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PLATON ou L'art suprême du dialogue par Philippe Casadebaig C'est l'ignorance de la philosophie qui rend difficile l'appréhension de la...

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« PLATON ou L'art suprême du dialogue par Philippe Casadebaig C'est l'ignorance de la philosophie qui rend difficile l'appréhension de la philosophie platonicienne. Hegel, Leçons sur Platon. Le dialogue Comme écrivain, Platon est l'auteur d'une série de Dialogues, c'est-à-dire d'écrits imitant une conversation à loisir sur ce qui est bien ou vrai, où Socrate, dont il fut le disciple, a le plus souvent le rôle principal.

Il est donc tout à fait possible de jouer ces œuvres comme des pièces de théâtre, et Platon dans sa jeunesse écrivit en effet des tragédies. Aucun philosophe auparavant ne paraît avoir usé de cette forme d'écriture.

Socrate se contentait d'enseigner par sa parole ; Parménide ou Empédocle composèrent des poèmes ; Anaxagore ou Démocrite établirent en philosophie le genre du traité didactique et sérieux, comparable aux livres techniques des médecins de l'école d'Hippocrate.

Le dialogue comporte toutes sortes d'agréments qui renouvellent l'intérêt de la lecture.

Il varie les styles : discussions, fables, récits, éloges.

Il fait survenir des épisodes, comme l'arrivée inopinée d' Alcibiade ivre au banquet d' Agathon (Banquet, 212 c-d).

Il représente les caractères les plus éloignés : la rudesse franche du soldat Lachès, le pédantisme du sophiste Hippias, l'ardeur studieuse et juvénile du géomètre Théétète (dans les dialogues aux noms de ces personnages). Enfin, il développe une intrigue, par l'influence du sens de leur entretien sur l'action ou la décision des interlocuteurs. 20 Platon Par exemple, dans le Criton, la recherche sur la vérité du devoir d'obéissance aux lois et jugements de la Cité a pour enjeu l'évasion de Socrate ou sa mort .en prison. Mais si rien• ne peut être laissé au hasard dans la composition d'un dialogue, où chaque réplique, chaque jeu de scène, chaque image du décor ou du langage contribue à former le sens de l'ensemble, ce n'est pas non plus par hasard, mais par une convenance supérieure, que la forme du dialogue est choisie pour exprimer la vérité de la Philosophie.

On ne pratique plus désormais le dialogue à la mànière de.Socrate et de ses contemporains, et l'usage courant du mot lui-même a déprécié sa portée jusqu'à lui faire dire seulement un artifice de négociation en vue de prévenir ou d'atténuer un conflit.

Le «dialogue» allégué à notre époque a l'urgence des affaires à traiter, tandis qu'un loisir souverain était sa première condition pour les Grecs.

Etudier aujourd'hui le dialogue au sens antique peut donc sembler relever d'une arbitraire curiosité d'historien, puisque l'histoire même nous atteste la disparition de sa pratique. Pourtant le dialogue socratique exprime une faculté essentielle de l'esprit, qui ne se laisse pas supprimer par le seul changement de nos mœurs et modes.

Ainsi, Platon identifie l'accès à la Philosophie avec la« dialectique», donc à pre~ mière vue avec l'art du dialogue.

Et plus généralement encore, j] désigne la pensée, que nous aurions tendance à figurer, sans forcément nous comprendre nous-mêmes, comme « subjective » ou « individuelle », en la caractérisant au moyen de ce terme de dialogue.

Qu'est-ce que la pensée ? - « un discours qu'elle-même pour elle-même l'âme poursuit à propos de ce qu'elle examine» (Théétète, 189 e).

Et encore : ~«à l'intérieur de l'âme un dialogue pour elle-même qui se produit sans voix» (Sophiste, 263 e). A la lecture de ces deux phrases, des questions s'imposent à nous, dans le désordre du premier étonnement : si la pensée doit être comprise comme un dialogue intérieur et silencieux, ce dialogue en l'âme n'est~il qu'une figure, une manière de dire? mais, alors, l' «âme» en tant qu'elle pense ne peut-elle être représentée qu'en des termes impropres? Ce qu'est penser ne serait-il dit qu'en termes impropres ? Ou, sinon, comment comprendre un réel 1 . Platon 21 dédoublement de l'âme par ··1equel_ elle se questionnerait elle~même, et se répondrait à elle-même, quoique étant à chaque fois ·autre ? Quel est ce nouveau ·dédoublement, indiqué par la première phrase, entre- sa fonction de regar-' der, d'examiner, et sa fonction de parcourir ou poursuivre - un « discoun; » « à propos» de cette même chose qu'elle examine? Et qu'est-ce que ce« discours» - ou Logos dont le nom grec résonne encore dans « dialogue ».? Platon, au soir de -sa première rencontre avec Socratê, jeta au feu les tragédies qu'il avait faites.

