MONTESQUIEU ou _La hantise du despotisme par Joël Wilfert J'ai pu vivre dans la servitude, mais j'ai toujours été libre...
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«
MONTESQUIEU
ou
_La hantise du despotisme
par Joël Wilfert
J'ai pu vivre dans la servitude, mais
j'ai toujours été libre : j'ai réformé tes
lois sur celles de la Nature, et mon esprit
s'est toujours tenu dans l'indépendance..
Montesquieu, Lettres persanes
(lettre 161, Roxane à Usbek).
Pour qu'un homme soit au-dessus de
/!humanité, il en coûte trop cher à tous
les autres.
Montesquieu, Dialogue de Sylla
et d'Eucrate.
Le baron de La Brède et son œuvre
Celui que nous connaissons sous le nom de Montesquieu
s'appelait Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu
et de La Brède.
Il est né le 18 janvier 1689 au château de La
Brède, non loin de Bordeaux ; il est mort à Paris le 10 février
1755.
De vieille famille noble, il avait hérité de son oncle la
charge, qu'il résignera, de président à mortier du parlement
de Bordeaux ; il entrera en 1728.
à l'Académie française.
Montesquieu a consacré vingt ans'de sa vie à De l'esprit
des lois qui est son ouvrage essentiel et donne sens à toute
son œuvre, y compris au seul autre de ses livres vraiment
célèbre, les Lettres persanes.
Imaginons un instant De l'es
prit des lois perdu et Montesquieu ne serait plus que l'au
teur d'ouvrages intelligemment caustiques et un peu
licencieux, qu'il n'osait pas signer, et d'un petit Essai sur
le goût écrit pour l 'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
La loi
« Les lois dans la signification la plus étendue, sont les
rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses »
(Esprit des lois, I, 1).
La loi est donc, d'abord, un rapport;
c' est là la définition scientifique du tenne qui s'oppose à son
acception théologique qui renvoie au commandement.
Tous
les êtres ont leurs lois : « La divinité a ses lois, les in�lligen-.
ces-supérieures à·l'homme ont.leurs lois, les bêtes ont leurs
lois, l'homme a ses lois.
» (Esprit des lois, 1, l.).
On a;parlé à
ce propos de principe di universelle rationalité, car si tout-est
soumis à des lois, tout est donc saisissable par la raison.
Etre
et être soumis à des lois sont la même chose:« Si l'on pou
vait imaginer un autre monde que celui-ci, il aurait des règles
constantes ou il serait détruit» (Esprit des lois, I.
1).
Un
monde d'entropie totale est impossible et même.la cr�tion
divine du monde ne saurait, elle-même, échapper à la règle.
Le principe d'universelle rationalité est en même temps un.
principe de totale intelligibilité.
· ·
•-En tant qu'être naturel, l'homme.est soumis aux lois de la
nature humaine, mais en tant qu'être intelligent il est capable
d'agir de façon d�ordonnée; son comportement doit donc
être réglé, en outre, par d'autres lois qui sont, cette fois, des
lois voulues ou instituées qu'on appelle lois_positives ..
L'esprit des lois
·« La loi (positive) en général est la raison humaine en
tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les
lois politiques et :civiles de chaque nation ne doivent être
que des cas particuliers» (Esprit des lois, I, 3).
Mais si ces
lois positives sont .des expressions de 1a raison une, elles
sont.
en rapport avec beaucoup de choses et ne sont donc
pas de.
pures décisions.
Toutes les lois ne sont pas, d'abord, compatibles entre
elles, et en outre elles dépendent d'une foule de facteurs
çomme le climat, les mœurs, la religion, la nature du ter
rain, la taille du pays..., etc.
Ces rapports fonnent ensemble
ce que Montesquieu appelle «.
l'esprit des lois», c'est-à
dire la loi des lois, ce gui pennet de saisir clairement leur
sens partout dans le monde hull)ain.
On peut bien dire, après Auguste Comte.
et Durkheim, ·
que Montesquieu est le véritable fondateur de la science
politique et même de la sociologie puisqu'il en .appelle
constamment, pour expliquer les comportements humains,
à des lois que les hommes ignorent et que seule l'analyse
scientifique peut révéler.
Une fois posés les principes, l'analyse factuelle révélera
à travers l'apparent désordre de toutes les lois existant dans
la totalité du monde humain, un ordre saisissable, même si
cette entreprise est longue et ardue ainsi que Montesquieu
nous le confie dans la Préface de L'Esprit des lois : « J'ai
bien des fois commencé et abandonné cet ouvrage ; j'ai
mille fois envoyé aux vents les feuilles que j'avais écrites ...
je suivais mon objet sans former de desseins ; je ne connais
sais ni les règles, ni les exceptions ; je ne trouvais la vérité
que pour la perdre.
Mais quand j'ai découvert mes princi
pes, tout ce que je cherchais est venu à moi : et dans le
cours de vingt années j'ai vu mon · ouvrage commencer,
croître, s'avancer et finir».
