honteux et qui - libéré des tabous de la religion et de la
morale victorienne 1, et aussi en grande partie des agressions de la maladie
- s'est dénudé et redressé.
Redécouverte du corps, du sexe, de l'amour.
Apparition d'une conception directe, spontanée, de la vie, dans laquelle la
femme n'est plus seulement objet de désir ou de décor, mais élément pre
mier, vital.
Pour Maurice Béjart, la danse classique, avec ses compositions
d'épures 2 dans lesquelles le corps est un théorème, ses jeux infinis de
lignes tracées par les bras et les jambes, ses grâces abstraites, est un art
fait par les hommes, pour les hommes.
C'est une conception intellectua
liste, désincarnée, de la créatior;i.
Au contraire, la danse moderne qui part
du plexus et du ventre est art de femmes.
Les grands chorégraphes qui ont
cassé les codes de la danse classique sont des femmes : Isadora Duncan
qui, la première, a abandonné le corset, - Martha Graham...
La danse
moderne a marqué l'irruption des femmes dans la création chorégraphique
et a _accompagné le grand mouvement de libération féminine qui secouait
le vingtième siècle.
La danse scelle la réconciliation du corps avec lui-même.
Ble est aussi ce
qui unit.
Ce qui implore et rassemble.
Qu'elle soit d'origine religieuse ou
sociale, la danse est trait d'union, activité collective.
Elle inclut ceux qui s'y
adonnent ou la contemplent dans une méditation commune.
Même si elle
1.
Victorienne : rigoriste, par référence à l'époque de la reine Victoria.
2.
Epure: figure géométrique.
n'a aucun« message» à transmettre, sa fonction sociale est évidente.
Les
jeunes générations d'après-guerre ont pu y trouver la communion qui leur
semblait faire de plus en plus défaut dans la société qui se construisait sous
leurs yeux et dont beaucoup se sentaient exclus.
Communion au-delà des
frontières, la découverte des traditions chorégraphiques de tous les pays, y
compris les plus lointains, mettant soudain à la portée de chacun l'accès à
une sensibilité universelle.
Les jeunes de ces trente dernières années ont
pu, par la danse, approcher du rêve de fraternité planétaire qu'ils recher
chaient aussi par d'autres voies - le voyage, l'action politique ou la décou
verte de philosophies spiritualistes...
La danse a accompagné la formation
d'une mentalité nouvelle d'ouverture du monde, de rapprochement cultu
rel des civilisations et des continents.
Elle a, en partie, été le langage com
mun par lequel, à des milliers de kilomètres, des jeunes cherchaient à se
retrouver.
En même temps, les chorégraphes modernes, rompant avec:
l'académisme 3 formel de la tradition, cherchaient à aller à la rencontre de
ces nouveaux spectateurs en exprimant les grandes interrogations de notre
temps.
Pour Maurice Béjart, chacun de ses ballets est un événement daté,
lié à une époque, à des rencontres, à des circonstances.
Un moment uni
que et qui n'est pas destiné à survivre.
« Je ne tiens pas à la pérennité de
mes ballets>>, affirme-t-il.
Le langage de la danse est celui de la fugitivité.
Un langage dépouillé, immédiat, fait d'images et de rythmes.
Un lan
gage sans phrases, relevant de cette communication audiovisuelle qui aura
été la création majeure de la fin du vingtième siècle.
L'attrait pour la danse
- comme pour la musique - a été de pair avec le rejet des signes vieillis
de l'écrit, avec un écœurement des mots.
Mais si la danse tient son prestige de ce qu'elle ne parle pas, ce n'est pas
qu'elle n'a rien à dire.
Elle exprime, au contraire, de façon directement per
çue, par le langage des corps, quelque chose d'essentiel.
Elle est le mime
de scènes primitives, de drames fondamentaux qui sont la matière même
de l'aventure humaine.
L'amour, la mort, l'affrontement, l'attirance et le
défi, l'oppression, le déchirement, l'échec, la solitude, le dépassement.•.
idées simples, universelles.
Idées qui ne sont nullement démontrées mais
vécues par le danseur et le spectateur, et que chacun interprète à sa guise.
Le chorégraphe, qui dessine avec le corps de ses danseurs dans l'espace
de la scène, n'est pas un conteur d'histoires ou un prédicateur.
C'est un
créateur de formes, dans lesquelles le spectateur viendra glisser ses pro
pres désirs.
La communication qui s'établit entre le chorégraphe et le spectateur et qui est bien réelle - se situe à un niveau d'intimité absolu.
A la fois terri
blement concrète et totalement irrationnelle, la danse est faite d'abstrac
tion et d'émotion.
Essayant de raisonner sur ce qui fait la spécificité du lan
gage de la danse, le psychologue Jean-Blaise Grize a avoué sa perplexité.
Si dans cette communication qu'établit la danse avec le spectateur le corps
du danseur est bien le signifiant, le signifié demeure une inconnue.
La
danse dit tout et ne dit rien.
La signification de cette relation, est contraint
3.
Académisme : imitation sans originalité.
de conclure ce logicien, est sans doute l'accès à la spiritualité...
Pour Michel Serres, la vérité de la danse est précisément dans ce rien,
dans ce vide qu'est le langage du danseur.
Le corps du danseur, à force
d'exercices et de souffrances, devient malléable à l'infini, c'est-à-dire capa
ble de tout dire.
Il se noie dans ses potentialités.
li est gros de tous....
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