Devoir de Philosophie

L'unité du recueil Le titre de Nouvelles de Pétersbourg s'est traditionnelle­ ment attaché aux cinq nouvelles étudiées. Il n'appartient pas...

Extrait du document

« L'unité du recueil Le titre de Nouvelles de Pétersbourg s'est traditionnelle­ ment attaché aux cinq nouvelles étudiées.

Il n'appartient pas à Gogol lui-même.

Ces nouvelles parurent pour la pre­ mière fois ensemble dans le tome Ill des Œuvres complètes de Gogol en 1842.

Nous définirons ce qui fait l'unité de ces textes perçus depuis longtemps par les lecteurs russes et non russes comme un ensemble indissoluble, un cycle, même s'ils ont été composés séparément. Cette unité est tout d'abord géographique puisque la ville de Pétersbourg est omniprésente.

Par ailleurs, le thème des humbles court pratiquement à travers tous les récits, imposant au recueil une unité sociologique, unité qui entraîne à son tour une unité thématique : les petites gens se révoltent contre les préjugés sociaux que, para­ doxalement, il leur arrive parfois de partager.

Cette révolte se termine la plupart du temps tragiquement. Enfin, ori ne peut manquer d'être frappé par l'unité litté­ raire du recueil.

Le ton très particulier du conteur gogolien ne peut en effet être confondu avec nul autre.

À la fois lyrique et ironique, compatissante et désinvolte, voire gouailleuse, sa voix donne aux Nouvelles de Pétersbourg leur coloration et leur saveur spécifiques.

Ce conteur derrière lequel se pro­ file un Gogol héritier du romantisme allemand est un élé­ ment essentiel de l'unité stylistique du recueil. UNITÉ GÉOGRAPHIQUE ET CYCLIQUE C'est avant tout l'omniprésence de la ville de Pétersbourg, le sentiment de la grande métropole moderne cruelle et artificielle qui unit les cinq nouvelles.

Au-delà d'une simple localisation géographique et sociologique, ce qui après Gogol deviendra le « mythe de Pétersbourg » commande le cycle et lui impose sa véritable unité. Lieu du désir frustré, du manque et de l'absence, la ville est comme le manteau inexistant et rêvé d'Akaki Akakiévitch. L'auteur ne donne pas de la cité une représentation ferme, sûre et «objective» dont il garantirait personnellement la vérité.

Il ne s'arrête pas sur ses splendeurs architecturales ni sur le cadre naturel.

Il choisit de peindre la conscience que ses ·pitoyables héros ont de la grande ville qui les enserre et semble engendrer malheurs et frustrations. Le regroupement, par Gogol lui-même et a posteriori, de ces récits nous mène à la notion de cycle (série de récits ou de poèmes autour d'un même sujet - ici Pétersbourg, ville de souffrance - et dans lesquels on retrouve plus ou moins les mêmes personnages).

Le procédé est fréquent en Russie à cette époque.

En effet, ce n'est qu'au début du x1xe siècle que l'on voit se constituer avec Pouchkine une littérature russe moderne originale.

La forme roma­ nesque proprement dite n'existe pas encore, à la diffé­ rence de l'Europe occidentale.

Les écrivains conçoivent donc des cycles de nouvelles qui sont autant d'approches de la forme romanesquè.

C'est ainsi que Pouchkine écrit les Récits de Be/kine, Odoïevski Les Nuits russes.

Plus tard, Lermontov donnera son chef d'œuvre, Le Héros de notre temps.

Il s'agit déjà d'un véritable roman constitué de nouvelles indépendantes unies par la puissante figure du personnage central, Petchorine.

Les Nouvelles de Pétersbourg s'inscrivent dans cet ensemble. UNITÉ SOCIOLOGIQUE LES HUMBLES Le « petit homme» Le terme de «petit homme» a été introduit par l'école littéraire russe dite « naturelle» (école du x1xe siècle de tendance réaliste qui critique la société au nom des idéaux humanitaires).

Son principal porte-parole, le critique Biélinski, emploie ce terme pour désigner en particulier les anti-héros gogoliens et leur postérité.

Il s'agit de toute la cohorte des humbles, des laissés-pour-compte, des vic­ times, des gueux et des prostituées qui peuplent la littéra­ ture russe de tendance sociale du x1xe siècle. La figure du « petit homme;> est l'un des principaux éléments unificateurs du recueil.

Ce type y est en effet largement représenté, en particulier dans« Lé Manteau».

C'est ainsi que s'explique la formule célèbre prêtée à Dostoïevski: « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol.

» Ce « nous » désignait les écrivains qui plaçaient avant tout les préoccupé!tions humanitaires, reflétaient dans leurs écrits le quotidien et les conditions de vie des humbles, s'élevaient contre l'injustice.

Les tenants de cette lecture voyaient en Gogol un précurseur de la littérature engagée, un défenseur des petites gens.

Cette interprétation presque exclusivement sociale prévalut bien évidemment durant la période« soviétique».

En revanche les commentateurs du début du siècle avaient préféré mettre l'accent sur les innovations formelles et les préoccupations mystiques de l'auteur des Nouvelles de Pétersbourg. ' Une galerie de petits fonctionnaires Poprichtchine1 et Akaki Akakiévitch sont des grattepapier typiques, situés tout en bas de l'échelle; ils se fondent dans la masseïmpersonnelle des petits fonctionnaires pétersbourgeois, sans ressources et sans défense.

