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SPINOZA ou La nécessité comprise par Jean-Michel Muglioni Je ne prétends pas avoir trouvé la philosophie la meilleure, mais je...

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« SPINOZA ou La nécessité comprise par Jean-Michel Muglioni Je ne prétends pas avoir trouvé la philosophie la meilleure, mais je sais que j'ai connaissance de la vraie.

Spinoza, Lettre à Albert Burgh, 1675. La vraie vie Le spinozisme, pour lequel spéculation et action, intelligence et vie, sont une seule et même chose, est le type même de la philosophie.

En outre, dès sa première expression, son exigence pratique d'union en Dieu par l'amour est toujours religieuse et toujours inséparable d'un besoin théorique de clarté absolue.

Ainsi, I' Ethique conclut que notre salut, c'est-à-dire notre béatitude ou notre liberté, consiste en un amour constant et éternel envers Dieu et que c'est un amour intellectuel : la connaissance immédiate ou intuitive de l'essence des choses, « dont naît le contentement de l'âme le plus élevé qu'il puisse y avoir».

La vraie vie, où l'homme est le plus homme, est la vie de l'intelligence, vie divine, absolue, éternelle.

Nous ne nous demanderons pas s'il y a là deux tendances inconciliables, une volonté cartésienne de raison et un besoin religieux et même mystique d'union en Dieu.

Le philosophe n'est-il pas accusé d'athéisme s'il dit atteindre par la raison seule et sans le secours de la révélation une satisfaction absolue ? Spinoza fut haï plus que tout autre pour avoir nommé Dieu cette raison absolue.

Apprenons donc seulement à comprendre que la science ou philosophie est le salut : la raison est 308 Spinoza la vie et non quelque instrument extérieur à la vie ; seuls les ignorants et les fous séparent penser et exister. Ignorance et fanatisme Qu'est-ce donc que la connaissance rationnelle? Distinguons d'abord la connaissance par les sens, ou imagination, et la raison.

Par exemple nous voyons de nos yeux lè soleil à deux cents pas mais nous savons par la raison sa vraie distance.

La connaissance sensible est donc inadéquate, nos sens ne no,us instruisent pas sur ce que sont les choses, mais leur témoignage résulte de la manière dont les choses affectent notre corps.

Ainsi la connaissance sensible n'est pas fausse (les sens ne sont pas trompeurs), mais ce n'est pas une vraie connaissance : elle est tronquée ou mutilée et nè prend sens que par la connaissance rationnelle.

Elle est illusion si nous .ignorons sa vraie nature. Au contraire, la connaissance rationnelle n'est pas partielle ou partiale, elle n'est pas relative à.l'homipe, partie de la nature : elle est divine et non humaine en l'homme même.

Quand nous voyons le soleil à deux cents pas, nous le connaissons en tant que nous sommes une partie de la nature, déterminée par l'agencement de ses propres parties et disposée d'une certaine manière par rapport au reste de la nature.

Quand nous connaissons les choses par la raison, nous les connaissons telles qu'elles sont; nous ne les connaissons plus en tant que nous sommes.des hommes, parties , de la nature, mais en tant que Dieu ou comme Dieu les comprend.

Et nous connaissons ainsi en tant que Dieu et non en tant qu'hommes la nécessité des idées inadéquates de l'imagination : quand nous comprenons qu'elle est due au rapport de la structure de notre corps et de la structure de l'univers, nous avons de notre propre vision du soleil l'idée que Dieu lui-même en.a. Ainsi l'homme parvient par la raison à une certitude absolue.

Prisonnier de son imagination et de ses passions, il ne peut être certain de rien, car la certitude suppose qu'il se sache libre de toute détermination subjective et disparaît s'il sait que ses pensées viennent seulement d'une passion, Spinoza 309 d'un événement, de sa situation et de sa complexion particulières.

Une pensée de circonstance n'est jamais sûre et constante : si nous nous surprenons sous le charme de 1' orateur, nous cessons de le subir et de croire.

Ainsi, la certitude n'est pas un fait psychologique et ne résulte pas en nous de causes extérieures.

