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SAINT THOMAS ou L'humanisme intégral par Jean Cachia _I Dieu seul peut rassasier la volonté de l'homme. Somme théologique, la...

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« SAINT THOMAS ou L'humanisme intégral par Jean Cachia _I Dieu seul peut rassasier la volonté de l'homme. Somme théologique, la Ilae q.2 a.8. Thomas, Frère Prêcheur Né en 1225, issu de l'aristocratie napolitaine, Thomas d'Aquin a été éduqué par les moines du Mont-Cassin.

A dix-huit ans, malgré l'opposition de sa famille, il entre chez les Frères Prêcheurs, ordre fondé récemment par · saint Dominique.

C'était choisir la vie intellectuelle, l'enseignement, et la pauvreté.

Frère Thomas étudie sous la direction de saint Albert le Grand, à Paris et à Cologne.

« Maître Albert », théologien passionné par la science grecque et arabe, n'hésitait pas à faire lui-même des expériences de physique, dans son grand dessein de concilier la science et la foi.

Frère Thomas enseigne à son tour, à Paris, à Rome et à Naples.

Tous ces voyages se faisaient à pied, la règle interdisant aux frères l'usage du cheval.

C'est au cours du voyage qui devait le conduire au concile de Lyon que Frère Thomas meurt en 1274.

Il y était convoqué, comme expert en théologie orientale, en raison du projet de réconciliation entre l'Eglise romaine et l'Eglise grecque.

Par décision du Pape, les restes de Frère Thomas ont été transférés à Toulouse où on les vénère encore. Pénétré dès son enfance de la Bible et des anciens auteurs chrétiens, Frère Thomas a charge de faire connaître Dieu à partir de ces textes sacrés.

Etait-il besoin pour cela 186 Saint Thomas d'être philosophe? N'était-il pas plus simple de répudier la philosophie comme contraire à la foi ? Ne valait-il pas mieux en tous cas l'abandonner à de purs philosophes, plus libres' de répéter servilement le païen Aristote et son commentateur musulman Averroès 1 ? .Nous allons voir que c'est précisément ce qu'il faut appeler l'humanisme de s~int Thomas qui va le conduire à être philosophe.

Parce que l'homme, dans sa nature, est bon; parce que la foi perfectionne l'intelligence et ne la détruit pas, la philosophie est à sa place dans la théologie et le théologien doit être philosophe ; quitte à être incompris, tant de ceux pour qui la raison est essentiellement contraire à la foi, que des autres qui ne permettent pas qu'on touche à l'averroïsme, voire à l'aristotélisme lui-même. Philosopher en théologien Commenter la Parole de Dieu, c'est admettre qu'une parole humaine - car la parole de Dieu est toujours la parole d'un homme qui parle de la part de Dieu, le prophète (Somme théologique.

lia Ilae q.171 a.1) - contient une vérité sur Dieu.

La foi est donc un acte de l'intelligence, qui doit déjà connaître au moins confusément Dieu pour lè reconnaître comme auteur de la révélation. Sans doute la foi est-elle aussi un.acte de volonté, car elle repose sur la confiance en Dieu qui ne peut ni tromper ni se tromper : on croit ce que Dieu dit parce qu'on croit en Dieu, qu'on a confiance en Lui.

La connaissance de Dieu ne s'achève donc pas à une idée de Dieu, mais a pour terme Dieu lui-même (ibid.

q.1 a.2).

Le langage désigne donc les choses et non seulement les conceptions que nous en avons, puisque ces conceptions ne sont que des moyens de connaître les choses.

, On voit ainsi que la foi contient des présupposés philosophiques, c'est-à-dire, pour Frère Thomas, démontrables.

Or la philosophie d'Aristote contenait justement la démonstration du réalisme de la connaissance et de l'existence de 1.

Illustre philosophe arabe (Cordoue II 26, Marrakech II 98). Saint Thomas 187 Dieu.

Aussi Frère Thomas doit-il affirmer que le Dieu dont parle Aristote est le même qui a parlé par les prophètes. Bien que la foi et la philosophie soient deux types de connaissance distincts par leur objet (affirmations démontrables ou indémontrables) et leur méthode (démonstration ou confiance en quelqu'un), elles portent ultimement sur la même réalité.

Et Frère Thomas d'affirmer qu'on peut démontrer qu'il n'y a qu'un seul Dieu.