De là, leurs rêves compensatoires humbles ou fous, en tout cas, dérisoires.

Le major2 Kovaliov appartient à un autre type psychologique.

Porté à la vantardise, il incarne la médiocrité triomphante.

Toutefois, l'angoisse de la dévalorisation perce sous ses propos satisfaits.

Comme les anti-héros du « Manteau » et du « Journal d'un fou », Kovaliov est l'esclave des hiérarchies sociales.

Il est vrai qu'une fois promu conseiller d'État, son propre nez peut se permettre de le traiter comme quantité négligeable ! Le grade est tout, l'homme n'est rien.

Pris au pied de la lettre, ce postulat qui fonde en partie l'unité des Nouvelles de Pétersbourg entraîne toute une série de loufoqueries littéraires. ' · 1.

Son nom procède du mot qui signifie « carrière ». 2.

En réalité, il usurpe ce titre! �rtistes désargentés et gens de condition médi�cre Piskariov, Pirogov et Tchartkov n'appartiennent pas à l'armée anonyme des fonctionnaires qui battent le pavé de Pétersbourg.

Toutefois, chacun à sa façon, ce sont des humbles, tremblant devant les propriétaires, les commissaires et les huissiers, vivant dans de modestes ateliers. Pirogov, le plus satisfait de son sort, fait partie de la classe moyenne relativement désargentée et avide d'élévation sociale.

Seul son heureux naturel lui permet d'encaisser avec philosophie les coups du sort et les humiliations. Le lecteur se trouve confronté _à une galerie de petites gens esseulés et humiliés, en proie au ressentiment et aux idées fixes.

Ils arpentent à longueur de vie les artères de la capitale, se fondent avec elle.

Leur présence confère aux Nouvelles de Pétersbourg une unité certaine. UNITÉ THÉMATIQUE Omniprésence des préjugés sociaux Les « petits hommes» gogoliens ne sont pas unique­ ment des victimes du sort et de la société.

Plus exacte­ ment, ils partagent dans une large mesure les préjugés de cette société qui,les opprime.

C'est là une des causes de leur incapacité à comprendre et à exprimer la souffrance qui les' tenaille (Akaki Akakiévitch s'exprime par interjec­ tions et bredouillements, Kovaliov présente un grand nombre de tics langagiers).

Dans « Le Journal d'un fou», nous voyons Poprichtchine très attaché aux privilèges et aux préséances.

li est convaincu de la supériorité intrin­ sèque de la noblesse: pour lui, une rue est vide si l'on n'y voit pas de nobles.

Son respect des chefs est illimité. Sordides querelles de bureaux, ragots, adéquation totale au système des pots de vin, tels sont ses repères psycho­ logiques.

Ses goûts littéraires et théâtraux sont d'une grande trivialité, ses opinions politiques rétrogrades et directement inspirées de la lecture de L'Abeil/e du Nord. Son langage fait alterner le jargon administratif et la vulgarité.

Exemple typique d'aliénation, il est le parfait représentant d'une société de hiérarchies et de castes dont il intègre pleinement les valeurs alors qu'elle l'annihile.

Ne va-t-il pas jusqu'à appeler sa bien-aimée « Votre Excellence» et à décréter que son mouchoir « sent le généralat» ! Kovaliov et Pirogov ne cessent de rappeler leur grade à propos de tout et de rien.

À l'occasion, Kovaliov ne recule pas devant l'intimidation. Si les malheurs d'Akaki Akakiévitch nous touchent, il n'en reste pas moins que le personnage est présenté comme un être à l'esprit étriqué.

Il s'identifie à tel point au système qu'il semble fait de plume et de papier.

Il confond même les avenues rectilignes de Saint-Pétersbourg avec les lignes des feuillets sur lesquels il recopie ses circulaires : A supposer qu'Akaki Akakiévitch jetât les yeux sur quelque objet, il devait y apercevoir des lignes écrites de sa belle écriture nette et coulante.

Si un cheval venait tout à coup poser le nez sur son épaule et lui souffler une vraie tempête dans le cou, il reconnaissait enfin qu'il se trouvait au milieu de la rue et non point au milieu d'une ligne d'écriture. (« Le Manteau», p.

242.) Victimes d'un système social sans pitié, les personnages des Nouvelles de Péteisbourg en intègrent jusqu'à un certain point les valeurs et ce n'est pas la moindre de leurs tragédies.

Leur psychisme écartelé entre humiliation et volonté de puissance annonce la dialectique de la victime et du bourreau développée plus tard par Dostoïevski par exemple dans les Notes du sous-sol ou Crime et Châtiment. Ainsi Raskolnikov1, qui se tient à tort ou à raison pour une victime de la société et un être supérieur, se juge en droit d'assassiner une vieille usurière inutile et nuisible afin de poursuivre ses études et d'assurer une vie honorable à sa mère et à sa sœur.

De façon générale une relation perverse est souvent susceptible de s'établir entre l'humiliateur et !'humilié dont les rôles peuvent devenir interchangeables. 1.

Personnage central de Crime et Châtiment. Désespoir et autodestruction L'.espoir irrationnel de sortir d'une situation insupportable, d'échapper à un malaise.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