Raconter sa vie était jadis réservé à quelques « grands hommes » qui, ayant marqué de leur empreinte la vie...
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Raconter sa vie était jadis réservé à quelques « grands hommes » qui, ayant marqué de
leur empreinte la vie politique ou littéraire, voulaient en laisser une trace durable dans un
livre.
Mais on constate aujourd'hui que le phénomène s'est élargi.
C'est ainsi que le
journaliste Pierre Lepape pouvait écrire, en 1982 dans Télérama, qu'en tant que critique,
il était « gavé de confidences autobiographiques dont il n'avait que faire », faisant ainsi
allusion à la masse de livres de ce type lancés sur le marché depuis quelques années et à
leur qualité souvent médiocre.
Ce jugement sévère souligne quelques-unes des
contraintes et des difficultés de l'autobiographie.
Parler de soi en intéressant des lecteurs
à sa propre existence n'est pas si simple.
On pourra dès lors se demander ce qui pousse
à dévoiler sa vie, quels risques on court dans cette entreprise et enfin ce qu'elle peut
apporter au lecteur.
L'intérêt d'une autobiographie dépend beaucoup des motivations de son auteur.
Celles-ci
peuvent être très diverses et il n'est pas douteux qu'elles donneront une forme et un
sens particuliers au récit de soi.
Un des genres autobiographiques les plus anciens est celui des Mémoires.
Il s'agit pour
l'auteur de ce type de récits de rapporter les événements de sa vie, en général selon une
perspective chronologique et en insistant sur les faits historiques qui l'ont jalonnée.
Le
dessein de l'écrivain est alors de présenter sa vie comme celle d'un témoin de l'histoire
devant laquelle il s'efface parfois.
Les Mémoires de Saint-Simon ou les Mémoires d'outretombe de Chateaubriand ont été ainsi rédigés par des hommes
mêlés à la vie publique, des témoins et des acteurs qui souhaitaient en retracer les
grandes évolutions tout en évoquant leur itinéraire particulier.
Aujourd'hui encore, des personnalités du spectacle ou du monde politique rédigent leurs
Mémoires ou leurs Souvenirs, en général à un âge qui leur donne un certain recul par
rapport aux événements et aux activités dans lesquels elles se sont illustrées.
On sent
souvent dans leur témoignage le souci d'informer, d'expliquer des événements qui
avaient pu jusque-là rester secrets, le désir de se justifier.
Tableaux historiques, portraits
de gens connus, révélations, plaidoyers sont quelques-unes des formes particulières
qu'adopte ce genre d'écrits.
On notera que parfois le simple goût de l'anecdote et même du scandale conduisent à
l'écriture mémorialiste dont les motivations publicitaires et commerciales n'apparaissent
que trop évidentes.
Il s'agit alors de « vendre sa vie » par petits récits en suscitant un
intérêt assez trouble chez les amateurs de secrets d'État ou de secrets d'alcôve.
Mais d'autres événements peuvent présider à l'écriture autobiographique.
Ainsi les
Confessions et les journaux intimes nous dévoilent-ils les sentiments les plus personnels
de leur auteur.
Il s'agit pour lui, qu'il écrive ses impressions au jour le jour (journal
intime) ou qu'il revienne sur sa vie pour l'expliquer (confession), de conserver une trace
de ce qu'il a senti et vécu.
Et l'on rejoint alors l'écriture des Mémoires : la différence est
qu'il s'agit ici d'une histoire intime comme celle que rapportent Anne Frank ou André Gide
dans leur Journal
La succession des fragments ou des chapitres des journaux et confessions permet a
posteriori de comparer le présent et le passé et de mieux mesurer l'évolution de sa
propre personnalité.
C'est à quoi s'emploie Jean-Jacques Rousseau dans les Confessions.
Mais son but est aussi de se justifier aux yeux du monde, de se livrer aux regards tout en
tâchant d'échapper à son propre sentiment de culpabilité, en dégageant sa
responsabilité.
« Ma naissance fut le premier de mes malheurs », dit-il comme pour
expliquer la fatalité de ses erreurs futures.
L'écriture autobiographique sert ainsi à gagner la tranquillité de la conscience, une sorte
de soulagement en se racontant.
Communiquer à autrui ce qu'on a de plus intime, de
plus secret, ses désirs, ses actions, permet d'ouvrir un espace de communication qui
libère, apaise ou suscite la compassion d'autrui.
Cette confidence peut revêtir, comme
chez les écrivains romantiques, la forme du lyrisme poétique.
Il existe enfin un « écrit de soi » qui, sans négliger la confidence personnelle, en fait
l'objet d'une méditation, d'une analyse introspective.
Pour Montaigne, écrire les Essais,
c'est se donner le moyen de se connaître, de se comprendre, de mieux se situer par
rapport aux autres, de mieux réaliser sa personnalité ; c'est ouvrir une sorte de dialogue
qui permet de prendre la mesure de soi, de prendre conscience et confiance : on pourra
ainsi, en mettant de l'ordre dans son désordre intérieur, éviter des erreurs et tirer des
leçons de l'expérience la plus proche de soi, celle de sa propre vie.
Mais vouloir se
peindre tout entier ne conduit-il pas à s'embellir, à rendre clair ce qui dans l'existence est
confus et ainsi à travestir la vérité?
Il est vrai que l'entreprise autobiographique n'est pas sans risques.
Comme le souligne
André Gide dans 5/ le grain ne meurt : « Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi
sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu'on ne
le dit.
Peut-être approche-t-on de plus près la vérité dans le roman.
»
L'auteur peut en effet tromper les autres, et pourquoi pas, lui-même, par de prétendus
aveux.
Rousseau, tout en insistant dans les Confessions sur sa volonté de se montrer «
dans toute la vérité de sa nature », reconnaît par ailleurs qu'il est menacé dans son
entreprise par « des omissions dans les faits, des transpositions, des erreurs de dates » ;
et Stendhal dans la Vie de Henry Brulard ajoute : « Mais combien ne faut-il pas de
précautions pour ne pas mentir.
» II précise même avec ironie que le fait d'avoir été
soldat sous Napoléon est « un mensonge tout à fait digne d'être écrit ».
Ainsi, la confidence autobiographique peut conduire hors de l'exigence de sincérité, sur
les voies de la dissimulation, voire de l'hypocrisie.
Se peindre revient alors à se
maquiller, à arranger sa vérité sous des couleurs aussi favorables que fausses.
Ce danger est d'autant plus redoutable que le lecteur ignorant tout des faits et des
circonstances rapportés par l'autobiographie n'a aucun moyen d'en vérifier l'authenticité.
Le récit de soi peut donc se prêter à toutes les manipulations, à toutes les surenchères.
Il
incite parfois à faire de son existence une sorte de fiction et à pallier sa propre....
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