MOZI OU L'ÉCOLE DE L'AMOUR UNIVERSEL (env. 479-390 av. J.-C.) Non seulement on ne sait quasi rien de la vie...
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«
MOZI OU L'ÉCOLE
DE L'AMOUR UNIVERSEL
(env.
479-390 av.
J.-C.)
Non seulement on ne sait quasi rien de la vie de
Mozi mais encore le livre qui porte son nom, le Mozi,
rassemble des textes qui, quoique assez homogènes et
par le style et par les idées ne sont pas tous directe
ment de lui, et certainement pas les derniers chapitres,
d'une facture plus logicienne.
Mozi qaquit sans doute vers 479, année de la mo1t
de Confucius, dans la principauté de Song, voisine de
Lu, patrie de Maître Kong.
Le nom même de Mozi, « Maître Mo», indique une
origine plébéienne, car il ne s'agit pas d'un nom de
famille, d'un patronyme de bien-né, mais d'une sorte
de surnom dérisoire - Mo désignant (le porteur d')
un tatouage infamant.
Il est assez vraisemblable - mais faute de docu
ments probants, nous ne pouvons que le conjecturer que son origine plébéienne ou son appartenance à la
petite gentilhommerie de service - « samouraïsme »
avant la lettre - autant que les malheurs de son temps,
n'aient pas été sans influence sur le cours de sa pensée.
S'il est indéniable que celle-èi s'est nourrie tout
d'abord, auprès des disciples de Confucius l'abon
dance des références scripturaires et des concepts utili
sés le prouve à suffisance -, il n'en demeure pas
moins que très vite Mozi devint un dissident, un adver
saire, et sans doute le premier des anticonfucéens dont
la concurrence mit en balance, un certain temps, le
«succès» de Confucius et de son école.
Que Mozi et
son école n'aient ni durablement- un siècle plus tard
l'école est éteinte - ni profondément - leur radica
lisme heurtait par trop le réalisme d'un «féodalisme
familial» bien ancré - influencé la pensée chinoise,
ne doit pas nous faire oublier que les moïstes furent ces
chevaliers e1Tants, ces «templiers» de la critique de
l'ordre«féodalo-familial» en pleine crise d'identité, et
qu'il y eut sans doute pas mal de «petites gens», de
gens de peu, tout au long de l'histoire de Chine, à gar
der une -tradition de révolte égalitariste I dont le
moïsme avait une fois pour toutes énoncé la maxime :
l'«amour universel».
l'« amour universel»
Comme le soleil luit sur lès bons comme sur les
méchants, on le pourrait créditer, s'il était capable
d'amour, d'exercer un amour universel.
L'amour chré
tien, dans le fait même qu'il discrimine entre amis et
ennemis, n'est pas «solaire», autrement dit «impar
tial» comme la nature, le Ciel, mais au contraire volon
.
taire et«partial» puisqu'il s'impose comme spécificité
l'amour des ennemis, celui des amis allant évidem
ment de soi.
Si tant est qu'un tel amour ait jamais
existé, en tout cas chez d'autres humains que quelques
saints, il aurait seul droit au titre d'amour universel.
1.
Il n'est pas étonnant dans ces conditions que ce soit précisé
ment à l'époque moderne (pré-) révolutionnaire que les intellec
tuels réformistes aient redécouvert la pertinence des critiques et la
maxime de base du vieux Maître Mo.
L'amour confucéen n'est pas de cet ordre.
Il est
hiérarchisé, ritualisé, relationnel, relatif.
Tout se passe
en effet dans la pensée confucéenne comme si, en
répondant au mal par le bien, on s'interdisait par cela
même d'avoir avec quoi répondre au bien, comme si,
en pratiquant un amour indifférencié, on supprimait
par cela même la piété filiale, et donc le fondement
même de la vertu.
L'amour taoïste est lui par essence universellement
non-interventionniste, fruit d'une spontanéité in
offensive, mais dénuée de tout altruisme volontai_re.
Chez Mozi, il ne s'agit ni d'amour universel au
sens chrétien (ou pré-chrétien), ni d'amour hiérarchisé
au sens confucéen, ni d'amour universellement non
interventionniste au sens taoïste, mais d'un amour
indiscriminé, mutuel et interventionniste.