Le théâtre n'est qu'une vaine apparence au regard· de la Philosophie.

La tragédie, d'ailleurs, si noble et admirable qu'elle semble, n'est que séduction de la multitude, qui réussit en émouvant ses passions et en la flattant dans ses opinions à la manière des orateurs (Gorgias, 502 b-d).

Le dialogue est l'examen en commun et complet de la réponse à une question, soit recherchée, soit proposée comme une thèse,.

au moyen · d'une suite de questions et de réponses partielles, que l'on enchaîne jusqu'à conclusion de l'examen.

La décision de la question à ·laquelle -il doit parvenir relève de la seule responsabilité des interlocuteurs, en excluant tout recours à une tierce autorité, que ce soit d'un arbitre (Protagoras, 338 b-e) ou de l'opinion èiu plus grand nombre (Gorgias, 471 e-472 c).

Les propositions qui fondent sa conclusion ne peuvent être que celles auxquelles le répondant a explicitement donné son accord, de sorte qu'il soit engagé à reconnm"tre que la conclusion est conséquence nécessaire de tout ce qu'il a dit auparavant par ses affirmations propres ou ses réponses.

Puisque les dialogues dé Platon représentent fa pratique du dialogue ainsi caractérisée, il est toujours possi-' hie de les résumer commè des suites d'arguments, cités abstraction faite des personnages et de )'intrigue, et de nourrir ainsi l'.espoir de dresser uri tableau ordonn_é de la doctrine ' de l'auteur.

Mais cette réduction négligerait que la vie même du dialogue confère aux arguments des significations et des valeurs de vérité bien différentes. 22 Platon Un exemple: /'Hippias mineur Considérons en particulier un bref dialogue, I' Hippias mineur.

Le sophiste Hippias vient de donner une conférence sur les œuvres d'Homère, dont les héros représentaient poétiquement pour les Grecs leur.

idéal de )'homme, de sorte que la recherche de Ja.

meilleure éducation aurait dû se soucier de critiquer, d'estimer à leur exacte vérité, les modèles ainsi proposés à ·1' admiration des enfants dans un âge où leur raison n'est pas encore éveillée (République, 377 a-e; 395 b-396 a).

Socrate, ici, se contente de mettre à la question le pi:opos traditionnel qui assigne leur excellence propre à chacun des personnages d'Homère : aux dires d'Hippias, Achille serait ainsi le plus vaillant, Nestor le plus sage et Ulysse, l'homme aux mille ruses, le plus divers (364 c).

Homère opposerait les caractères d'Achille et d'Ulysse comme ceux de l'homme vrai et droit, et de l'homme faux et divers.

La question était classique de cher~ cher lequel l'emportait sur l'autre en valeur humaine (363 b), et l'on se plaisait à en discuter en citant les traits que le poète leur prête respectivement.

Ainsi fait Hippias, fort de son érudition athlétique (364 a).

Cependant Socrate objecte qu'on ne peut pas interroger Homère sur ses intentions (365 c-d) et par là il change la priorité des questions. Il ne s'agit pas d'autoriser les opinions sur la valeur humaine par la référence aux œuvres consacrées de la culture, mais, à l'inverse, de chercher quels jugements préalables à propos de la valeur humaine doivent à notre avis se trouver confirmés exemplairement par ces œuvres.

Homère n'a d'autorité pour nous qu'à la mesure des principes de notre interprétation de sa poésie.

Hippias doit donc répondre par lui-même des types de jugements qu'il porte sur Ulysse ou Achille.

Il a prétendu que leurs caractères se distinguent parce que autre est l'homme faux, qui a la pùissance de tromper par la ruse ou le mensonge, autre l'homme vrai, incapable de déguiser ou biaiser..

Une première série de questions aboutit à effacer cette distinction. Hippias reconnaît que la fausseté suppose une c~rtaine puissance ou capacité (366 c), après avoir dit (365 e) que l'homme faux ne l'est pas par manque d'esprit, mais au Platon 23 contraire par une aptitude universelle de son intelligence qu'il emploie consciemment à toutes fins utiles.

Or la maîtrise des moyens de tromper et fausser .implique aussi la connaissance du vrai et du droit.

Hippias en convient à propos de lui-même, c'est pour autant qu'il excelle en arithmétique; en géométrie, en astronomie; qu'il est aussi le plus capable ·de tromper autrui en ces sciences.