(la q.11 a.3). · Les philosophes contre les prophètes Toutefois Aristote a bien enseigné que Dieu est le moteur de l'univers, mais non son créateur; Dieu créateur serait cause libre de l'existence de l'univers, et celui-ci pourrait ne pas exister.

Averroès jugeait contraire à toute philosophie cette doctrine de la création qu'il trouvait, lui, dans le Coran, et qui semble détruire la nécessité inhérente à toute science. De même, sur l'immortalité de l'âme, le texte très difficile d'Aristote était interprété par Averroès dans un sens opposé à la croyance chrétienne.

L'intelligence humaine comprenant un élément passif qui est « informé » par les choses, et un élément actif qui rend les choses intelligibles, Averroès fait de cet « intellect agent» une sorte d'esprit supra-personnel, unique pour tous les hommes, et seul immortel.

L'immortalité de l'âme est donc un retour de celle-ci à l'unité primitive et non l'immortalité de la personne.

Enfin, dans un monde éternel existant nécessairement, et en l'absence de vie future personnelle, on né saurait concevoir la liberté humaine comme une capacité de choisir sa destinée, partagée entre le ciel et l'enfer, à la façon chrétienne. Frère Thomas était donc confronté à un choix entre deux conceptions du monde : celle de la Bible, fondée sur la doctrine de la création, où la destinée de l'homme est suspendue à la libre bonté de Dieu et à la libre méchanceté de l'homme; celle de la pensée gréco-arabe, où le monde est nécessaire et où le retour des âmes à leur unité primitive ne l'est pas moins.

Or la philosophie, en tant que discipline 188 Saint Thomas scientifique reposant sur des preuves, paraissait précisément inséparable de cette conception païenne du monde, si contraire à lafoi biblique. La Bible renouvelle la philosophie C'est cette apparence que Frère Thomas va dénoncer, en montrant que si cette conception païenne du monde, inhérente à l'averroïsme, est contraire à la foi, c'est précisément qu'elle est fausse et comme telle impossible à démontrer philosophiquement : il n'y a pas de démonstration du faux (la q.I a.8).

La rupture n'est donc pas entre la philosophie et la foi, mais entre la philosophie et les philosophes, ce qui engage Frère Thomas dans une entreprise proprement philosophique : repenser l'aristotélisme pour y faire entrer les doctrines de la création, de l'immortalité personnelle et de la liberté.

Ces trois questions sont pour lui l'objet de solutions démonstratives et c'est ainsi qu'il a, le premier, établi une doctrine philosophique cohérente et compatible avec la croyance chrétienne sur ces trois points cruciaux. C'était tirer de la Bible une véritable philosophie, conforme aux exigences logiques définies par les Grecs.

Mais c'était aussi introduire dans la philosophie des éléments nouveaux, d'origine essentiellement juive, qui vont jouer un rôle décisif par la suite. Un auteur aussi anticlérical que Condorcet écrivait au xvm" siècle que nous devons aux penseurs du Moyen Âge l'analyse des notions de création, de liberté, et de la distinction entre l'esprit et la matière (Tableau historique des progrès de l'esprit humain) 1• Et si les philosophes modernes se sont parfois rapprochés de l'averroïsme en niant la création, si certains ont tenté de concilier judaïsme et paganisme, si d'autres ont même repris les positions les plus irrationalistes de l'augustinisme médiéval (Dieu inaccessible à la raison, la foi contraire à la science), il reste que 1.

De son côté, Auguste Comte inscrit saint Thomas d'Aquin au 7c jour du mois Descartes, 1le mois du Calendrier positiviste, consacré à la Philosophie moderne. Saint Thomas 189 pour eux aussi, les questions fondamentales de la philosophie sont justement celles sur lesquelles Frère Thomas s'est opposé à l'aristotélisme arabe, comme si la philosophie avait désormais pour tâche de trancher démonstrativement entre la conception païenne du monde et la conception judéo-chrétienne. Connaître Dieu par la philosophie La philosophie, devenue servante de la théologie, va donc devoir démontrer l'existence de Dieu.

Aucune existence ne peut être démontrée à partir d'une définition abstraite et l'existence de Dieu ne peut être démontrée qu'à partir de l'existence des êtres sensibles qui sont les effets de son action créatrice.

Sans entrer dans le détail des preuves, qui font appel à l'analyse du mouvement physique, de la causalité sous ses différents aspects, des rapports entre le possible et le nécessaire, remarquons que la caractéristique générale de ces.

preuves est de partir du monde physique pour arriver à Dieu.

