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Qui est René? Ce personnage, qui a « renoncé au commerce des hommes» et voudrait s'ensevelir dans le silence, va...

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« Qui est René? Ce personnage, qui a « renoncé au commerce des hommes» et voudrait s'ensevelir dans le silence, va néan­ moins parler.

Le public le connaissait un peu, comme confident de Chactas dans Atala.

Dans René, la relation inverse (René se confie à Chactas) va précisément per­ mettre au lecteur de découvrir le passé du héros, et tout ce qui a façonné son âme.

Cette âme est aussi, bien sûr, celle de Chateaubriand.

C'est déjà l'âme romantique· - et même un peu de notre âme moderne. UN FRÈRE JUMEAU DE CHATEAUBRIAND? L'un s'appelle René, l'autre François-René.

Comme ils se ressemblent, le personnage de roman et le narrateur des Mémoires! Chateaubriand place souvent René dans des situations qu'il a vécues lui-même, et il lui prête évi­ demment certains traits de son caractère.

Mais un héros ne saurait être le sosie de son créateur : il en est l'image recomposée. Coïncidences anecdotiques et affinités psychologiques Avant de s'embarquer pour l'Amérique, René se rend au manoir abandonné de ses ancêtres (p.

169-170).

Or, les Mémoires d'outre-tombe nous décrivent la même scène (1, Ill, 17), et la même émotion fait que François­ René y abrège aussi sa visite.

On trouverait beaucoup de ces coïncidences entre la vie du personnage et celle de notre écrivain.

Ne sont-ils pas tous deux tentés par le suicide? Et tous deux mariés sans l'avoir voulu: Cha­ teaubriand à Céleste, René à son épouse indienne? Sans multiplier les rapprochements, rappelons que tout roman, s'il vit de l'imagination, contient aussi sa part d'autobio­ graphie.

Si le Nouveau Monde n'avait pas enthousiasmé François-René, René sans doute n'y aurait jamais vécu. Mais les ressemblances entre l'auteur et son per­ sonnage relèvent aussi de la psychologie. Ingénieux à me forger des souffrances, je m'étais placé entre deux désespoirs.

Quelquefois je ne me croyais qu'un être nul, incapable de s'élever au-dessus du vulgaire, quelquefois il me semblait sentir en moi des qualités qui ne seraient jamais appré­ ciées. C'est Chateaubriand qui parle: ce pourrait être René. Ces alternances d'exaltation et d'abattement, cette pro­ pension au malheur, appartiennent indistinctement au peintre et à son modèle.

L'un et l'autre obsédés par la mort, et souvent taciturnes, ils partagent aussi ce goût pour les décors d'automne qui ouvrent les Mémoires: à la fois ardent et mélancolique, l'automne est bien pour eux le reflet de leur caractère, la saison d'un feu qui se meurt. Chateaubriand et René en exil Chateaubriand imagine René pendant l'émigration. C'est un héros déraciné, qui non seulement s'expatrie, mais qui nulle part ne trouve sa place.

Oisif et solitaire, héros désenchanté, il est l'image de tous ces jeunes chassés de France par la Révolution, mis comme François­ René à l'écart d'une Histoire qui se fait sans eux et contre eux.

« Ils regardent, le cœur serré, s'écouler dans le vide leurs plus belles années stérilement perdues», écrit Pierre Moreau.

Dans cet exil politique, transitoire, Chateaubriand investit son propre sentiment d'un exil métaphysique, qui occupera tout le champ de conscience de son per­ sonnage.

Ce changement de plan, c'est la marque de !'écrivain. La transposition romanesque L'écrivain part de la réalité.

Il s'appuie sur elle et il s'en écarte: le verbe dit bien tout ce qu'il veut dire.

On appelle cela la transposition. Transposer, c'est parfois donner un simple «coup de pouce» à la réalité.

En la noircissant, par exemple : la prime enfance de Chateaubriand s'est déroulée loin de sa mère, mais celle-ci était vivante ; René, lui, sera orphelin.

Chateaubriand aimait à plaisanter et à se moquer de lui-même : cela équilibrait chez lui des humeurs volontiers sombres.

Or, il ne retient pour son personnage que les traits d'une gravité _à la limite du tragique: l'humour a fait les frais de la stylisation. La transposition romanesque peut naître aussi d'un amalgame: autant qu'à François-René, René ressemble à Lucile - comme elle, il entend les horloges annoncer des trépas lointains 1 ••• C'est un amalgame encore, qui inspirera peut-être le couple incestueux d'Amélie et René. Un frère et une sœur qui n'ont pas le droit de s'aimer d'amour, c'est évidemment Chateaubriand et Lucile.

Mais à l'époque même où il écrit René, l'auteur est confronté à un autre amour interdit : celui qu'il aurait pu vivre avec la jeune Charlotte Ives, s'il n'était déjà marié.

L'image incestueuse et l'image adultère se sont-elles fondues en une image unique : celle de l'amour impossible? Interrogeons encore un peu cet amour entre frère et sœur.

Transposer, c'est souvent attribuer à des personnages fictifs un destin que l'on a vécu.

Lucile et FrançoisRené ont-ils vécu des rapports troubles? Chateaubriand n'en souffle mot dans les Mémoîres 2 .

Mais sous le masque de René, le romancier n'a-Fil pas confessé ce que nous taira l'autobiographie? À moins qu'il n'ait fait vivre à son héros une aventure intime devant laquelle il a lui-même reculé.

Car le romancier authentique pousse les situations réelles à leur limite : il les accomplit tout en les désamorçant par le caractère intrinsèquement fictif de son œuvre.

Dès lors, René serait bien un FrançoisRené qui, vivant par procuration, se permet « d'aller jusqu'au bout». Le jeu de l'imagination agissant en toute liberté sur les données de la réalité objective leur confère une intensité; une profondeur, qui conduisent à penser que la vie rêvée est plus vraie que la vie réelle.

Les romantiques le proclameront, et bien d'autres après eux, de Nerval aux surréalistes.

Avouons-le : s'il en allait autrement, pourquoi écrire? À quoi bon les romans? Ceuxci, d'ailleurs, fécondent à leur tour l'existence: lorsque 1.

Cf, René, p.

156. 2.

Et partout ailleurs il s'en défendra, jusque dans sa correspondance intime. 38 Chateaubriand quitte la compagnie et va rêver sur les rochers, est-il lui-même, ou bien joue-t-il René? Au terme de sa vie, choisir pour son tombeau un rocher face à l'infini, n'est-ce pas fixer à jamais dans la vérité du granit l'attitude de son héros méditant dans le crépuscule? UN PERSONNAGE MODERNE Aux yeux des lecteurs de son temps, René, c'est le héros moderne : celui qui leur propose une façon nou­ velle d'appréhender le monde.

Pour nous, lecteurs du xx siècle, il a perdu cette fraîcheur: c'est un personnage daté, de par sa célébrité même.

Il demeure pourtant notre contemporain. e Un héros d'un nouveau style Profondément sensible et mélancolique, René res­ semble beaucoup aux personnages de Rousseau.

Pro­ meneur solitaire, il.... »

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