Les hommes ignorants ou dans l'erreur ne doutent certes pas de ce qu'ils· croient; mais ils ne sont pas réellement certains : ils changent d'avis avec le temps, quand les événements extérieurs les font pencher.

de l'autre côté ; et la meilleure preuve de leur incertitude est leur fanatisme, la violence avec laquelle ils veulent contraindre les autres à les croire, comme si une vraie certitude pouvait être issue d'une cause extérieure. La certitude de la raison Les hommes, donc, en tant que parties de la nature, ont des idées inadéquates, c'est-à-dire sont inç:ertains dans leurs pensées et leurs actions, parce qu'ils ne font que subir à leur insu le contre-coup de l'action de tout l'univers, en une vie de flottements et de fluctuations.

Au contraire, l'homme en tant que Dieu, a des idées adéquates et cesse d'être balloté au gré de tous les événements.

Sa certitude est entière parce qu'elle ne s'impose pas comme un fait contre lequel on ne peut rien, mais comme une raison que tous peuvent comprendre, elle découle de la nature même de la pensée : la vraie certitude est un savoir qui se sait fondé et comprend ses propres fondements, elle est métaphysique. Mais ne faut-il pas douter avec les sceptiques que la connaissance rationnelle soit absolument fondée ? Du moins ne faut-il pas, comme Descartes, que nous commencions par en douter? Qu'est-ce qui nous assure qu'elle est vraie? Tout simplement ceci qu'elle est vraie, répond Spinoza.

En effet, quand nous avons l'idée d'une chose, la vérité de cette idée est à elle-même son propre signe et sa propre norme, sans que nous ayons à nous demander si l'idée de cette chose est conforme à cette chose.

D'une part il est impossible de comparer une idée et son objet, sinon à l'aide d'une autre idée de cet objet, puis d'une autre, et ainsi de 310 Spinoza suite : ou la vérité est intérieure à l'idée, ou elle n'est pas. D'autre part, si nous avons l'idée d'un cercle, nous connaissons le cercle dont elle est l'idée et non d'abord l'idée en tant qu'idée en nous.

Connaître, ce n'est pas ·en premier lieu découvrir dans notre esprit la présence d'idées, et en second lieu les examiner pour savoir si elles nous procurent ou non une connaissance de leur objet.

Il est faux que nous soyons certains d'avoir telle idée avant de connaître par elle son objet et si elle lui est adéquate. Ainsi, nous ne pouvons considérer que nos idées sont en nous comme des tableaux muets dont nous aurions à décider, par un acte de volonté qui les rendrait parlants, s'ils peignent ou non fidèlement la réalité.

Voir et affirmer sont donc une seule et même chose, et mieux nous voyons, plus notre affirmation a de force.

Malgré Descartes, évidence et certitude, entendement et volonté sont une seule et même chose. De même nous ne saurions affirmer l'existence d'idées en notre esprit, tout en doutant, même provisoirement, si elles sont vraies.

Notre certitude première n'est pas celle de notre pensée qui saurait qu'elle est, sans savoir encore si elle peut connaître la vérité.

Nous ne sommes pas d'abord certains de notre existence de sujets pensants, mais bien de la vérité de la pensée.

La vraie philosophie ne prend donc pas pour point de départ le doute et pour premier principe le je pense, je suis, mais la connaissance de l'adéquation de la pensée et de ses objets, la rationalité du réel.

Cette certitude première n'est pas un acte de volonté d'un sujet qui se pose hors du tout, mais un savoir qui se sait d'emblée fondé dans la nature des choses.

Ainsi l'affirmation de l'existence de Dieu ne vient pas chez Spinoza garantir après coup une raison qui se serait demandé si elle est folle, mais c'est le point de départ de I' Ethique, qui n'est peut-être que le développement de cette unique idée qu'intelligibilité et réalité sont une seule et même chose.

La connaissance rationnelle n'est pas la manière toujours révisable dont nous expliquerions les phénomènes, mais l'intelligence de la rationalité immanente aux choses mêmes : l'explication vraie procède de la réalité, non d'un sujet ou d'une pensée extérieurs aux choses.

La philosophie de Spinoza n'est pas une philosophie du sujet, ni même du concept ; elle est la philosophie de la réalité.