(la q.2 a.2 et 3). Cela résulte de la méthode de Frère Thomas, qui s'élève par abstractions successives, du visible à l'invisible.

La théologie naturelle ou philosophique est donc fondée sur la connaissance· de la nature.

On doit en tirer la conséquence immédiate que Dieu est très imparfaitement connu par la philosophie.

C'est comme si on voulait connaître l'essence du feu en n'ayant jamais observé que la fumée : on ne connaît Dieu que par rapport aux créatures, c'est dire que nous savons mieux ce qu'il n'est pas que ce qu'il est. Les premières minutes de l'univers L'affirmation de la création est toutefois liée, dans la Bible, à celle d'un commencement temporel du monde. Aristote avait rejeté l'idée d'un commencement temporel, introduisant plusieurs arguments dont le principal est que ce commencement présupposerait un temps antérieur, ou un 190 Saint Thomas matériau préexistant, donc ne serait pas le commencement absolu de l'univers. Frère Thomas interprète ces arguments comme étant seulement la réfutation par Aristote de théories affirmant un commencement par génération, et non la preuve que le monde n'a pas commencé.

En effet, Aristote, dans les tex-. tes en question, se réfère à ses prédécesseurs, alors que dans les Topiques (l 04 b 16), il donne la question comme insoluble (la q.46 a.1). Dire que le monde n'a pu commencer par génération, car la génération est la transformation (naturelle ou artificielle) d'un matériau préexistant, n'est pas rejeter la notion de création, selon laquelle Dieu est la cause totale de l'univers, de la matière qui le compose, et des générations qu'il contient.

Frère Thomas a-t-il christianisé Aristote? Ou l'a-t-il mieux lu? Aristote affirme précisément dans sa Physique (186 alO), qu'il n'est pas prouvé que ce qui n'est pas engendré n'a pas commencé. Est-ce à dire qu'on peut démontrer que le monde a commencé ? On ne peut démontrer que ce qui est nécessaire, la démonstration passant d'une vérité nécessaire à une autre. Dire que le monde est créé, c'est dire que son existence dépend de la volonté divine, mais cela peut se faire aussi bien dans un temps limité qu'illimité.

Un monde qui a commencé n'a pu commencer que par création, mais un monde créé peut n'avoir jamais commencé.

C'est une question de fait, liée au but de la création : Dieu a voulu un monde qui a commencé, pour faire du monde une histoire, l'histoire de son alliance avec l'homme.

Cela relève donc de la foi seule et non de la démonstration : la question est philosophiquement insoluble. L'architecte était créateur On peut cependant prouver que Dieu est le créateur du monde et non seulement un fabricant ou un architecte.

Sur cette question décisive, Frère Thomas a conscience de s'écarter.d'Aristote qui a cherché la cause de la forme ou de l'essence des choses (leur principe d'organisation), et Saint Thomas 191 non la cause de l'être même de celles-ci, parce qu'il supposait la matière première incréée.

(la, q.44 a.2). Ce faisant, il ne prend pas seulement parti en philosophe, et paradoxalement, dans le sens de la Bible ; il apporte en fait la solution à une grave difficulté inhérente à l'aristotélisme lui-même : dans son traité De la génération et de la corruption (1.1 c.3), Aristote se demande à partir de quoi est engendrée une nouvelle substance, pour justifier l'affirmation d'une génération ou naissance absolue, distincte des changements accidentels.

Lorsque naît un nouvel être, il y a transformation d'un matériau préexistant.

Mais cet être n'est issu ni du néant, ni de l'être qui existait avant lui et qui a disparu : il est issu de cet être en puissance qu'on appelle la matière.

Il y a donc une matière première qui est l'étoffe primitive de tous les êtres composés, et qui demeure à travers tous les changements, de même que le bois reste bois lorsque d'arbre, il devient lit ou armoire. Toutefois, cette matière première étant totalement inorganisée ne peut exister réellement que dans les êtres composés ; et elle n'est reçue par l'être qui naît que sous la forme de la matière prochaine, déjà organisée (le bois par exemple). Or il y ·a une difficulté évidente à faire de cette matière première qui n'est rien et ne peut exister à l'état séparé, une cause.

éternelle de l'univers au même titre que Dieu. Aristote s'en tire en affirmant la perpétuité de la matière première et de l'univers, ce qui est repousser le problème à l'infini et non le résoudre.

Il était évidemment plus logique d'affirmer que la matière première, qui n'existe que dans les êtres composés, a été créée avec ceux-ci.

Un architecte peut bien utiliser des matériaux.... »

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