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rargumentation dans la tragédie La tragédie est par excellence un art de la parole. Ses person­ nages n'existent en effet...

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« rargumentation dans la tragédie La tragédie est par excellence un art de la parole.

Ses person­ nages n'existent en effet que par et dans les mots qu'ils prononcent. De leur talent d'orateur; de leur capacité de persuasion dépendent leur malheur ou leur bonheur et, en définitive, l'issue tragique.

Aussi déploient-ils constamment une stratégie argumentative.

Si la tragé­ die n'en invente pas de formes qui lui soient vraiment spécifiques, du moins privilégie-t-elle certaines d'entre elles, qui relèvent du genre délibératif, du genre judiciaire et, parfois, du genre épidictique. LE GENRE DÉLIBÉRATIF La tragédie est par définition une crise1 qui plonge les person­ nages dans l'incertitude et l'angoisse.

Il est donc naturel qu'ils hési­ tent sur l'attitude à adopter.

Que faire? C'est le propre du genre déli­ bératif que d'ouvrir cette discussion sur l'avenir, que de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre.

Le monologue et les scènes de confron­ tation en sont les formes dramaturgiques les plus fréquentes. 1 Le monologue Un personnage est (ou se croit) seul en scène : il parle ; autrement dit, il se parle : pour faire le point sur sa situation, pour voir clair en lui­ même ou pour décider de sa conduite.

C'est une réflexion à voix haute. Le héros tragique délibère ainsi souvent avec lui-même.

Chez Racine, Titus hésite à congédier Bérénice (Bérénice, IV, 4) ; Roxane se 1.

Voir, pour plus de détails, le chapitre 10, p.

63 et suivantes. demande si Bajazet l'aime vraiment (Bajazet, Ill, 7) ; Phèdre se décide à perdre Hippolyte quand elle apprend qu'il aime Aricie (Phèdre, IV, 5). Les monologues délibératifs sont également nombreux dans les tragédies de Corneille.

Ne sachant s'il doit provoquer en duel le père de Chimène, Rodrigue résume le dilemme2 auquel il est confronté : Faut-il laisser un affront impuni ? Faut-il punir le père de Chimène ? (Corneille, Le Cid, I, 6, v.

309-310.) C'est pour s'apercevoir, chemin faisant, qu'il s'agit d'un faux dilemme.

S'il se venge, il perd certes Chimène; mais s'il ne se venge pas, il se déshonore et il s'attire les mépris de la femme qu'il aime. Dans les deux cas, il perd Chimène.

Autant donc satisfaire à l'honneur.

D'où la décision de Rodrigue : Courons à la vengeance ; Et tout honteux d'avoir tant balancé, Ne soyons plus en peine, Puisque aujourd'hui mon père est l'offensé, Si l'offenseur est père de Chimène. (Ibid., v.

346-350.) Le monologue délibératif ne débouche pas obligatoirement sur une ferme résolution.

Dans Cinna, Auguste ne sait comment réagir face à la conspiration qui le menace.

Doit-il la réprimer dans le sang ? abdiquer avant d'être tué ? ou même se laisser assassiner, tant il est las du pouvoir ? Entre ces solutions, il ne parvient pas à trancher, même au terme d'un monologue long de plus soixante-dix vers : Ô Romains, ô vengeance, ô pouvoir absolu, ô rigoureux combat d'un cœur irrésolu Qui fuit en même temps tout ce qu'il se propose ! D'un prince malheureux ordonnez quelque chose. Qui des deux dois-je suivre, et duquel m'éloigner3 ? Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner. (Corneille, Cinna, IV, 2, v.

1187-1192.) 2.

Le dilemme est une alternative entre deux solutions contradictoires mais également valables. 3.

Les « deux » en question sont César et Sylla.

César fut, selon Auguste, un bon empereur, mais mourut assassiné.

Sylla fut un tyran qui sut abdiquer à temps et mourut dans son lit, entouré de l'estime de tous.

Quel modèle suivre? LA TRAGÉDIE 43 Quelles que soient les raisons précises pour lesquelles le héros délibère en lui-même, le monologue passe par trois étapes : - l'analyse de la situation ; ' - l'examen des diverses options ou solutions ; - la prise ou l'absence de décision. S'il y a décision, c'est le registre dramatique4; dans le cas inverse, c'est le registre pathétique qui perdures.

Mais toujours le monologue multiplie les phrases interrogatives, qui sont l'expression de l'incertitude et du désarroi, ainsi que les phrases exclamatives, qui expriment le désordre affectif, émotionnel, du personnage. 1La scène de confrontation La délibération peut faire l'objet d'un débat entre deux ou plusieurs personnages.

