« Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m'arrêtais sur les ponts, pour voir se...
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« Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m'arrêtais sur
les ponts, pour voir se coucher le soleil.
L'astre, enflammant les vapeurs de la
cité, semblait osciller lentement dans un fluide d'or, comme le pendule de
l'horloge des siècles.
Je me retirais ensuite avec la nuit, à travers un labyrinthe
de rues solitaires.
En regardant les lumières qui brillaient dans les demeures des
hommes, je me transportais par la pensée au milieu des scènes de douleur et de
joie qu'elles éclairaient; et je songeais que sous tant de toits habités, je n'avais
pas un ami.
Au milieu de mes réflexions, l'heure venait frapper à coups mesurés
dans la tour de la cathédrale gothique; elle allait se répétant sur tous les tons et
à toutes les distances d'église en église.
Hélas! chaque heure dans la société
ouvre un tombeau, et fait couler des larmes.
Cette vie, qui m'avait d'abord
enchanté, ne tarda pas à me devenir insupportable.
Je me fatiguai de la répétition
des mêmes scènes et des mêmes idées.
Je me mis à sonder mon coeur, à me
demander ce que je désirais.
Je ne le savais pas; mais je crus tout à coup que les
bois me seraient délicieux.
Me voilà soudain résolu d'achever, dans un exil
champêtre, une carrière à peine commencée, et dans laquelle j'avais déjà dévoré
des siècles.
J'embrassai ce projet avec l'ardeur que je mets à tous mes desseins;
je partis précipitamment pour m'ensevelir dans une chaumière, comme j'étais
parti autrefois pour faire le tour du monde ».
François René de Chateaubriand
Contexte et éléments pour l’introduction
Chateaubriand, qui a connu la Révolution française avant d’entamer une carrière d’écrivain
dans la première moitié du XIXè siècle, est un des représentants majeurs du romantisme
français, dont il apparaît comme un précurseur.
Son œuvre met en place tous les thèmes
principaux du romantisme : introspection, célébration des sentiments intimes, lyrisme de
soi et lyrisme de la nature, rejet de la société et aspirations à un renouveau politique –
Chateaubriand mène d’ailleurs, en parallèle de sa carrière d’écrivain, une carrière politique.
Il est l’initiateur du thème du « vague des passions », qui deviendra un lieu commun et un
pilier de l’esthétique romantique.
Le texte, extrait de René – roman largement autobiographique publié en 1802, c’est-à-dire
au tout début du romantisme français - , constitue une illustration typique de cette
esthétique romantique, si bien qu’il faudra, en en relevant les éléments marquants, se
demander en quoi ils sont constitutifs de l’art romantique en général : on y voit en effet
un personnage se livrer à une contemplation de la nature tout en sondant son âme et en
exprimant son rejet de la société, c’est-à-dire que les trois thèmes principaux du
romantisme sont entremêlés dans un lyrisme du « moi » typique de cette esthétique.
Cette
inscription du texte dans l’esthétique romantique peut constituer l’axe de lecture
problématique du texte.
Eléments pour le développement
NB : les éléments donnés ici ne sont volontairement pas composés en plan abouti
pour un commentaire ; ils ne font que mettre en lumière les éléments à
commenter : il vous revient de hiérarchiser ces éléments en fonction de votre
propre lecture du texte.
I.
Une âme passionnée en communion mystique avec la nature et se livrant à une
introspection contemplative
- Le texte est écrit en focalisation interne, c’est-à-dire que le lecteur reçoit le point de vue
intime du personnage à la fois sur le monde et sur lui-même : on pourrait considérer ici
que le personnage se livre à un autoportrait de son âme en situation.
Il faudra, pour
montrer cela, étudier l’emploi du pronom de première personne du singulier (« je ») et des
autres types de pronoms utilisés eux aussi à la première personne (« mes », « me », etc.).
Il faudra aussi remarquer la manière dont le propos est modalisé pour exprimer la
perception intime du personnage (que signifie, par exemple, l’emploi du verbe « sembler »
dans un tel contexte ?)
- Cette étude pourra être accompagnée de considérations sur la situation de perception
mêlée d’introspection que connaît le personnage.
Cette perception prend la forme d’une
communion intime avec la nature, avec laquelle le narrateur se sent en connivence
(commenter par exemple la phrase « Je me retirai avec la nuit »)
- Mettre en valeur le rôle que joue la passion dans les mouvements de l’âme que connaît
le narrateur et qu’il décrit : le champ lexical des émotions est très présent (« joie »,
« douleur », « larmes », « cœur ») : le narrateur perçoit le paysage qui l’entoure en
fonction des émotions qui y sont éprouvées, et auxquelles répondent les émotions qu’il
connaît intimement : autrement dit, le paysage est investi par les émotions du narrateur.
II.
L’opposition romantique de la contemplation de la nature et de la vie....
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