Quand vous serez bien vieille... Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du Jeu, dévidant...
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Quand vous serez bien vieille...
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du Jeu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émeroeillant :
''Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle!"
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Lors, vous n'aurez seroante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
10 Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain:
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie
In Sonnets pour Hélène, 11, Xll11
_ _ _ _ _ _ QUESTIONS-----1 - Quel rôle joue, selon vous, le décor dans cette évocation de la
vieillesse d'Hélène?
Il semble que le décor n'ait pas été choisi au hasard par Ronsard
En effet, il est caractérisé par l'obscurité et le silence qui revêtent
dans le poème des significations symboliques.
L'impression d'obscurité est créée par le "soir" et la "chandelle" qui peuvent être regardés
comme des métaphores : le "soir" est aussi celui de l'existence et la
"chandelle" est un frêle souffle de vie.
La présence du "feu" évoque
l'hiver ou la fragilité d'une vieille personne frileuse.
Quant au silence,
il est mis en valeur par l'éveil "au bruit de Ronsard" d'une servante
"à-demi sommeillant".
2 - Commentez le ton du vers 11
Le ton du vers 11 est particulièrement cruel ; "Vous serez" résonne comme une sorte de condamnation Ge futur est un temps de
l'indicatif) ; mais surtout les deux termes qui constituent le deuxième
hémistiche sont marqués par un réalisme brutal : il n'y a pas trace
d'euphémisme dans ~'une vieille", et peu de "correction esthétique"
dans "accroupie".
2 - Quel e~t le mode verbal dominant dans le dernier tercet ?
Qu'en concluez-vous?
Le mode dominant dans le dernier tercet est l'impératif.
On en
trouve en effet trois occurrences.
Il s'agit, pour Ronsard, d'exercer
une véritable pression morale sur la jeune femme, déjà impressionnée par le sombre tableau qui lui a été proposé.
("Vivez", N'attendez", "Cueillez")
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Int:rodu~tion
_Présentation
du texte
En composant, entre 1570 et 1578, date de publication du recueil, les So:tlnets pour Hélène, Ronsard
a d'abord satisfait une demande de la reine Catherine
de Médicis.
Elle avait en effet invité le poète officiel
de la cour à célébrer la belle Hélène de Surgères restée inconsolée après la mort de son fiancé.
Ronsard
s'exécuta, non sans se prendre au jeu et s'éprendre
de l'indifférente.
En témoigne particulièrement le
célèbre sonnet Quand vous serez bien vieille ...
où
-Annonce du
plan
I - L'image de
la femme
1-Le décor
- obscurité
- silence
l'on discerne, derrière la leçon horatienne du "Carpe
diem" et quelques touches de galanterie, l'ombre
d'un ressentiment.
En effet, l'homme de cinquante ans qui s'adresse
ici à une très jeune femme retranchée dans la plus
expresse réserve, s'emploie résolument à lui mettre
sous les yeux le caractère éphémère de sa beauté en
y opposant fermement l'immortalité dont il bénéficiera et qu'il lui confère en la célébrant.
Pour mettre en lumière le climat particulier de ce
poème, intéressons-nous d'abord à la façon dont la
femme est évoquée dans le sonnet.
Voyons ensuite
comment le poète s'y est représenté.
Pour évoquer la femme, Ronsard, rompant avec la
promenade au jardin ou l'évocation esthétique du
déclin des roses, choisit ici de recourir à une projection dans l'avenir et consacre les quatrains à la constitution d'un tableau fort peu engageant.
Observonsle en envisageant successivement le décor et les
personnages.
Le décor est surtout caractérisé par l'obscurité et le
silence, éléments auxquels on doit accorder une
signification à la fois réaliste et symbolique.
L'obscurité du décor où figure Hélène, en effet, bien indiquée
par le "soir", et révélée par la présence de la "chandelle" et la lueur du "feu", est aussi l'obscurité d'une
beauté déchue que le prince des poètes ne chantera
plus ; quant au "soir", il symbolise la fin d'une existence dont la fragilité est bien exprimée par le rythme
6-2-4 du premier vers qui suggère que la flamme de la
vie ne tient désormais qu'à un souffle.
Quant au silence, on en mesure tout-à-coup
l'emprise lorsque surgit, à l'hémistiche du vers 7 le
"bruit de Ronsard".
Il est le signe de la solitude et de
l'engourdissement qu'évoque dans les quatrains un
climat sonore empreint de monotonie : "dévidant et
filant", "chantant", "émerveillant", "du temps", "servante", "sommeillant", "bénissant" ou "louange" ; ce
silence, comme l'obscurité, revêt une valeur symbolique : il est le silence de l'oubli, de la relégation,
c'est un silence de mort.
Hélène, en effet, avant- même de mourir, ne sera
déjà plus rien.
Au sein de ce silence, Ronsard a fait figurer deux
2 - Personnages
personnages féminins suggérant peut-être ainsi
l'absence de toute présence masculine ; la servante,
probablement âgée, du moins écrasée, "déjà sous le
labeur à demi-sommeillant", n'est pas de nature à apa) une servante porter au tableau une quelconque touche de vitalité ;
mais c'est surtout l'image d'Hélène qu'il importe de
retenir en raison de la cruauté qui s'y trouve distillée.
Si l'on observe en effet le premier hémistiche du
b) Hélène
vers 1, qui constitue l'attaque du poème, on note que
l'accent principal porte sur l'adjectif "vieille" qui n'a
rien d'un euphémisme et que recharge encore l'ad- vieillesse
verbe "bien", intensif appuyant cruellement sur la
déchéance d'Hélène ou suggérant la compassion.
Plus significatives encore sont la posture et les
occupations que Ronsard prête à la vieille femme :
l'asseyant en effet "auprès du feu", au vers 2, il mon-posture et
tre combien elle est devenue fragile ; et, quand il la
occupations
représente "dévidant et filant", on songe au fuseau,
au fil et aux ciseaux des Parques.
Cet élément, chargé de sombres perspectives, a
beau être tempéré par le chant de la fileuse et ce cri
du cœur qui lui échappe : "Ronsard me célébrait du
temps que j'étais belle!", il n'en reste pas moins que
cette douceur agrémentée d'un compliment à l'imparfait ...
est bien passagère.
Tandis, en effet, que Ronsard semblait avoir exploité
l'architecture du sonnet pour réserver les qua-retour de
trains
à
Hélène tandis qu'il occuperait les tercets ("Je
l'image aggravée
serai sous la terre ...
") un retour inopiné de l'image....
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