Rédiger une dissertation traitant de la poésie est toujours chose hasardeuse : en effet, un aspect essentiel de l’écriture poétique...
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Rédiger une dissertation traitant de la poésie est toujours chose hasardeuse : en effet, un
aspect essentiel de l’écriture poétique est qu’elle échappe volontairement à toute tentative
de définition ou de généralisation.
En ce sens, il n’est pas possible de conclure à la vérité
ou à la fausseté d’une affirmation telle que « le poète est un exilé dans le monde ».
Après
tout, la forme versifiée et l’effet poétique sont à certaines époques (notamment la Rome
impériale) le mode d’expression privilégié des milieux savants, et loin d’exiler le poète du
monde, contribuent plutôt à le définir et à l’insérer au sein de son groupe.
Disserter d’une
telle phrase ne peut donc revenir à se demander si tout poète est, oui ou non, un exilé
dans le monde, mais simplement dans quelle mesure l’activité poétique peut assumer une
fonction d’éloignement du poète vis-à-vis des données réelles et quotidiennes.
Présentée telle quelle, l’affirmation présente un paradoxe : quelle que soit la valeur de son
œuvre, un poète n’en continue pas moins de vivre dans le monde qui nous est commun à
tous.
Quel sens attribuer à la formule « exilé dans le monde », dès lors que la condition de
l’exilé est de rester dans l’endroit d’où on l’exile ?
I La poésie, un voyage statique
_L’image la plus répandue du poète hors du monde est sans conteste tirée du mythe
d’Orphée, et fait l’objet d’un très vaste corpus poétique.
Le poème El Desdichado, de
Gérard de Nerval, en propose un exemple : « Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron
/ Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée / Les soupirs de la sainte et les cris de la fée ».
L’idée que le poète, par la puissance de son chant, explore une réalité inaccessible à
l’Homme ordinaire, de laquelle il revient sans pouvoir en rapporter autre chose qu’un récit,
semble définir la poésie non pas comme un exil, mais comme un voyage, d’une nature
relativement semblable à l’allégorie platonicienne de la caverne.
_ Pourtant le terme d’ « exil » ne désigne pas un voyage, en ce que le mouvement de
l’exilé ne s’accomplit pas d’un point à un autre.
L’exilé demeure immobile, mais sur une
terre qui lui est étrangère et incompréhensible, chassé du monde qui est le sien.
A ce titre,
il est remarquable qu’Arthur Rimbaud ait écrit Le Bateau Ivre sans avoir jamais vu la mer.
Les descriptions hallucinées qui composent le poème sont toutes entières conçues à partir
de l’univers de la campagne ardennaise, dont les canaux deviennent ainsi des « fleuves
impassibles ».
L’ailleurs poétique n’est dont pas un ailleurs spatial, mais une
réinterprétation analogique des mouvement à l’œuvre dans le réel.
II La poésie, un moyen de s’étranger à soi-même.
_A partir de ces deux définitions, orphique et rimbaldienne, il est possible de comprendre
le mouvement poétique comme ce que Gilles Deleuze nomme un principe de
« déterritorialisation ».
Le poème est un phénomène par lequel le sujet se fait étranger à
lui-même.
Il n’est pas besoin d’un « ailleurs poétique » pour réaliser un tel mouvement :
c’est la position où je suis qui définit mon mouvement hors d’elle, donc mon exil est sans
objectif ni repos : quand bien même j’atteindrais à une réalité de pure poésie (tentation
de Mallarmé dans son poème Hérodiade), l’élan poétique m’interdirait de m’y arrêter.
C’est
le sens de la chute du Bateau Ivre ; après avoir vu ce que nul ne pouvait voir, le poète n’a
d’autre désir que celui de quitter cet espace éthéré pour retrouver le lieu d’origine perdu :
« Moi qui tremblais sentant geindre à cinquante lieu ./ Le rut des béhémots et les
mælstroms épais / fileurs éternels des immobilités bleues / Je regrette l’Europe aux anciens
parapets ».
_En ce sens, l’exil n’est pas ce que la critique littéraire appelle parfois, et de façon abusive,
une « malédiction ».
Il s’agit au contraire d’une attitude volontaire qui consiste à échapper
à sa propre identité, devenue insupportable à la conscience du poète.
Cette conception de
la poésie relève d’une pensée moderne : jusqu’à Hugo, la tâche du poète est indistincte de
la conduite du monde.
Elle n’est qu’une forme particulière, mise au service d’un contenu,
par exemple politique.
Le conception du poète exilé....
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