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SAINT AUG:clSTIN ET LA PATRISTIQUE OCCIDENTALE par Jean P1!.PIN Les. Pères latin, et la philosophie Il ne faudrait pas conclure...

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« SAINT AUG:clSTIN ET LA PATRISTIQUE OCCIDENTALE par Jean P1!.PIN Les.

Pères latin, et la philosophie Il ne faudrait pas conclure des pages qui précèdent que · la totalité de la philosophie patristique fut écrite en langue grecque.

Sans doute l'apport du ;monde latin est-ll, dans ce domaine comme dans celui de la philosophie profane, moins considérable; on ne saurait pourtant le négliger, d'autant moins que le christianisme occidental a donné naissance à un maître de la philosophie universelle dans la personne de saint Augustin.

Avant d'en venir à lui, et pour mieux le comprendre, il· est nécessaire de consacrer quelques pages aux Pères latins qui l'ont précédé. Le premier d'entre eux est Tertullien (né vers 160). Ses œuvres qui intéressent le plus la philosophie sont deux apologies du christianisme, intitulées Apologétique et De la prescription des hérétiques; il faut y ajouter un traité De l'âme, moins important d'ailleurs par l'exposé de la doctrine de l'auteur qu'en raison des ·opinions de nombreux philo• sophes anciens, souvent mal connus, qui s'y trouvent rapportées.

L'argument de la >, Augustin imagine que le cantique de louange chanté par ces créatures muettes n'est autre que leur beauté, par laquelle elles renvoient à leur Créateur, infiniment plus beau qu'elles-mêmes : La beauté de toutes ces choses est en quelque sorte leur voix, par laquelle elles louent Dieu.

Le ciel crie vers Dieu : C'est toi qui m'as fait, et non moi-même. La terre crie : C'est toi qui m'as créée, et non moimême.

Comment font-elles entendre ces cris? C'est quand on les regarde que l'on fait cette découverte; c'est parce que tu les regardes qu'elles crient, et par ta voix.

Observe le ciel, il est beau; observe la terre, elle est belle; l'un et l'autre ensemble sont très beaux ( ...).

Mais tout ce qui te plaît dans ces choses est inférieur à leur Créateur même.

Que le plaisir que tu prends 256 LA PHILOSOPHIE I à ce qui a été fait ne t'écarte donc pas de celui qui l'a fait; mais si tu aimes ce qui a été fait, aime bien davantage celui qui l'a fait.

Si ce qui a été fait est beau, comhien°plus beau celui qui l'a fait! (Ibid., 148, 15). Mais, plus encore que la beauté de l'univers physique, c'est celle des corps humains et des âmes qui nous attire; aussi faut-il faire remonter notre amour jusqu'à celui qui en est l'artisan (Confessions, IV, 12, 18, 1 sq.).

Car la dialectique de la beauté se confond avec celle de l'amour.

Or il y a un ordre dé l'amour.

Que ce soit en soi-même ou chez autrui, il faut aimer l'âme plus que le corps; c'est cette préférence que l'on observe dans l'amitié chaste, où l'ami aime chez son ami la fidélité, 1a bienveillance; etc., c'est-à-dire son âme; même dans l'amour charnel, qu'embrase la beauté des corps, l'amant aime à être aimé en retour, ce qui signifie qu'il hausse en quelque sorte son amour au plan de l'âme. Mais, infiniment plus que l'âme même, il faut aimer Dieu; au-dessus·des cc amoureux des corps», et aussi des« amoureux des âmes », .il y a les « amoureux de Dieu».

C'est que cette hiérarchie des ·amours repose sur une action causale, par laquelle l'âme, qui rend le _corps _aimable, est elle-même rendue aimable par Dieu.: > (Matth., XII, 35), et ailleurs : « Nul n'est bon, que Dieu seul» (Marc, x, 18).

N'était-ce pas pour nous exciter à rechercher et à distinguer ce qui est bon d'une bonté étrangère, et· ce qui est bon de sa propre bonté? Combien donc est bon celui par qui toutes choses sont bonnes! Car tu ne saurais trouver aucune chose bonne qui ne le soit pas par lui » (Sermons sur les Psaumes, 134, 4). On aura remarqué que beaucoup des textes où s'~xprime cette ascension spirituelle par les degrés de la création sont empruntés aux Sermons sur les Psaumes.