Indiscriminé en ce sens que tous les hommes,
nobles ou manants, vieux ou jeunes, compatriotes ou
étrangers sont les enfants du Ciel.
« Le principe d'aimer tous ses semblables doit
prendre la place de celui qui enseigne qu'il faut éta
blir des distinctions entre eux.
» ·
p.40 1
l.
Traduction d'Alexandra David-Neel, En Chine (l'amour uni
versel et l'individualisme intégral Les Maîtres Mo-tseu et Yang
Tchou}, Pion, 1970.
A.
David-Neel (1868-1969).
Tout est étonnant
dans la carrière de cette femme qui mourut plus que centenaire sans
avoir jamais dételé ni en tant qu'exploratrice (pour rappel son extra
ordinaire «Voyage d'une parisienne à Lhassa», portant en sous
titre tout un programme: à pied et en mendiant de la Chine à l'Inde
à travers le _Tibet), ni en tant qu'écrivain, auteur de nombreux
ouvrages sur le Tibet, l'Inde, la Chine, le bouddhisme, la mystique
orientale, ni en tant que féministe résolue et évidente.
Qu'elle ne
soit pas toujours «scientifique» en tous ses reportages et ouvrages
théoriques n'enlève rien à l'intérêt qu'on peut leur porter, ni au
Mutuel en ce sens que ne procédant pas d'une
bienveillance (ren) dont le ge1me serait inné, il se
construit comme réciprocité profitable sous l'autorité
du Ciel et du roi vertueux, son représentant sur terre.
« Quand un homme en aime d'autres ceux-ci répon
dent en l'aimant; quand un homme procure un profit,
une satisfaction à d'autres hommes; ceux-ci répon
dent en lui procurant profit et satisfaction.
»
op.
cü., p.
34
« Aimez votre prochain comme vous-même pour votre
plus grand profit mutuel.
»
op.
cit., p.
40
« Le Fils du Ciel a été établi pour le bien et dans !'in
térêt de/ 'empire et non l'empire établi pour le bien et
dans l'intérêt du souverain.»
op.
cit., p.
120
Interventionniste en ce sens qu'il combat toutes les
différences inégalitaires qui gênent son extension, y
compris ainsi les rites somptuaires de deuil qui grèvent
les vivants au privilège inutile des morts 1; comme
aussi la poursuite du superflu (richesses, mais aussi
musique) qui distrait les vivants de la tâche primor
diale d'assurer à chacun le nécessaire et dont la quête
est source d'inégalités et partant de conflits qui empê
chent l'amour d'être mutuellement profitable.
charme de leur lecture, même si l'esprit critique n'a aucune raison
de perdre ses droits.
Pas plus envers elle qu'envers d'ailleurs de plus
fiables experts.
1.
« la nourriture et les vêtements sont les biens des hommes vivants:
on sait être économe quand il s'agit d'eux.
Les ji111érail/.es sont le
bien des hommes maris : poun111oi neferait-011 pas preuve d 'écono
mie à leur sujet?»
p.
106
En effet, « si chaque homme regardait la maison de
son prochain comme sa propre maison, qui volerait?»
(p.
29) implique d'une certaine façon que la maison
d'autrui ne soit pas source d'envie, autrement dit que
chacun ayant �omme son voisin juste le nécessaire (qui
est le nécessaire juste) n'ait rien à lui envier.
Il semble bien qu'à son époque certains ont dû
entendre son amour indiscriminé (égalitaire ou qui
embrasse-tous) comme un amour universel, c'est-à
dire s'étendant à tous les hommes, et donc aussi au
brigand.
C'est probablement pour cela qu'on trouve
dans le Mozi cet argument d'école - qui sera repris et
critiqué, diversement, par Xunzi, Zhuangzi et d'autres:
« tuer un brigand n'est pas tuer un homme».
En effet,
s'il s'agissait comme on l'a cru ou pu croire que
l'amour prôné était universel, de quel droit pouvait-on
tuer un brigand ?....
»
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