Sujet : Lecture méthodique, Le Planétarium (1959), Nathalie Sarraute · Découpage du texte « Mon gendre aime les carottes râpées....

« Sujet : Lecture méthodique, Le Planétarium (1959), Nathalie Sarraute · Découpage du texte « Mon gendre aime les carottes râpées.

Monsieur Alain adore ça.

Surtout n'oubliez pas de faire des carottes râpées pour Monsieur Alain.

Bien tendres...

des carottes nouvelles...

Les carottes sont-elles assez tendres pour Monsieur Alain ? Il est si gâté, vous savez, il est si délicat.

Finement hachées...

le plus finement possible...

avec le nouveau petit instrument... Tiens...

c'est tentant...

Voyez, Mesdames, vous obtenez avec cela les plus exquises carottes râpées...

Il faut l'acheter.

Alain sera content, il adore ça.

Bien assaisonnées...

de l'huile d'olive...

"la Niçoise" pour lui, il n'aime que celle-là, je ne prends que ça...

Les justes proportions, ah, pour ça il s'y connaît...

un peu d'oignon, un peu d'ail, et persillées, salées, poivrées...

les plus délicieuses carottes râpées...

Elle tend le ravier...

"Oh, Alain, on les a faites exprès pour vous, vous m'aviez dit que vous adoriez ça..." Un jour il a eu le malheur, dans un moment de laisser-aller, un moment où il se tenait détendu, content, de lui lancer cela négligemment, cette confidence, cette révélation, et telle une graine tombée sur une terre fertile cela a germé et cela pousse maintenant : quelque chose d'énorme, une énorme plante grasse au feuillage luisant : Vous aimez les carottes râpées, Alain.

Alain m'a dit qu'il aimait les carottes râpées.

Elle est à l'affût. Toujours prête à bondir.

Elle a sauté là-dessus, elle tient cela entre ses dents serrées.

Elle l'a accroché.

Elle le tire...

Le ravier en main, elle le fixe d'un oeil luisant.

Mais d'un geste il s'est dégagé - un bref geste souple de sa main levée, un mouvement de la tête...

"Non, merci..." Il est parti, il n'y a plus personne, c'est une enveloppe vide, le vieux vêtement qu'il a abandonné dont elle serre un morceau entre ses dents.

Mais il ne fera pas cela, il ne comprend pas ce qu'il fait...

Tout occupé à parler, il n'a pas compris ce qui s'est passé, il a de ces moments, quand il parle, quand il est préoccupé, où il ne remarque rien.

Il jette sur son assiette un regard distrait, il trace dans l'air avec sa main un geste désinvolte, insouciant : "Non, merci..." Elle a envie de le rappeler à l'ordre, de le supplier, comment a-t-il osé...

"Oh, écoute, Alain..." Il a bafoué sa mère, il l'a humiliée, cela lui fait honte à elle, cela lui fait mal de voir ce petit sourire préfabriqué que sa mère - comme elle sait se dominer - pose sur son visage et retire aussitôt, tandis que marquant que le désastre est consommé, qu'il faut savoir courber la tête devant son destin, elle remet à sa place le ravier.

"Mais qu'est-ce qui te prend, Alain, voyons...

tu adores ça...

Maman les a fait faire exprès pour toi...

Tiens..." Elle est prête à tout braver pour voler au secours de sa mère, tous les interdits.

Il a horreur de cela, mais tant pis : "Tiens, Alain, je te sers..." Voilà.

Ce n'était qu'un caprice.

»  Introduction Situation et idée directrice Le lecteur se retrouve en présence des Guimier : Gisèle et Alain, un couple charmant, assis côte à côte.

On reconnaît également la mère de Gisèle grâce à l’expression « mon gendre », dont la voix intérieure (ou discours rapporté) se détache en tête du premier paragraphe.

En l’absence d’informations expresses, le lecteur doit dégager de la discussion, qui s’offre à son regard in medias res, l’identité des interlocuteurs, la disparité des points de vue, la personnalité de l’écrivain et l’originalité de son projet d’écriture. Composition du texte -Tentative de description de récits personnels intérieurs -Démarche de représentation de « sous-conversation » (ce qui se passe avant la conversation). -Mise en place de discours rapportés Hypothèse de lecture L’étude de ce passage vise à montrer comment le projet d’écriture de Nathalie Sarraute s’éloigne du genre traditionnel du discours rapporté et de la création de personnages liés par une histoire.

Un problème se pose à l’évidence : qui parle ? En effet, l’origine du discours est dès le départ embrouillée.

Cependant on peut distinguer trois voix à travers cet extrait (le passage d’une voix à l’autre est représenté par un nouveau paragraphe : trois paragraphes = trois voix).

La technique de l’écrivain est spécifique car il n’y a pas de verbes introducteurs.

Nous sommes donc projetés dans un monologue où les véritables paroles émises sont inscrites entre guillemets (soulignées ici en gras). · Développement I/La forme dialogique : une entrée en matière    Cinq répliques inégalement réparties entre les trois interlocuteurs constituent un premier élément de lecture et correspondent à une étape essentielle de la gestation du texte qui suivra.

Les réflexions silencieuses de la mère de Gisèle sont brèves et rapides.

Elles ne sont jamais abouties comme.... »