Découvrir que l'observation nous montre des lois qui sont
des rapports, supposer que le monde naturel est un ensemble
de lois, c'est ce qu'a fait la science moderne, celle de Galilée
et de Newton.
Montesquieu introduit la méthode de cette
science dans l'étude des affaires humaines..
Prenons garde
toutefois que l' étude des lois positives et de leur loi ou esprit
ne fait pas de Montesquieu un positiviste, les lois positives
n'épuisent pas tout le concept de la loi
« Avant qu'il y ait des lois faites, il y avait des rapports
de justice possibles et par conséquent des lois possibles.
Dire qu'il n'y a rien de juste ou d'injuste que ce qu'ordon
nent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant
qu'on eût tracé le cercle tous les rayons n'étaient pas
égaux.
» La définition du juste appartient à la raison elle
mêlJ}e et non à la raison diffractée dans les lois positives.
Nature et principe du gouvernement
Si les lois ont rapport avec énormément de facteurs, elles
sont cependant liées bien plus étroitement avec la· nature
du gouvernement ; certaines lois sont incompatibles avec
certains gouvernements alors qu'au contraire certaines déri
vent immédiatement de sa· nature.
Il convient toutefois de
distinguer la nature du gouvernement : despotisme, monar
chie, république, du principe du gouvernement : « 11 y a
cette différence entre la nature du gouvernement et son
principe que sa nature est ce qui le fait te) et son principe
ce qui Je fait agir.
L'une est sa structure particulière, et
l'autrè les passions humaines qui le font mouvoir» (Esprit
des lois, m, 1).
Le principe du gouvernement est ce qui
assure sa survie ; des ]ois suivront aussi de ce principe.
Le despotisme
Un regard attentif sur J'œuvre entière de Montesquieu
montre, à que) point iJ a été fasciné ou, pour mieux dire,
hanté par le despotisme.JI y consacre de nombreuses pages
et découvre, en grand précurseur, son lien avec la passion
et l'érotisme.
Plus l'empire grandit (car le despotisme est
lié à l�immensité dù territoire) plus grandit le sérail (Esprit
des lois.
II, 5), lieu de plaisir du despote qui y consume sa
vie .
: car le paradoxe du despotisme est que le pouvoir
absolu s'y délègue immédiatement.
La loi fondamentale
(celle qui dérive de la nature du gouvernement) est le choix
d'un vizir, personnage en.
même temps tout-puissant et
d'une fragilité totale, puisque tout� position établie nuirait
à l'absolutisme.
« Le pouvoir du prince y passe tout entier
à ceux à qui il le confie» (Esprit des lois, m, 9) mais la
nature de ce pouvoir ne change pas en se déléguant puisque
la seule loi étant la fantaisie du prince, la seule traduction
possible en est l'arbitraire du potentat.
Le principe du despotisme est la crainte : « Il faut donc
que ]a crainte y abatte tous les courages et y éteigne jus
qu'au moindre sentiment d'ambition» (Esprit des lois, m,
9), i1 ne peut s'édifier ni fortune, ni position stable.
Le des
potisme est donc destructeur de toute vie sociale ; tout le
monde y est égal parce.que personne n'y est rien, l'éduca
tion n'est que l'apprentissage de la crainte, la défense ne
consiste qu'à .s'entourer d'un désert.
Curieux régime où
l'inaction politique d'un homme voué.
à la stase du plaisir ·
satisfait détruit tout ordre autour de lui.
Le plus court chapi
tre de De l'esprit des lois illustre l'idée du despotisme en
une métaphore : « Quand les sauvages de la Louisiane veu
lent avoir du fruit ils coupent l'arbre au pied, et cueillent
le fruit Voilà le gouvernement despotique.
» (Esprit des
lois, V, 13).
Le despotisme est, selon Montesquieu, 1e fait des pays
chauds et surtout de 1'Asie où seule la religion constitue
éventuellement un élément modérateur.
Mais nous aurions
tort de le cantonner à cela, il est la menace constance :
« Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner
les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir...
c'est
un chef-d'œuvre de législation que le hasard fait rarement
et que rarement on laisse faire à la prudence.
Un gouverne
ment despotique saute pour ainsi dire aux yeux ; il est uni
forme partout : · comme il ne faut que des passions pour
l'établir, tout le monde est bon pour cela».
(Esprit des lois,
V, 14).
« La plupart des pays d'Europe sont encore gouver
nés par les mœurs.
Mais si par un long abus du pquvoir,
par une grande conquête, le despoiisme s'établissait en un
certain point il n'y aurait pas de mœurs ou de climat qui
tiennent ; et dans cette belle partie du monde la nature
humaine souffrirait, au moins pour un temps les outrages
qu'on lui fait subir dans les trois autres».
(Esprit des lois,
VIII, 8).
Au despotisme vont s'opposer les régimes modé
rés, c'est-à-dire ceux où le pouvoir ne peut s:exercer sans
frein.
La république et la vertu politiqùe
« Lorsque, dans la république, le peuple en corps a la
souveraine puissance, c'est une démocratie.
Lorsque la sou
veraine puissance est entre les mains d'une partie....
»
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