On entend ordinairement par « distraction » une étourderie de l’esprit, souvent synonyme d’une légèreté, d’une indifférence de la conscience...
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On entend ordinairement par « distraction » une étourderie de l’esprit, souvent
synonyme d’une légèreté, d’une indifférence de la conscience aux problèmes concret qui
lui sont posés.
La tournure restrictive « ne que » dévalorise visiblement cette attitude, et
interroge par extension le genre narratif lui-même.
De plus, le recours au terme de
« distraction » renvoie implicitement au concept de « divertissement » mis en place par
Pascal, et achève de donner à la fonction ludique du genre narratif une valeur négative.
C’est une tendance coutumière de la doxa que de vouloir racheter la vanité du
divertissement par d’autres fonctions romanesques, que le plaisir du récit ne ferait que
dissimuler.
Pourtant, ne pourrait-on envisager la distraction sans y attacher de jugement
négatif, et ne la juger que pour ce qu’elle est, à savoir un principe de diversion, attaché à
détourner la conscience du lecteur de ses préoccupation coutumière, pour l’amener à
s’ouvrir à des mondes inconnus ?
I Le plaisir du récit
_Le genre narratif, à sa création et pendant longtemps, a été la principale forme de
divertissement.
A l’inverse du texte savant, rédigé en latin, le récit s’écrit en langue
« romane », c’est-à-dire qu’il utilise le langage courant ou populaire, et cherche avant tout
à se rapprocher du discours oral.
De ce point de vue, le conte populaire, seulement parlé
dans un premier temps, puis fixé par l’écriture (chez les frères Grimm, Andersen, Charles
Perrault, Henri Pourrat...) témoigne de la fonction fondamentalement récréative du genre
narratif.
_La puissance de distraction d’une narration ne saurait se limiter à la pratique sociale qui
en est faite : au contraire, tout récit est distrayant par essence, puisqu’il se construit en
fonction de données qui ne sont plus dictées par la nécessité première, mais par le désir.
Un axe essentiel de la littérature libertine, telle qu’elle est définie dans Les Liaisons
dangereuses de Laclos (sur un mode critique) ou dans Les égarements du cœur et de
l’esprit de Crébillon (sur un mode apologétique), est de construire le récit lui-même sur le
modèle d’une séduction amoureuse.
_Ainsi, comprendre la nature de la distraction créée par la lecture exige que l’on comprenne
la nature exacte du désir qu’elle sollicite.
Dans son essai intitulé Le plaisir du texte, Roland
Barthes déconstruit le plaisir procuré par la lecture d’une narration, qu’il ne craint pas
d’assimiler à un strip-tease : en effet, le langage est érotique dans son dévoilement
progressif, et toujours partiel.
L’intrigue, mais aussi la phrase elle-même n’énoncent pas
une réalité, elle ne font que l’évoquer, pour permettre au lecteur de se construire une
représentation intime de la situation décrite, bien plus évocatrice, plus touchante que la
même situation vécue.
II L’écriture narrative en tant qu’engagement dans le réel.
_Il va de soi que, de même que n’importe quel plaisir, cette faculté de l’écriture narrative
n’est pas sans danger.
On peut citer le cas des personnes atteintes d’un curieux syndrome,
qui les rends littéralement malades et dépendantes à une certaine écriture.
Les milieux
littéraires comptent ainsi des individus à qui la lecture de tout autre auteur que Marcel
Proust est devenue insupportable.
Le principe de composition presque architectural de la
phrase proustienne s’imprime si bien dans son lecteur qu’il en acquiert une puissance
monomaniaque.
Sans aller jusqu’à de telles....
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