Mettre au point la problématique DURÉE : 10 MINUTES ENVIRON «Il n'y a pas de problématique», « la problématique est...
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«
Mettre au point
la problématique
DURÉE : 10 MINUTES ENVIRON
«Il n'y a pas de problématique», « la problématique est mauvaise»: ces juge
ments sonnent le glas pour les copies qui ne se rachètent ni par la forme ni par
le contenu des idées et des connaissances.
Bien souvent, il suffit que le profes
seur de philosophie parle de problématique pour que l'élève perçoive la philo
sophie à travers un sentiment d'inquiétante étrangeté.
Quel est donc ce «joker»
que le philosophe tient dans sa manche et qu'il sort sur tous les sujets?
Ce chapitre a pour but de vous familiariser avec l' « attracteur étrange » des
classes de philosophie et, surtout, de vous montrer que ce qui apparaît d'abord
comme une tâche supplémentaire par rapport aux autres dissertations, facilite
en réalité la construction du devoir.
Qu'est-ce qu'une problématique?
■
La problématique d'une dissertation philosophique est le jeu de questions,
liées entre elles et tirées du sujet lui-même, auxquelles le développement va
progressivement répondre.
La problématique est donc un programme de ques
tionnement élaboré à partir de la question posée par le sujet.
Problématiser
une question, c'est déployer cette question en questionnement.
En fait, c'est très simple à comprendre: en philosophie, les réponses possibles à
une question posée, ou les solutions envisageables d'un problèmè donné, sont
justement problématiques.
Si la dissertation philosophique doit apporter une
réponse, ce ne peut être qu'après s'être suffisamment interrogée, après avoir
posé les bonnes questions.
Vous le savez, le travail philosophique commence �
par le doute; et douter, c'est se poser des questions, les bonnes questions.
�
Problématiser une question, c'est se poser les questions auxquelles il faut
répondre d'abord pour pouvoir ensuite (et enfin) répondre à cette question: La
problématique est donc un doute organisé.
Comme le disait Bachelard, le sens
des problèmes est à la base de l'esprit scientifique, de tout travail de recherche.
■ En tant que programme de traitement du sujet, la problématique fixe les
grandes lignes du développement de la dissertation, ces grandes lignes étant des
lignes de problèmes, des étapes de questionnement.
Problématiser un sujet,
c'est préparer le plan de progression de la réflexion sur ce sujet.
Comment faire
une problématique?
■
Puisque la problématique est un jeu/ système de questions tirées de la ques
tion-sujet, l'analyse du sujet la prépare (voir chapitre précédent, en particulier
p.
60 et suivantes).
Or, la réflexion préalable sur le sujet nous a livré« en vrac» des questions et
des directions d'étude, des éléments.
La problématique doit mettre de l'ordre
dans tous ces éléments et, surtout, ne garder de l'étude du sujet que l'essentiel.
Elle doit être« opérationnelle».
Matrice du développement, programme de
recherche, la problématique effectue la synthèse de la lecture et de l'étude pré
liminaires du sujet.
Il faut alors la rédiger intégralement au brouillon, sur une
feuille spécialement réservée à cet usage.
Ainsi, au fur et à mesure de votre
progression, vous aurez en vue le programme à exécuter et maintiendrez le
cap.
Les exemples d'application et: les chapitres suivants vous montreront
mieux la nécessité, et, surtout, la féc�mdité de la problématique.
■
Au stade où nous sommes, la problématique est préparée.
II reste à l'écrire,
c'est-à-dire à condenser les données de l'étude du sujet et à mettre au point, en
les articulant entre elles, les questions ouvertes par le sujet proposé.
Au début,
cet exercice de problématisation vous paraîtra difficile, aussi difficile que l'ana
lyse des présupposés et implications du sujet : et c' est normal puisque cette ana
lyse prépare la problématique.
Il n'est pas évident, pour qui n'a pas l'habitude
du questionnement philosophique, de trouver des liens logiques entre des ques
tions ou des problèmes : il faut être en mesure d'anticiper les réponses et solu
tions philosophiques possibles de ces problèmes.
Vous le savez, c'est en
forgeant qu'on devient forgeron: c'est en problématisant des questions qu'on
s'initie au questionnement philosophique et c'est en faisant de la philosophie,
en lisant les textes des philosophe_s qu'on apprend à poser les problèmes philo-
sophiques.
C'est donc en vous èssayant à la problématique sur le plus grand
nombre possible de sujets, c'est-à-dire en en ratant beaucoup au début, que
vous vous «roderez» le mieux à cette façon de poser des questions et de
construire des « machines de problèmes» qui caractérise la philosophie.
Pourtant, vous ne devriez pas vous sentir pris complètement au dépourvu quand
on vous demande de problématiser un sujet sur lequel vous avez pris des notes
de lecture et fait des analyses.
