Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Quatrième partie, Lettre X. Saint-Preux à Milord Edouard. Que de plaisirs trop tard connus je goûte...
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Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Quatrième partie, Lettre X.
Saint-Preux à Milord Edouard.
Que de plaisirs trop tard connus je goûte
depuis trois semaines ! La douce chose de
couler ses jours dans le sein d'une tranquille
amitié,
à
l'abri
de
l'orage
des
passions
impétueuses ! Milord, que c'est un spectacle
agréable et touchant que celui d'une maison
simple et bien réglée où règnent l'ordre, la paix,
l'innocence ; où l'on voit réuni sans appareil,
sans éclat, tout ce qui répond à la véritable
destination de l'homme ! La campagne, la
retraite, le repos, la saison, la vaste plaine
d'eau qui s'offre à mes yeux, le sauvage aspect
des montagnes, tout me rappelle ici ma délicieuse île de Tinian.
Je crois voir
accomplir les voeux ardents que j'y formai tant de fois.
J'y mène une vie de mon
goût, j'y trouve une société selon mon coeur...
Je veux vous en donner idée par
le détail d'une économie domestique qui annonce la félicité des maîtres de la
maison, et la fait partager à ceux qui l'habitent.
J'espère, sur le projet qui vous
occupe, que mes réflexions pourront un jour avoir leur usage, et cet espoir sert
encore à les exciter...
Depuis que les maîtres de cette maison y ont fixé leur demeure, ils en ont
mis à leur usage tout ce qui ne servait qu'à l'ornement ; ce n'est plus une maison
faite pour être vue, mais pour être habitée.
A des meubles anciens et riches, ils
en ont substitué de simples et de commodes.
Tout y est agréable et riant, tout y
respire l'abondance et la propreté, rien n'y sent la richesse et le luxe.
Il n'y a pas
une chambre où l'on ne se reconnaisse à la campagne, et où l'on ne retrouve les
commodités de la ville.
Les mêmes changements se font remarquer au dehors.
La
basse-cour a été agrandie aux dépens des remises.
A la place d'un vieux billard
délabré l'on a fait un beau pressoir, et une laiterie où logeaient des paons criards
dont on s'est défait...
Partout on a substitué l'utile à l'agréable, et l'agréable y a
presque toujours gagné.
Quant à moi, du moins, je trouve que le bruit de la basse-cour, le chant des
coqs, le mugissement du bétail, l'attelage des chariots, les repas des champs, le
retour des ouvriers, et tout l'appareil de l'économie rustique, donnent à cette
maison un air plus champêtre, plus vivant, plus animé, plus gai, je ne sais quoi
qui sent la joie et le bien-être, qu'elle n'avait pas dans sa morne dignité.
****
Julie ou La Nouvelle Héloïse > roman épistolaire, roman d'amour contrarié.
Saint Preux > jeune roturier tombé amoureux de son élève Julie.
Homme qui, dans ses
lettres, se montre fin et réfléchi (philosophe).
Milord Edouard (Edouard Bomston) > pair d'Angleterre, meilleur ami de Saint Preux.
I- De Saint-Preux à Milord Edouard
A- Une lettre
Il s’agit d’une lettre fictive.
• Toutes les marques de 1e personne (« je » ; « moi » ; « j’ »…) renvoient au scripteur de
la lettre > Saint-Preux.
• Toutes les marques de 2e personne du pluriel > vouvoiement (« vous », l’apostrophe
« Milord »…) renvoient au destinataire de la lettre, Milord Edouard.
• La lettre est écrite aux temps du discours > présent, passé composé… > la lettre
fonctionne comme un discours, elle est ancrée dans la situation d’énonciation.
Présent > présent d’énonciation.
Ex : « je goûte depuis trois semaines » ; « je trouve »…
Passé composé > passé mais qui a un rapport avec le présent.
Cf.
« Depuis que les maîtres
de cette maison y ont fixé » ; « a été agrandie » ; « on a substitué »…
B- L’enthousiasme de Saint-Preux
• Ne pas oublier que Milord Edouard est son ami > Saint-Preux se livre à lui, lui raconte
son bonheur.
=> Enthousiasme de Saint-Preux.
Cf.
les tournures exclamatives + toutes les connotations
très mélioratives.
Ex : « Que de plaisirs » ; « c'est un spectacle agréable et touchant » ; « La douce chose »
…
• « J'y mène une vie de mon goût » ; « voir accomplir les voeux ardents que j'y formai
tant de fois »… => vie....
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