Mais l'examen du préjugé finaliste nous le fera mieux comprendre. Le préjugé de la finalité Sans doute la critique de la notion de finalité exprime­ t-elle cette vérité de la physique galiléenne et du méca­ nisme cartésien que les choses naturelles ne se meuvent pas en vue de fins.

Elle vise ainsi notre anthropomorphisme, c'est-à-dire l'habitude que nous avons de nous représenter toute chose à notre image : c'est parce que nous nous pro0 posons des buts à atteindre que nous nous représentons toute chose comme poursuivant un but. Mais l'essentiel de cette critique est dans sa signification morale et ontologique.

Comme la nature de leurs passions fait que les choses ne les intéressent pas pour ce qu'elles sont en elles-mêmes mais pour ce qu'elles s'accordent ou non avec leurs désirs, les hommes ne voient pas leur puis­ sance ailleurs que dans la mise en œuvre de moyens leur permettant de disposer des choses comme ils veulent.

Du même coup, ils rêvent d'un bonheur où tout leur adviendrait du dehors sans qu'ils aient rien à faire : une vie de tyran leur paraît la plus souhaitable de- toutes.

Et de là leur vient l'idée que la liberté consiste à plier le réel à leur bon plaisir, à commander à la réalité, et qu'elle est donc le contraire de la nécessité.

Dieu n'est qu'un homme plus puissant, c'est­ à-dire plus fou ; tyran suprême, il a créé par décret arbi:_ traire le réel pour son usage et les hommes pour son ser­ vice: ils lui rendent un culte afin d'obtenir qu '.

il « dirige la Nature entière au profit de leur désir aveugle et de leur insatiable avidité ». La puissance dont rêvent ainsi les hommes n'est que fai­ blesse.

Séparant l'action de sa fin, le finalisme représente en effet la vie comme une tâche pénible qui a son sens en dehors d'elle dans une fin vers laquelle elle tend: Nous sommes donc bien impuissants puisque nous n'agissons jamais que dans la mesure où ce que nous désirons nous manque, et le bonheur ne saurait lui-même être conçu que comme passif ou comme une récompense après la peine. La béatitude et le salut sont donc extérieurs à la vie : les prêtres promettent l'au-delà, les politiques distribuent des décorations, tous couronnent le mérite et louent l'effort. Mais quelle faiblesse, quel néant même, une vie d'effort qu'on passe à faire quelque chose qu'on n'aime pas pour atteindre quelque chose qu'on n'a pas, comme un malade qui suit un régime parce qu'il n'a pas la santé.

Et ·surtout, quelle immoralité, une vertu pénible, contrainte et forcée, et non libre déploiement de notre force vive, libre dévelop­ pement de notre nature.

Le lecteur comprendra ici pourquoi Spinoza fut haï, pourquoi son système fut considéré comme immoral ou impie, et par qui. La puissance de l'homme Lui-même entend par conatus (on traduit malheureuse­ ment par effort) l'effort d'une chose à persévérer dans son être.

Réalisation de soi et non tendance à réaliser ce qu'il n'est pas, le conatus est plénitude et non aspiration, puis­ sance effective ou actuelle et non quête de puissance.

Seuls les faibles recherchent la puissance, et c'est là une idée qu'on retrouve peut-être chez Nietzsche.

L'appétit, conatus de l'homme, n'est rien d'autre que l'essence de l'homme: ainsi la vie de l'homme libre est à elle-même son propre déploiement et non un combat en vue d'une autre vie: « la béatitude n'est pas la récompense de la vertu mais la vertu elle-même».

Etre vertueux, ce n'est pas obéir ou se sou­ mettre au régime ascétique d'une norme extérieure à notre nature; mais notre essence est notre puissance, c'est-à-dire est à elle-même sa propre norme.

Et si nous sommes ainsi délivrés de l'avarice, de l'ambition ou des appétits sensuels, ce n'est pas parce que nous les vainquons de haute lutte, parce que nous les réprimons, mais nous ne les éprouvons même pas.

Qui jouit de la joie de comprendre ne désire pas plus de richesse qu'il n:en faut pour passer sa vie à p{:lilosopher; il n'a pas à vaincre un amour des richesses car il aime quelque chose de meilleur.