D'une part, vous avez déjà pratiqué, au cours de votre scolarité, la contraction
ou le résumé de texte et acquis de la sorte les mécanismes fondamentaux de la
synthèse: on ne peut ramener un divers à l'unité (que ce divers soit un divers de
questions/problèmes ou un divers d'idées/propositions), on ne peut condenser
les données d'un texte ou d'un ensemble de documents que si l'on sait distin
guer l'essentiel de }'·accessoire, discerner dans le matériau à «réduire» ou à
synthétiser les principaJes lignes de force.
Vous avez donc les bases logiques
vous permettant de problématiser.
D'autre part, vous verrez phis loin (p.
126-129) que certaines formules interro
gatives facilitent la problématisation.
Enfin, la fréquentation des cours et des livres de philosophie vous apprendra
qu'il y a des «schèmes» ou des structures fondamentales de questionnement
philosophique.
Voici ces principaux «schèmes» :
■
Nature/culture, nature/histoire, nature/société, nature/éducation: alterna
tives utiles pour problérp.atiser les sujets sur l'homme, sur le langage, sur la loi,
sur le pouvoir, etc.
Exemple: «Les hommes ne désirent-ils que ce dont ils ont
besoin?».
Ce sujet appelle une définition du désir par rapport au besoin, dont
la problématisation du désir comme fait de nature ou produit de culture.
■
En soi/pour nous, objectivement/subjectivement: ce distinguo sera mis en
œuvre ci-après (p.
83) dans la problématique du sujet: «Pourquoi s'intéresser
au passé?».
■
Essence/existence, essence/fait,faitlvaleur (distinction opératoire kan
tienne d'origine juridique : de fait/de droit) ou absolument/relativement.
◊ Exemple : «La force fait-elle droit?».
Par essence, c'est-à-dire en les caté
gorisant de façon absolue, force et droit sont des opposés ou des inconci
liables1 ! Mais dans la réalité juridique, relativement à un système donné de lois
1.
Lire, au chapitre 12, la problématisation (p.
208) et l'étude ordonnée (p.
214) du texte de Rousseau:
Du contrat social, Livre I, Chapitre III.
positives, effectivement en vigueur à telle époque et dans telle société, la force
ne vient-elle pas s'inscrire dans le droit, s'exprimer sous la forme d'un droit
établi précisément pour la légitimer? Le droit réel ou positif peut être pensé
comme expression d'un rapport de forces au sein de la société, comme reflet
d'une domination, même si, dans son principe pur a priori, le droit repose sur
l'exclusion de la force.
Le registre fait/valeur, fait/essence, etc., est donc opé
ratoire dans les domaines du droit, de la morale, de la politique.
Il peut l'être
aussi bien dans ceux de l'art et de la science: le beau est-il un absolu ou bien
son concept est-il relatif (aux individus, aux époques)? La vérité scientifique
atteint-elle des essences absolues ou bien des faits relatifs aux moyens d'obser
vation et d'expérimentation de la réalité à une époque donnée?
■ Causalité/finalité, origine/but, causes naturelles ou mécaniques/fins rai
sonnables ou conscientes, etc., c'est-à-dire tout le champ sémantique ouvert par
la question « Pourquoi ? » (Par quoi ? Comment ? D'où ? et aussi : En vue de
quoi? Pour atteindre quel objectif?).
Voir sur ce point, le travail effectué plus
haut (p.
61) sur le sujet « Pourquoi s'intéresser au passé? ».
Dès lors que le
sujet vous demande d'expliquer une activité humaine ou une réalité mettant en
jeu la conscience ou la raison humaine, votre travail s'articulera autour de cès
distinctions de causalité.
■ Origine/fondement, origine chronologique/principe logique, origine/struc
ture, être/devenir, etc.
Beaucoup de questions peuvent recevoir un traitement
chronologique ou historique et un traitement logique (compréhension «structu
rale» de leur objet).◊ Exemple: «D'où vient l'idée de Dieu?».
Elle vient his
toriquement des rapports entre l'homme et la nature, mais elle vient aussi de la
structure de l'esprit humain (besoin d'une explication ultime des choses, d'une
cause première) : l'absolu (Dieu) prend les formes variables au cours de l'his
toire humaine mais on peut penser, comme Kant, que l'absolu ou l'incondi
tionné en tant que tel correspond, en dehors de toute historicité, à un besoin
métaphysique naturel de la raison humaine, besoin qui la conduit, au-delà des
limites de l'expérience et de la connaissance possibles, à affirmer l'existence
d'une cause première invérifiable à proprement parler.
Cette liste n'est pas exhaustive.
Vous l'enrichirez au fil des lectures et des tra
vaux : fabriquez votre propre mémento des «schèmes» problématiques usuels.