Ce n'est pas par hasard.

On sait en effet que certains psaumes sont des chants de· marche, des « cantiques des degrés », dont les Juifs scandaient leurs processions; il y est question d' « aséensions », qui, dans l'intention du psalmiste, désignent les routes qui, de tous les points de la Palestine, montaient vers Jérusalem. Augustin transpose ces déplacements locaux en mouvements spirituels; tous les versets du psaume sont interprétés da~s _cette nouvelle perspective, et en quelque sorte dé-spatialisés.

L'échelle des ascensions physiques fait place à une remontée intérieure, par laquelle on s'approche de Dieu : Dans son ascension, où allait-il lever les yeux, sinon sur le terme vers quoi il était tendu et voulait monter? De la terre en effet il monte au ciel.

Voilà, en bas, la terre, que nous foulons.

de nos pieds; et voici, en haut, le ciel, que nous voyons de nos yeux; dans notre ascension nous chantons : « Vers toi j'ai levé mes yeux, toi qui habites dans le ciel » (Psaume 122, 1).

Mais où est l'échelle? Car nous apercevons :tant d'intervalle entre le ciel et la terre! Un si grand espace les sépare! C'est là que nous voulons monter, et nous ne voyons pas d'échelle; serait-ce que nous nous méprenons en chantant un(< Cantique des degrés», c'est-à-dire un cantique d'ascension? Nous montons vers le ciel, si nous méditons sur Dieu, qui a disposé dans notre cœur des moyens 258 LA PHILOSOPHIE I de monter.

Qu'est-ce que monter dans son cœur? C'est s'approcher de Dieu.

Quiconque s'en détache tombe plutôt qu'il" ne descend; de même quiconque s'en approche monte (Sermons sur les Psaumes, 122, 3). • Il est d'autres itinéraires plus spécifiquement chrétiens, utilis_ant .commç médiateur le Dieu fait homme, dont Augustin déplorait l'absence .

dans: le.

néoplatonisme.

Un commentaire au Sermon du Seigneur .sur la· montagne offre ainsi comme paliers de l'ascen~ion dialectique les huit Béatitudes : humilité, docilité à !'Ecriture, regret lucide d'avoir méprisé -le souverain Bien, rupture laborieuse d'avec les biens terrestres, appel au secours divin, purification de l'intelligence, contemplation pacifiante de la vérité, .

enfin possession du Royaume des cieux, - qual}d ce n'est pas les sept dons du saint Esprit.

Surtout, l'Eglise constitue aux yeux d'Augustin le milieu indispensable à l'accomplissement de toute purification, à l'éclosion de toute sainteté; aucune .

approche dialectique .

de Dieu ..

ne pourra :donc s'effectuer hors d'elle.

Commentant le Psaume 41, il voit dans le cerf qui soupire vers les sources des eaux l'image de l'âme éprise d':union mystique; mais l'accès à l_a « maison.de Dieu », terme du voyage, passe par une « tente admirable » (verset 5); cette tente représente l'Église, indispensable médiation : « Car je se~ai dans l'erreur si je cherche mon Dieu hors du lieu de cette tente» (Sermons sur les Psaumes, 41, 9). Et après que la maison de Dieu a dû être abandonnée · aussitôt qu'atteinte, dans les soupirs, la nostalgie et les doux reproches, _c'est encore la tente de.

!';Église qui s'ouvre à l'âme déçue-comme le lieu où elle pourra le mieux entretenir lè souvenir de son expérience surhumaine et en: préparer une nouvelle tentat~ve. La théologie de la grâce S'il est vrai que le génie consiste à exploiter dans l'âge mûr de profondes imJilressions de jeunesse, la théologie 1 SAINT AUGUSTIN ET L'OCCIDENT 259 augustinienne s'en trouve marquée sans contredit; car elle se définit· souvent par la mise en œuvre d'observations psychologiques d'une incomparable finesse auxquelles Augustin, très tôt, excella.

Bien que l'utilisation ·théologique de la psychologie ne soit pas exempte de tout risque épistémologique, c'est là que réside sans doute le secret de la séduction.... »

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