Qui se passe d'une chose parce qu'il aime ainsi quelque chose qui lui procure Spinoza 313 une jouissance infiniment plus grande, ne se prive de rien. C'est pourquoi la vie philosophique est tout entière posith'.e et sans résignation.

Ce qui veut dire que les hommes prisonniers de leurs appétits sensuels 'ne sont pas emportés par une puissance que la nature aurait mise en eux et qu'ils n'auraient pas eu la force de refouler, mais seulement qu'il leur manque un intérêt supérieur : ils sont ignorants. Le préjugé de la finalité consiste à croire que la béatitude est extérieure à la vie ou que la nature n'est pas la réalité mais la tendance à se réaliser d'un univers qui n'est jamais pleinement : la plupart des hommes croient que la perfection n'est pas de ce monde, ils opposent le réel à leurs aspirations et se plaignent de ce qui est.

Leur malheur est leur illusion.

Ainsi préjugés moraux et ignorance de la nature des choses, tristesse et idées inadéquates, sont inséparables.

Il faut toujours revenir à la signification ontologique de la critique spinoziste de la finalité, car elle est tout · autre chose que l'appendice du mécanisme cartésien, La raison sans finalité Quel est en effet le sens de la notiori de finalité en philosophie ? Elle permet de penser que le réel puisse être pensé. Ainsi la téléologie, c'est-à-dire la science des fins, rend compte du réel comme d'un monde fabriqué sur le modèle d'idées ou créé par un Dieu intelligent; l'homme, être raisonnable, sachant que la raison est comme une part de divinité en lui, et que la cause du monde ou ce qui gouverne le monde est raison, comprend qu'il puisse avoir du monde une connaissance vraie, et non quelque vaine vision ou représentation subjective.

Ainsi la raison, par la notion de finalité, justifie sa prétention constitutive à rendre raison du réel. · Pourquoi Spinoza refuse-t-il la téléologie qui est en un sens toute la philosophie? C'est qu'il y voit la· solution d'un problème inventé de toute pièce par des esprits qui ont commencé par séparer le rationnel et le réel en les posant comme extérieurs l'un à l'autre.

Cette abstraction qui consiste à douter de l'intelligibilité du réel; à douter 314 Spinozq donc de la raison elle-même, est l'œuvre de l'imagination· (connaissance sensible); « ce quï est un, les hommes se l'imaginent multiple».

C'est de cette ignorance que provient la théologie de la création ex nihilo ; elle poussdes philosophes à définir une idée des choses politiques à cent lieues des réalités, comme si nos idées et la réalité ne devaient jamais correspondre ; _et voilà, à côté de la nature, . un autre monde, inonde intelligible, ce qui veut dire que la nature ne l'est pas.

Au contraire, Spinoza part de l'unité de la p'énsée et de la réalité : la Nature est le monde intelligible.

Le Deus sive Natura, Dieu c'est-à-dire la Nature; l'immanence de la raison au réel, dispense de recourir à la notion· en effet anthropomorphique de finalité.

C'est donc en vertu d'un même principe que tout ce qui est est et est conçu· : « j'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi ».

Ainsi commence I' Ethique, dont les -prèmières.

définitions contiennent toute la philosophie. Il faùt donc dire que ce que l'eritendement perçoit d'une chose constitue effectivementl'essence de cette chose, et que savoir ce qu'est une chose, c'est savoir ce qui la fait être ce qu'elle est.

L'acte par lequel nous connaissons la Nature et celui par· lequel elle· est, sont un seul et même acte.

Comprendre, ce n'est donc pas rester comnie en dehors de ce qu'on comprend, mais la connaissance vraie - engage pour ainsi dire tout notre être et son rapport à tout ce qui est.

La science ou la raison est la béatitude parce · qu'elle est l'épanouissement de notre propre être en tant· qu'il est en Dieu. La nécessité · Comprendre ce ·que c'est que comprendrè, c'est-à-dire· vivre, c'est comprendre pourquoi Spinoza définit la liberté paY la nécessité; D'une part il ne suffit pas, chacùn l'accorde, que nous ne ·nous sentions pas -déterminés par une cause··exîérieure à agir ou à être ce que nous sommes; poùr-: qû'en effèt nous ne soyons pas ainsi déterminés; i'homme · qui·.... »

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