Reportez-vous également à ce que nous avons dit plus haut (p.
33) des sujets
alternatifs: ils pré-problématisent la notion sur laquelle ils vous demandent de
réfléchir.
Exemple : « Les luttes et les guerres : effet de la nature des
hommes, étape nécessaire de leur devenir historique, effet du hasard...
? »
Et soyez prudent dans l'application de ces schèmes: les couples de termes dis
tincts ou opposés qui les constituent ne sont pas nécessairement des alternatives
absolues ou, comme on le dit en logique, des disjonctions exclusives.
La tâche de
la réflexion est justement, devant une alternative problématique, non de choisir
un camp puis de s'y tenir, mais de penser les deux termes de l'alternative,
d'argumenter les deux hypothèses, afin de voir si leur opposition initiale n'est
pas surmontable.
Exemple: Les luttes et les guerres peuvent être l'effet cumulé
de la nature humaine, de l'histoire et du hasard, chaque facteur jouant par rap
port aux autres un rôle «entropique» d'aggravation.
On pourrait expliquer par là
ce qu'on appelle le «cycle» de la violence, son caractère de spirale indéfinie.
■
Tous ces schèmes sont commodes au stade de la problématisation du sujet,
c'est-à-dire de la synthétisation des éléments pertinents de sa lecture et de son
étude, mais
• il faut les utiliser à bon escient, les faire travailler sur les sujets qui s'y prê
tent.
Là encore, l'usage, l'habitude et la répétition de l' exercice décideront.
• utiles pour problématiser, mettre en question, ils comportent le risque _de
l'abstraction et du formalisme quand on les applique sans nuance.
Dire, par
exemple, que le désir s'étaye sur le besoin ou trouve son origine dans le besoin
naturel, cela ne veut pas dire que le désir s'explique entièrement par ce qu'il y a
de «naturel» en l'homme.
Du reste, le mot «nature» est complexe: dire que le
désir est dans la nature de l'homme, cela ne veut pas dire que le désir est natu:
rel : est-ce que la «nature humaine» s'explique par la seule nature, le seul jeu
des mécanismes naturels ?
■ Pour construire la problématique, il faut :
• focaliser l'essentiel de l'analyse des termes du sujet et de la compréhension
du problème posé, en apportant, si besoin est, de nouvelles précisions;
• au moyen des structures que nous venons d'indiquer, poser nettement, en les
articulant entre elles autant que possible, les principales questions auxquelles le
développement devra répondre.
Exemple d'application 1
"Pourquoi s'intéresser au passé?»
■
De l'analyse des termes du sujet (p.61-68), nous retiendrons:
• le double sens de s'intéresser à: l'intérêt qu'on porte à une chose peut.
être
motivé par un désir de connaissance (curiosité intellectuelle) ou par un b�soin
pratique (recherche de l'utilité ou du profit);
• les différentes sortes de passé: le passé du monde (de l'univers, de la nature,
de la Terre, etc.), le passé de l'humanité (sociétés, civilisations, époques révo
lues), le passé de l'individu (mon passé).
■ De la compréhension du problème, nous retiendrons :
• la version radicale de la question : le passé est-il intéressant?
• les deux sens de pourquoi : causalité /.finalité de l'intérêt porté au passé.
(C'est un premier schème problématique.)
■ À quoi on ajoutera les deux précisions suivantes.
• Une chose est intéressante soit parce qu'elle est en elle-même, par elle
même, une chose digne d'intérêt, soit parce que celui qui s'y intéresse trouve en
lui-même, dans son rapport à cette chose ou dans le regard qu'il porte sur elle,
des raisons subjectives de s'y intéresser.
Pour problématiser le sujet, nous utili
sons ici le schème en soi/pour nous.
• L'intérêt qu'on peut porter au passé est variable tant dans sa forme que dans
son intensité : il peut être autobiographique, archéologique, historique, psycha
nalytique, etc.
Toutes ces formes ont sans doute des raisons communes; elles
ont aussi des raisons différentes, des motifs respectifs particuliers : la probléma
tique devra en tenir compte dans son questionnement du sujet.
Entre l'étude
scientifique du passé (l'histoire) et le culte du passé (le goût des antiquités, par
exemple), il y a une grande différence d'intensité «affective» : l'intérêt peut
même aller jusqu'à un attachement passionnel qui serait aux antipodes de l'in
térêt de connaissance.
- différence(s) de valeur (schème fait/valeur).
r
■ Ce qui nous donne, au brouillon, plusieurs séries de questions :
Schème
causalité/ finalité
Version radicale
de la question
Schème
en soi/pour nous
Double motivation
de l'intérêt
(théorique/ pratique)
Différentes formes d'intérêt
pour le passé
Différentes sortes de....
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