De même, le « polytechnicien » Hippias, qui se vante de ses talents supérieurs comme orfèvre, cordonnier, tisserand, poète, orateur, grammairien et, ne l'oublions pas, expert en« mnémotechnique », est aussi grâce à ces talents le mieux à même de gâcher ou fausser sciemment l'ouvrage de toutes ces techniques.

Il doit donc en convenir, c'est au même homme qu'àppàrtiennent la capacité du faux et la capacité du· vrai. Mais si l'homme vrai et l'homme faux sont Je même, Achille et Ulysse ne se distinguent donc plus (369 b), et Socrate peut faire valoir maintenant qu'Homère, à l'occasion, a dépeint Achille comme non moins faux et trompeur qu'Ulysse (370 a-è).

Hippias proteste aussitôt contre cette conclusion scandaleuse; et rappelle qu'en parian( de la capacité ou puissance de tromper, on n'avait en vue que la fausseté volontaire, tandis qu'Achille, s'il est faux, ce n'est pas par intention, mais à cause de sa naïveté ou de son humeur versatile au gré des situations (370 e ; 371 d).

Il est donc erroné et abusif, pour Hippias, de conclurè qu'Ulysse et Achille ne valent moralement ni plus ni moins l'un que l'autre, puisqu'on juge communément une tromperie volontaire, comme celle d'Ulysse, plus blâmable qu'une trompérie involontaire (371 e-372 a). · Or Socrate déclare qu'il ne peuts'arrêter àcetteréponse, qui appelle à l;aide le sens de la morale établie, pour convenir de manière bien pensante qu'Ulysse est condamnable pour son art de la tromperie.

Ce n'est pas qu'il ne veuille partàger cette opinion, ou qu'il affecte de soutenir un paradoxe,mais ilne comprend pas comment elle serait compatible avec les autres réponses d'Hippias, qui tendaient constiimment à faire de l'habileté en tout genre ce qui par excellence rend un homme digne d'estime (372 d-e ).

· · Il faut donc explicitement poser le problème : ·) 'homme 'volontairementfaux vaut~il mieux que l'homme involontai- 24 Platon rement faux, ou est-ce le contraire ? (373 e).

Une nouvelle série de réponses d'Hippias conduit le dialogue à son terme. Si l'on considère les activités du corps, comme courir ou lutter, l'homme qui les exerce mal volontairement y est toujours estimé meilleur, c'est-à-dire doué de plus d'aptitudes pour elles que celui qui contre son gré y échoue (373 c374 a): Quant aux qualités du corps lui-même, comme la .

beauté, la force, ou la justesse de la voix, élles sont sembla:- , blement estimées plus parfaites en celui qui les dissimule volontairement qu'en celui qui n'est même pas capable de les acquérir (374 be).

Qui t1e préfère; évidemmènt, avoir un corps aux aptitudes dont il peut à son gré ·se servir ou 'non, dans un sens ou un autre, plutôt qu'un corps privé dé ces JI1êmes aptitudes? (374 c~e).

C'est tout à fait c:le la même manière, convient Hippias, que l'on juge de la ·valeur d'un instrument où d'un animal(374 e-375 a) : ce qùi a e.n Soi l'aptitude à faire ihdifféremrp.ènt bien ou mal, selon l'usage voulu, vaut plus que ce qui est privé d'une telle.

aptitude. }Iippiàs ne peut nier enfin tjue l'âme plüs de valeur, si ·e11e·esfcapable à son gré clübon oû du mauvais usage des '.t~hnigyes, que si elle est ôêpourvue de cette maîtrise (375j-c)'.

Qui ile préfère alors, pour lui.:.mêmê, une âme ëap~ble de voul9irle mal comme le bien à Une âme irièapaJ>le.

d'éviter le mal ? Comment ne pas la jÙger meilleure quand elle a toute l'habileté possible ? Mais Hippias refuse d'.abord cette conclusion, anafogue pourtarit à celle qu'il a açcordée pour ce qui concerne le corps (375c~d),il se met à npuveau à l'abri du· moralisme ordinaire..

Il lui faut pourtànt se rendre enfin à l'évidence, et faire face à cette .conséqm~nce étrange de ses propres dires : si lajustice de 1'âme, mesure de sa valeur, réalise en elle l'union d'une connaissance et· d'une .capacité, se~blable .à une technique,.

elle , doit être plus juste ·et de plus de valeur à proportion de.

c;e qu'elle sait et de ce qu'elle peut.

Mais.une âme connaissant le bien èt le mal et.

capable également des deux -doit donc val9ir plus qu'une âme inconsciente du mal qu'elle fait (37;5, d-::376 .b).

Centretien s'achève surJe,,refus.... »

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