Molière, L’Ecole des femmes Acte III, Scène 5 ARNOLPHE, seul. Comme il faut devant lui que je me mortifie! Quelle...
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Molière, L’Ecole des femmes
Acte III, Scène 5
ARNOLPHE, seul.
Comme il faut devant lui que je me mortifie!
Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant!
Quoi! pour une innocente un esprit si présent!
Elle a feint d'être telle à mes yeux, la traîtresse,
Ou le diable à son âme a soufflé cette adresse.
Enfin, me voilà mort par ce funeste écrit.
Je vois qu'il a, le traître, embaumé son esprit,
Qu'à ma suppression il s'est ancré chez elle ;
Et c'est mon désespoir et ma peine mortelle.
Je souffre doublement dans le vol de son coeur ;
Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur.
J'enrage de trouver cette place usurpée,
Et j'enrage de voir ma prudence trompée.
Je sais que, pour punir son amour libertin,
Je n'ai qu'à laisser faire à son mauvais destin,
Que je serai vengé d'elle par elle-même :
Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu'on aime.
Ciel! puisque pour un choix j'ai tant philosophé,
Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé?
Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse ;
Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse :
Et cependant je l'aime, après ce lâche tour,
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cette amour
Sot, n'as-tu point de honte? Ah! je crève, j'enrage.
Et je souffletterais mille fois mon visage!
Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir
Quelle est sa contenance après un trait si noir
Ciel! faites que mon front soit exempt de disgrâce ;
Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que j'y passe,
Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents,
La constance qu'on voit à de certaines gens!
Contexte et éléments pour l’introduction
Le texte à commenter est extrait de L’Ecole des femmes de Molière : un homme d’âge
mûr, Arnolphe, cherche à se marier mais redoute que sa future femme ne soit trop libre :
pour contourner cette difficulté, il décide d’épouser sa pupille, Agnès, et entreprend de
l’éduquer à la docilité à sa sortie du couvent.
Mais Agnès aime un jeune homme, Horace,
et entend se soustraire aux projets de son tuteur.
L’extrait proposé se situe au moment où Arnolphe vient tout juste d’apprendre l’existence
de l’amour d’Horace et d’Agnès, de la bouche d’Horace lui-même, qui s’est confié à
Arnolphe sans connaître ses intentions envers sa pupille : il s’agit d’un monologue dans
lequel il exprime sa colère d’avoir un rival et d’avoir vu sa pupille le trahir et manifester le
désir de se soustraire à sa volonté ; il met donc en place une rhétorique de l’amour et de
la colère qui pourra servir de premier axe d’examen du texte.
Le rôle de ce monologue dans le déroulement général de la pièce pourra fournir une autre
clé de lecture : en effet, Arnolphe, qui entendait obtenir la main d’Agnès par la
manipulation, endosse ici le rôle de l’amant douloureusement refoulé, et en exprime les
sentiments typiques – le monologue de l’amant refoulé est en effet un lieu commun du
théâtre - : on comprend alors la valeur ironique de ce passage, puisqu’Arnolphe, qui, dans
toutes les scènes précédentes, s’est révélé comme un manipulateur sans sentiments, a ici
recours à tous les moyens traditionnels d’expression de la douleur amoureuse.
La lecture
de son monologue est donc double : au premier degré, ce monologue apparaît comme une
plainte sincère ; au second degré – qui est celui auquel ont accès le lecteur ou le spectateur
de la pièce dans la mesure où ils ont connaissance des épisodes précédents -, ce
monologue apparaît comme une parodie grotesque de plainte amoureuse, ce qui contribue
à créer un effet comique.
L’extrait à commenter constitue en outre une scène complète : il forme donc une unité de
sens et une unité scénique, correspondant à un bref moment de solitude d’Arnolphe : il
faudra donc prendre en compte également cette esthétique du monologue et s’interroger
sur le rôle qu’un pareil monologue peut assumer dans le cadre de l’intrigue et du sens de
la comédie qu’est l’Ecole des femmes : il constitue en effet à la fois un rouage important
de l’intrigue, puisque c’est sa déception qui va pousser Arnolphe à mettre en place une
machination – qui échouera – pour s’assurer de pouvoir épouser Agnès, et puisque ce
monologue est une occasion de concentrer l’attention sur le personnage d’Arnolphe et d’en
proposer une satire morale.
Eléments pour le développement
NB : les éléments donnés ici ne sont volontairement pas composés en plan abouti
pour un commentaire ; ils ne font que mettre en lumière les éléments à
commenter : il vous revient de hiérarchiser ces éléments en fonction de votre
propre lecture du texte.
I.
Un monologue de soupirant déçu : la rhétorique amoureuse
- Arnolphe a recours à tous les effets traditionnels de la rhétorique de la déception
amoureuse.
Commenter ainsi l’emploi abondant des phrases exclamatives, qui structurent
l’ensemble du passage en l’ouvrant (avec trois exclamations successives correspondant
chacune à la longueur d’un vers, ce qui installe rythmiquement le lecteur dans la modalité
exclamative et le prépare à recevoir une scène de plainte véhémente) et en le fermant,
dans la prière qui clôt le passage et qui a pour fonction d’annoncer la vengeance
d’Arnolphe.
Etudier également l’usage que fait Arnolphe de la modalité interrogative : des
phrases telles que « Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé? » et « Sot, n'as-tu point de
honte? » sont des interrogations rhétoriques qui renforcent l’expressivité du propos.
Il ne
faut pas y voir une forme de discours délibératif, mais des artifices rhétoriques.
- Etudier également les champs lexicaux dominants du monologue, qui correspondent aux
champs lexicaux auxquels la langue classique a habituellement recours pour traiter la
passion et la douleur amoureuses.
Le vocabulaire employé est volontiers hyperbolique
(« mortifie », « enfin, me voilà mort par ce funeste écrit....
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