Monstrueux et vraisemblance Le monstrueux met en caüse la nature humaine. En effet la monstruosité, qu'elle soit physique, morale ou...
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«
Monstrueux
et vraisemblance
Le monstrueux met en caüse la nature humaine.
En
effet la monstruosité, qu'elle soit physique, morale ou
psychologique, fait de celui qu'elle affecte un être situé
au-delà des normes telles qu'on les admet communé
ment.
Le monstre est anormal, c'est-à-dire hors normes.
A
bien des égards, les Romantiques ont fait du monstrueux
un thème essentiel de leur théâtre.
A tel point qu'on a pu
dire, en général pour le critiquer, que le drame romantique
était une galerie de monstres.
On a dit également qu'en privilégiant ainsi l'excès, l'anor
mal, le monstrueux, le drame romantique versait dans l'in
vraisemblance.
Peut-on croire à ces passions dévorantes,
à ces actions contre nature, à ces personnages contradic
toires? La question mérite en effet d'être posée.
La.ré
ponse dépend surtout de l'idée qu'on se fait de cette no
tion complexe: la vraisemblance.
UN THÉÂTRE
DU MONSTRUEUX
L'évocation de la monstruosité physique n'a pas effrayé
les Romantiques 1.
Mais dans les drames que nous étu
dions, la monstruosité est surtout morale.
Le monstrueux moral
Les actes ·moralement monstrueux sont nombreux
dans le drame romantique.
Celui-ci n'hésite pas à montrer
le spectacle d'une cruauté absolue, impitoyable, « inhu
maine».
Dans Lorenzaccio, l'empoisonnement, sur
1.- Ainsi Triboulet.
le héros du drame Le roi s'amuse de Hugo, est
physiquement monstrueux.
Qu'on songe également.
du même
Hugo, à Notre-Dame de Paris (Quasimodo) et à L'Homme qui rit
(Gwynplaine).
les ordres du duc, ·de la jeune, belle "et innocente'°Louise�,:·
Strozzi, est un acte monstrueux.
A tel point que la naturë
elle-même semblé' s'en indignèr :· un «orage épouvantable>> ,.
éclate à ce moment (111, 7).
Pour Ruy Blas, la "'engeance
de don Salluste contre la reine appartient aux «faits rares
et monstrueux» (V, 3, v.
2192).
L'auteur d'un tel acte n'est
plus un homme, mais véritablement un «monstre» (v.
2179),
ou un «démon» (v.
2210) 1•
Monstrueux e1: oxymore2
Le monstre, ce peut être également celui qui réunit deux
ou plusieurs réalités normalement incompatibles.
La mytho
logie antique regorge de monstruosités de ce type, expri
mées sur le plan physique: les centaures (hommes au corps
de cheval), le sphinx d'Égypte (lion à tête d'homme) sont des
monstres qui réunissent en un même corps l'humanité et
l'animalité.
Et une des attractions les plus traditionnelles des
spectacles forains est la femme à barbe, monstre qui cu
mule les attributs de la virilité et de la féminité.
Le drame romantique aime ce monstrueux oxymorique.
Bien sûr, il ne l'exprime pas sur le mode physique, corpo-;
rel.
Mais nombreux sont les personnages qui réunissent
en eux des émotions, des facultés, des identités à priori
incompatibles.
Les héros, surtout, sont le plus souvent
des êtres doubles, divisés, èontradictoires3 • A ce titre, ils
ont quelque chose de monstrüeux, de hors norme ;.
ils ré
unissent ,ce qui, normalement, �evrait être séparé.
UN THÉÂTRE
DE L'INVRAISEMBLANCE?
Ce théâtre qui privilégie le hors-norme, le monstrueux,
n'est-il pas condamné à""l'invraisèmblance? A quelle's,
1.
Voir également « Violence, mort, cruauté»(p.
49).'
2.
Un oxymore est une expression qui désigne une même réalité
par deux mots évoquant chacun des réalités opposées et contra- •·
dictoires.
Ainsi dans ce vers du Cid, de Corneille: « Cette obscure
clarté qui tombe des étoiles».
3.
Voir « Complexité psychologique des personnages» (p.
64),
« Un héros ambigu» (p.
56), et « Duos et doubles» (p.
80).
·
conditions le monstrueux peut-il être vraisemblable? Peut
on croire aux monstres?
Couleur lo�ale 1 , monstrueux
et vraisemblance
Le drame romantique met la couleur locale au service de
la vraisemblance: elle permet notamment de faire «accep
tèr» le monstrueux.
En effet la couleur locale fait ressentir
la distance (distance temporelle dans le drame historique)
qui sépare la réalité du spectateur de celle qui est repré
sentée sur la scène.
Or cette distance permet d'éviter le
soupçon d'invraisemblance qui pourrait peser sur certains
personnages ou certains actes, particulièrement excessifs
ou monstrueux.
·· On peut prendre pour exemple lé dénouement
d' Hernani.
Le vieillard don Ruy Gomez réclame· la vie du
héros (au nom d'un serment que celui-ci lui a fait), alors
qu'Hernani vient d'épouser dona Sol et p_eut ·enfin goûter
au bonheur.
Ce vieillard pourrait paraître· invraisemblable
par son impitoyable cruauté, proprement monstrueuse.
De
même l'obéissance d'Hernani, qui préfère se tuer plutôt
que d'être infidèle à sa parole, pourrait être accusée d'in
vraisemblance.
Mais la distance temporelle aide le specta
teur à «accepter» ce dénouement.
Il peut lui paraître dé
mesuré par rapport à sa propre époque, mais il est ·
conforme à l'idée qu'il se fait du XV16 siècle espagnol, pas
sionné, cruel,· où l'honneur est plus important que tout.
C'est d'ailleurs là, sans doute, une des raisons qui ont
incité les dramaturge·s romantiques à se tourner si souvent
vers le drame historique.
Ils pouvaienf ainsi faire accepter
ce qui les intéressait particulièrement: la représentation de
l'excès, du hors-norme, du monstrueux.
Ils s'appuyaient
en effet sur l'idée, alors communément" admise, que les
époques historiques antérieures .étaient plus riches que la
leu'r en passions dévorantes, en personnages et en événe
ments exçeptionnels, en monstruosités de toutes sortes.
1.
Sur cette notion, voir « Le drame romantique et !'Histoire »
"'
·
(p.
41-42).
Émotion, monstrueux
et vraisemblance
Néanmoins, l'essentiel n'est peut-être pas là.
Car l'e~sentiel pour une œuvre d'art, et surtout pour l'œuvre théâtrale, c'est l'émotion qu'elle produit.
Le spectateur « accepte» tout, pouNu qu'on l'émeuve.
Certes, l'émotion dans le drame romantique naît aussi,
par exemple, de scènes tendres et souvent familières 1 .
Mais l'expérience montre que l'émotion qu'il produit atteint son comble dans les moments particulièrement
monstrueux.
Les dénouements des drames de Hugo par
exemple, ou encore la scène de délire où Lorenzaccio révèle l'étendue de sa haine monstrueuse pour le duc2, voilà
qui force le spectateur à retenir son souffle.
En effet le caractère exceptionnel, excessif, inouï, des personnages,
des actions et des discours, étonne et frappe le spectateur.
Le monstrueux« secoue» et captive le public3.
Dans ces moments d'intense émotion, le....
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