[onirisme À la parution du roman, les critiques ont employé l'adjectif traumhaft, !' onirique », pour qualifier l'univers du Procès....
Extrait du document
«
[onirisme
À la parution du roman, les critiques ont employé l'adjectif
traumhaft, !' onirique », pour qualifier l'univers du Procès.
Outre
Devant la Loi (paru en 1915), le seul passage du roman publié du
vivant de Kafka est Un rêve (cauchemar de K.
publié dans Un
médecin de campagne)1.
Ce choix marque l'intérêt porté au rêve
par !'écrivain.
De nombreux éléments du roman sont effectivement
oniriques.
Mais l'onirisme wellesien est sans doute plus explicite,
davantage marqué par la logique du cauchemar.
LES INDICES ·D'ONIRISME
Kafka ne signale pas que son personnage rêve, il ne fait que le
suggérer.
Par exemple, l'arrestation a lieu le matin.
K.
est encore
dans son lit, il observe son univers quotidien « du fond de son
oreiller » (p.
23).
Mais à aucun moment il n'est dit qu'il est réveillé.
De même, chez Welles, le visage de K.
apparaît pour la première
fois en gros plan dans un fondu-enchaîné flou, endormi.
Le
personnage rêve-t-il ? Face à de telles ambiguïtés, l'onirisme,
dans les deux œuvres, ne peut tenir qu'à de simples indices.
1 Des comportements trop spontanés
Les réactions étranges des personnages évoquent le monde du
rêve.
Par exemple, la gardienne du tribunal donne spontanément
à K.
l'ordre d'entrer, sans lui demander qui il est (pp.
74-75).
Cette
spontanéité se retrouve dans la scène de séduction avec Leni : les
1.
Ce chapitre figure dans les éditions actuelles parmi les chapitres dits • inachevés•
deux personnages se sont à peine rencontrés qu'ils sont déjà
amants (pp.
142-143).
De fait, dans les rêves, les relations entre p1;rsonnages sont plus directes, plus immédiates, que dans la vie réelle.
Dans son film, Welles renforce cet onirisme en ajoi,rtant des réactions de spontanéité absentes du texte.
Par exemple, la !'Ancontre
avec Tltorelli est immédiate, alors que, dans le roman, elle
est
conforme aux usages mondains de la vie normale : le peintre « se
présenta en disant : Titorelli, artiste peintre " (p.
182).
1De curieuses apparitions
Certaines apparitions, comme celle des employés chez K, sont
si surprenantes qu'elles relèvent de la logique du rêve.
Kafka a une
façon particulière de créer ces effets d'onirisme : ses personnages présentent comme normales ces situations, pourtant anormales.
Ainsi, le brigadier expose les raisons de la présence des
employés chez K mais son explication ne tient pas debout
« pour vous faciliter votre rentrée, pour qu'elle passe aussi inaper-
çue que possible, j'avais amené ces trois messieurs " (p.
39).
Mais il va de soi que quatre personnes passent moins inaperçues·
qu'une ! de plus, avec ces trois témoins, l'arrestation de K ne
peut rester confidentielle.
Welles, quant à lui, ne propose aucune explication.
Le premier
contre-champ, qui rompt avec le long plan séquence au début du
film, sert à présenter les trois employés.
L'incongruité de leur présence dans l'appartement surprend par la rupture brutale du plan
séquence, suivie plus tard d'un gros plan sur leurs visages inquiétants.
Welles ajoute en outre des apparitions étranges, comme la
présence de l'avocat dans la cathédrale ou celle de la foule des
accusés dans le terrain vague.
Contrairement à l'univers de Kafka,
où les personnages commentent ces apparitions, chez Welles on
fait comme si elles allaient de soi.
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
111
1Des détails oniriques
Dans le roman comme dans le film, certains détails créent une
atmosphère de rêve.
Par exemple, outre la spontanéité de leurs
comportements, la gardienne et Leni ont un autre point commun :
la gardienne est « une jeune femme aux yeux noirs » (p.
74), Leni
a des « yeux noirs [•••] un peu saillants » (p.
134).
Ce détail
récurrent peut être interprété comme la marque d'un fantasme lié
à la femme, donc susceptible de figurer en bonne place dans le
monde du rêve.
D'autre part, oi::i remarque dans le film la présence d'objets curieux, surréalistes : l'oncle présente un « computateur », sorte de machine électronique qui peut renseigner K.
sur
les raisons de son procès.
1Le déroulement d'un rêve
En principe, dans un récit traditionnel, les péripéties s'enchaînent logiquement O'enchaînement peut être temporel, causal •••).
Chez Kafka, la'manière de relier les événements est onirique, car
ils se suivent de façon irrationnelle : chaque chapitre semble indé-:_
pendant, clos sur lui-même (➔ PROBLÉMATIQUE 5, p.
87).
De même, dans le film, les lieux se succèdent sans logique : la
salle de spectacle donne sur des couloirs qui conduisent à des
11Jines••• La temporalité y est en outre aussi impalpable que dans
1!;! rêve.
Pour Freud, les événements d'un cauchemar sont décomposés, ils tendent à se figer dans des phases intermédiaires.
Or K.
conserve toujours le même costume.
Ce détail donne l'impression
que ses aventures sont en suspens (dans le roman, elles se déroulent sur une année).
Enfin, comme dans un rêve, les centres d'intérêt changent soudainement sans que le spectateur en comprenne vraiment la raison.
Au début du film, K.
s'intéresse aux
policiers puis les ignore pour aller prendre son petit-déjeuner.
Chez l'avocat, son attention se porte d'abord sur l'avocat puis sur
le greffier puis sur Leni •••
112 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ
Si l'univers kafkaïen puise dans le rêve certains de ses modèles
structurels et thématiques, d'autres éléments le relient malgré tout
au monde réel.
Cette étroite imbrication du réel et du rêve crée
dans certains cas le sentiment d'« inquiétante étrangeté
»
défini
par Freud 1.
1Le style neutre de Kafka
Les récits de Kafka sont des « récits de rêves déguisés en
récits d'événements réels2
».
Alors que d'autres écrivains recher-
chent un style adapté à la transposition du rêve, celui de Kafka est
clair, correct, logique.
Il n'y a pas chez lui de rupture syntaxique,
de procédés linguistiques ou rhétoriques propres à signifier le
monde du rêve, comme chez les surréalistes.
Par exemple, dans
Les Champs magnétiques (1920), André Breton et Philippe Soupault ne soumettent plus le langage à la raison et créent des
images neuves pour signifier une réalité autre.
Kafka, au contraire,
décrit un univers extraordinaire dans un langage ordinaire, il
raconte des événements irréels comme s'ils étaient réels.
Par
exemple, devant le brigadier dont le comportement frôle
l'absurde ; « li lui sembla [ ...J que ce policier l'approuvait.
Mais il
était fort possible aussi que le brigadier n'eût pas entendu, car il
avait posé sa main à plat sur la table et semblait comparer les
longueurs de ses doigts
l'adjectif « possible
»
»
(p.
38).
Le verbe....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