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Réflexions sur le progrès I. Les artistes naguère n'aimaient pas ce qu'on appelait le progrès. Ils n'en voyaient pas dans...

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« Réflexions sur le progrès I.

Les artistes naguère n'aimaient pas ce qu'on appelait le progrès.

Ils n'en voyaient pas dans les œuvres beaucoup plus que les philosophes dans les mœurs.

Ils condamnaient les actes barbares du savoir, les brutales opéra­ tions de l'ingénieur sur les pay�ages, la tyrannie des mécaniques, la simpli­ fication des types humains qui compense la complication des organismes collectifs.

Vers 1840, on s'indignait déjà des premiers effets d'une trans­ formation à peine ébauchée.

Les Romantiques, tout contemporains qu'ils étaient des Ampère et des Faraday, ignoraient aisément les scie:i;ices ou les dédaignaient; on n'en r'etenait que ce qui s'y trouve de fantastique.

Leurs esprits se cherchaient un asile dans un Moyen Age qu'ils se forgeaient; ils fuyaient le chimiste dans l'alchimiste.

Ils ne se plaisaient que dans la Légende ou dans !'Histoire - c'est-à-dire aux antipodes de la Physique. Ils se sauvaient de l'existence organisée dans la passion et les émotions, dont ils instituèrent une culture.

[...] ...

Comme je songeais à cette antipathie des artistes à l'égard du progrès, il me vint à l'esprit quelques idées accessoires qui valent ce qu'elles valent, et que je vous donne pour aussi vaines que l'on voudra. Dans la première moitié du xrxe siècle, l'artiste découvre et définit son contraire : le bourgeois.

Le bourgeois est la figure symétrique du romantique.

On lui impose d'ailleurs des propriétés contradictoires, car on le fait à la fois esclave de la routine et sectateur du progrès.

Le bourgeois aime le solide et croit au perfectionnement.

Il incarne le sens commun, l'attachement à la réalité la plus semible - mais il a foi dans je ne sais quelle amélioration constante et presque fatale des conditions de vie.

L'artiste se réserve le domaine du « Rêve ». II.

Or la suite du temps - ou si l'on veut, le démon des combinaisons inatten­ dues - (celui qui tire et déduit de ce qui est, les conséquences les plus surprenantes dont il compose ce qui sera) - s'est divertie à former une confusion tout admirable 'de deux notions jadis exactement opposées.

Il arriva que le merveilleux et le positif ont contracté une étonnante alliance, et que ces deux anciens ennemis se sont conjurés pour engager nos exis­ tences dans une carrière de transformations et de surprises indéfinies. On peut dire que les hommes s'accoutument à considérer toute connais­ sance comme transitive, tout état de leur industrie et de leurs relations matérielles comme provisoire.

Ceci est neuf.

Le statut de la vie générale doit de plus en plus tenir compte de l'inattendu.

Le réel n'est plus déterminé nettement.

Le lieu, le temps, la matière admettent des libertés dont on n'avait naguère aucun pressentiment.

La rigueur engendre les rêves.

Les rêves prennent corps.

Le sens commun, cent fois confondu, bafoué, par d'heureuses expériences, n'est plus invoqué que par l'ignorance.

La valeur de l'évidence moyenne est tombée à rien.

Le fait d'être communément reçus, qui donnait autrefois une force invincible aux jugements et aux opinions, les déprécie aujourd'hui.

Ce qui fut cru par tous et toujours et partout, ne paraît plus peser grand chose1• A l'espèce de certitude qui émanait de la concordance des avis et des témoignages d'un grand nombre de personnes, s'oppose l'objectivité des enregistrements contrôlés et interprétés par un petit nombre de spécialistes.

Peut-être le prix qui s'attachait au consente­ ment général (sur lequel consentement reposent nos mœurs et nos lois civiles) n'était-il que l'effet du plaisir que la plupart éprouvent à se trouver d'accord entre eux et semblables à leurs semblables: Enfin, presque tous les songes qu'avait faits l'humanité et qui figurent dans nos fables de divers ordres - le vol, la plongée, l'apparition des choses absentes, la parole fixée, transportée, détachée de son époque et de sa course - et de maintes étrangetés qui n'avaient même pas été rêvées, 1. En italique par P.

Valéry. sont à présent sortis.... »

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