Rien n,était si beau... Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les...
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Rien n,était si beau...
Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les
deux armées.
Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambou-rs, les
canons, formaient une harmonie telle qu'il n y en eut jamais en
enfer.
Les canons renve-rsèrent d'abord à peu près six mille hommes
5 de chaque côté; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes
environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface.
La
baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques millier-s d'hommes.
Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de
mille âmes.
Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha
10 du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum
chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleur-s des
effets et des causes.
Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin; il était en cendres : c'était
15 un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit
public.
Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leur-s
femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels
de quelques héros rendaient les dernie-rs soupirs; d'autres, à demi
20 bn1lées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort.
Des cerve~les
étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide.
Chapitre III, extrait.
QUESTIONS
1 - Dans le premier paragraphe, relevez les termes et expressions
traduisant l'idée d'imprécision.
Commentez-les brièvement.
De nombreux termes et expressions sont chargés dans le premier
paragraphe de créer une impression d'imprécision.
C'est le cas de,"à
peu près six mille hommes", "environ neuf à dix mille coquins·",
"quelques milliers d'hommes", "le tout pouvait bien se monter à une
trentaine de mille âmes".
En utilisant ces expressions, Voltaire affecte de minimiser le désastre guerrier, comme tous ceux qui s'en accommodent qu'ils soient
rois, prélats ou philosophes.
Il s'agit donc d'une démarche ironique.
2 - Dans quelle partie du texte trouve-t-on des éléments réalistes ?
Citez-en quelques exemples et dites quelle en est la fonction.
On trouve des éléments réalistes dans la deuxième partie du texte
où ils abondent.
Citons par exemple les "femmes égorgées" aux
"mamelles sanglantes", les "filles ...
à demi-brûlées", les "cervelles ...
répandues".
Il semble que Voltaire ait voulu ainsi créer un contraste
entre les deux parties de son évocation ; il faut noter aussi qu'il décrit
désormais des civils et particulièrement des faibles, victimes passives
de la folie guerrière.
En énumérant froidement ces horreurs il exprime,
sans commentaire, une grande indignation qui entre en opposition
avec le ton désinvolte du premier paragraphe.
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ
Introduction
- Présentation
du texte
Au chapitre III de Candide (1759), Voltaire nous
présente son héros, fraîchement chassé du paradis terrestre du château de Thunder-ten-tronk, face à la manifestation la plus éclatante du "mal moral", la guerre.
Ce
spectacle, qui apporte un démenti flagrant aux thèses
des philosophes optimistes, révèle aussi la honteuse
responsabilité des autorités civiles et religieuses.
De
-Annonce du
plan
nombreux écrivains et moralistes se sont, bien avant
Voltaire, donné pour tâche de vilipender la guerre,
avec une efficacité manifestement réduite ...
Il sera
donc intéressant d'examiner ici, comment, conscient
des limites du discours moralisateur, Voltaire a choisi
de procéder pour démasquer les impostures intellectuelles qui font que des états chrétiens peuvent associer aussi bien la gloire que la foi en un Dieu d'amour à
une ignoble boucherie.
On découvrira que l'auteur use d'une stratégie à
double détente qui consiste d'abord à prendre ironiquement le parti de ses adversaires, pour dévoiler
ensuite le vrai visage de l'horreur.
Suivons-le dans sa
démarche.
Pour montrer d'abord que Voltaire affecte de
prendre à la légère, comme les rois, les prélats et les
optimistes, la grande saignée guerrière, il suffit de
remarquer l'abondance des termes exprimant une
appréciation esthétique du conflit :.
les trois premières
1 - Appréciations lignes du texte abondent en effet en indications
esthétiques
enthousiastes concernant la beauté du spectacle : "Rien
n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné ...
"
C'est à croire que nous assistons à une fête, une kermesse, et pourquoi pas à un concert où retentissent les
accents des "trompettes", des "fifres", des "hautbois",
des "tambours" qui "forment une "harmonie".
Mais la technique de l'ironie ne fonctionnerait pas
sans la présence d'indices qui, pour être glissés innocemment, n'en sont pas moins explosifs.
Cet effet tient
sans doute à la place de certains mots intrus judicieuse- indices de
ment disposés en fin de phrase ou d'énumération; ainl'ironie
si en est-il d"'armées", dans la première phrase, des
"canons", clôturant la liste des instruments de musique,
et d"'enfer" qui entre en collision rétrospective avec
l"'harmonie" - terme cher à Leibnitz - évoquée à la fin
de la deuxième phrase.
A cette feinte admiration - savamment minée 2- Légèreté
s'ajoute le parti-pris de représenter la mêlée de façon
détachée et désinvolte.
Ainsi, à la ligne 4, ce ne sont
1-Une
désinvolture
affectée
pas des hommes que les "canons renversèrent", mais,
comme ce mot le suggère, des soldats de plomb ou un
jeu de quilles.
Dans le même esprit, l'approximation
- appoximations concernant le nombre des victimes montre bien qu'il
n'y a pas lieu de dramatiser ; en effet, nous nous
livrons, avec Voltaire à une comptabilité qui montre
que l'horreur fait des prix de gros : on "arrondit" au fil
des trois phases marquées de façon dépassionnée par
"d'abord", "ensuite", "aussi", et pour conclure, "le tout";
si l'on entre dans le détail, cela nous donne "à peu près
six mille hommes", ("de chaque côté" semble corriger
une étourderie bien pardonnable), "neuf à dix-mille
coquins", "quelques milliers d'hommes", et enfin "une
trentaine de mille", car c'est à ce chiffre que "le tout
pouvait bien se monter"...
Comment mieux dire le
mépris des humains qui s'affiche là ! Mais, encore une
- nouveaux
fois, l'ironie ne fonctionne pas sans indices : outre le
indices
_ "de chaque côté" relevé plus haut, notons en particulier l'explosion en fin de phrase, à la ligne 9, du mot
"âmes" qui donne la clé du propos de Voltaire.
Enfin, puisqu'il s'agit....
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