Chacun des interlocuteurs expose alors son point de vue, souvent pour combattre celui de l'autre. Soit, par exemple, l'entrevue d'Oreste et de Pyrrhus dans Andromaque (1, 2).

La situation d'énonciation est la suivante : Oreste s'exprime en tant qu'ambassadeur des Grecs ; il est porteur d'un ultimatum pour Pyrrhus, roi d'Épire : ou Pyrrhus livre aux Grecs le fils d'Andromaque6 pour qu'ils l'exécutent, ou c'est la guerre.

Car [ ...

] qui sait ce qu'un jour ce fils peut entreprendre? Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre, Tel qu'on a vu son père embraser nos vaisseaux, Et, la flamme à la main, les suivre sur les eaux. Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ? Vous-même de vos soins craignez la récompense, Et que dans votre sein ce serpent élevé Ne vous punisse un jour de l'avoir conservé. Enfin de tous les Grecs satisfaites l'envie, Assurez leur vengeance, assurez votre vie ; (Racine,Andromaque, I, 2, v.

161-170). 4.

Voir le chapitre 5, p.

37. 5.

Voir le chapitre 5, p.

35. 6.

Fils d'Andromaque et d'Hector, Astyanax est, depuis la mort de son père, l'héritier légitime du trône de Troie.

Si on le laisse vivre, il risque de vouloir un jour recouvrer et rebâtir son royaume.

Ce sera donc la guerre.

C'est ce que les Grecs veulent éviter par le meurtre préventif d'Astyanax. 44 LA TRAGÉDIE Le discours d'Oreste est habile.

Il repose en effet sur un postulat vraisemblable.

L'enfant, héritier légitime du trône de Troie, voudra prendre possession de son royaume.

Ce sera de nouveau la guerre entre les Troyens et les Grecs.

La prise en compte de l'interlocuteur (Pyrrhus) a pour but de mieux le convaincre.

La persuasion se double d'une dépréciation morale de l'enfant : il devient un « serpent », image traditionnelle de la ruse et de la traîtrise. Mais si habile soit-il, le discours d'Oreste n'en présente pas moins une certaine faiblesse.

Il repose sur un postulat, par définition indémontrable.

Aussi Pyrrhus n'a-t-il aucun mal à renverser l'argumentaire d'Oreste. A la menace potentielle que représente l'enfant, Pyrrhus oppose son incapacité à lire dans l'avenir: Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin (ibid., v.

196). A la renaissance future de Troie, il oppose la destruction présente de la ville: Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes (ibid., v.

201). Aux considérations politiques, il oppose des interdits moraux. Qu'on n'attende pas de lui, s'exclame-t-il, que Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir (ibid., v.

216). C'est donc une fin de non-recevoir. En fait, la rationalité des arguments échangés masque un autre débat, sentimental celui-là.

Oreste sait par avance que Pyrrhus ne cédera pas au chantage des Grecs.

Il connaît l'amour de Pyrrhus pour Andromaque.

Celui-ci ne peut espérer l'épouser s'il fait tuer son fils.

Oreste espère du même coup gagner le cœur d'Hermione qui, promise à Pyrrhus, éprouvera un profond dépit de se voir trahie par Pyrrhus.

Sous l'affrontement politique se cachent donc des calculs sentimentaux. C'est pourquoi les scènes de confrontation obligent de prendre en compte: - les modalités de l'énonciation : qui parle à qui ? à quel titre ? et quels sont les rapports (de subordination, d'égalité ou de supériorité) entre les locuteurs ? LA TRAGÉDIE 45 1- ~ ,es eojeW< offiolels, explicltes, de seime ; - la nature de l'argumentation : son caractère logique, sa force persuasive (nature des images, prise en compte de l'autre, de ses intérêts, de ses réactions ...) ; - les implicites du débat : le non-dit (qui est toujours suggéré par le contexte) se révélant parfois aussi ou plus important que ce qui est dit. LE GENRE JUDICIAIRE La tragédie reproduit souvent la situation d'un procès.

C'est que l'attente du verdict puis le verdict lui-même possèdent une évidente valeur dramatique.

Mais un procès constitue aussi le cadre et le lieu où l'argumentation se déploie souverainement : il s'agit de déterminer si l'accusé est innocent ou s'il est coupable.

On peut distinguer deux grands cas de figure : la scène de procès proprement dite et le plaidoyer pro domo7. 1La scène de.... »

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