SUJET Un dramaturge contemporain, Armand Salacrou soutient qu' « une pièce n'est pas faite pour les per• sonnages, mais les...
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SUJET
Un dramaturge contemporain, Armand Salacrou
soutient qu' « une pièce n'est pas faite pour les per•
sonnages, mais les personnages pour la pièce ».
Vous
expliquerez et discuterez cette opinion en vous fondant
sur des exemples choisis dans le théâtre français de
toutes les époques.
(La citation de Salacrou est extraite de sa Note sur le
Théâtre, qui réunit des fragments écrits à des dates très
diverses et qui est publiée dans le tome II de son Théâtre,
édit.
Gallimard.)
1
RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES
1.
Salacrou, se proposant de montrer le processus de la création drama
tique, soutient que les personnages apparaissent à·leur créateur comme
une conséquence d'un ensemble théâtral, qu'ils ne sont que >
de la mélodie qui chante au cœur.
du dramaturge et qui seule importe;
au contraire, la plùpart des criti ques, jugeant une pièce, isolent
arbitrairement les personnages et laissent èntendre qu'un auteur de
théâtre a youlu avant tout faire œiwre de psychologue réaliste et que
c'est sur la fidélité d'obserYation de sa psychologie qu'on a le droit
de _le juger.
2.
Cette dernière position trouYe d'autant plus de crédit auprès du public
que la culture classique en -fait presque une méthode de travail pour
apprécier les pièces : par exemple, nous admirons traditionnellement
èhez.
}!{.q?j�r� l'humanité et la Yérité des principaux héros, alors que
nous "nê-prêtons guère attention (à tort) à ses intrigues' aux atmo
sphères burlesques ou poétiques qu'il crefe loin de toute obserfJation
(cf.
Le Sicilien, Amphitryon, la fin du Bourgeois gentilhomme),
Lui-inême, d'ailleurs, baptise très SOUfJent ses comédies d'un titre
psychologiqw.
: Tartuffe ou l'Imposteur, Le Misanthrope ou L'Atra•
hilaire amoureux, • L' Avare, Le Bourgeois gentilhomme, etc.:..
Même, étudiant Racine, nous n'apons pas l'habitude de nous attacher
à la composition générale de la pièce, à l'univers -poétique qu'il crée;
- nous admirons plutôt la richesse de ses caractères, · le naturel et la
poésie de son dialogue, les lueurs profondes que jettent sur la destinée
ses dénouements atroces, etc....
Thiel'l'y Nlaulnier réagit contre· cette
méthode dans son ouvrage sur Racine, montrant précisément.
que
Racine a tout subordonné à l'ùnité lle l'effet théâtral et que c'est en
fonction de celui-ci que tous les autres mérites de ses tragédies doivent
s'e.--cpliquer.
3.
Ainsi la position de Salacrou mérite d'être examinée comme celle d'un
homme de théâtre (on insistera un peu sui· son œurre dramatique,
brillante, fertile en situations variées} qui entend bien être distingué
d'un romancier hanté par des êtres à qui il doit donner le jour.
L'homme
de théâtre est avant tout celui qui crée une situation, une atmosphère,
un réseau de relations entre les persi:mnages, plus que la puissance
solitaire d'un héros qui écrase tous les autres.
4.
On se gardera toutefois de faire un contresens sur les mots « pièce »
et « personnages », tels que les emploie Salacrou :
a) Quand il parle de « personnages faits pour la pièce », il ne fau
drait pas comprendre « personnages faits pour illustrer » une théorie
quelconque, ·dramatique, philosophique, morale, etc....
On peut; dans
un plan complet, ne pas éliminer totalement ce sens, mais on remar
quera que Salacrou pense surtout à cè qu'il appelle la c< vie poétique
de la pièce », son c< harmonie » générale.
b) Le mot cc personnages » n'est pas très clair, lui non plus : désigne
t-il le caractère d'un héros avant toute élaboration dramatique, ou au
contraire ce curieux mélange de vie et de simplification qu'on appelle
« personnage théâtral »? Rien n'interdit, dans un plan assez souple,
de jouer sui· les deux sens du mot et de montrer qùe c'est précisément
là peut-Jtre qu'il y a jour pour une discussion: un personnage théâtral
est un curieux mélange de vie autonome, indépendamment de la pièce
qiti l'a vu naître {quand on dit un Harpagon, pense-t-on à L'Avare
de .1.vlolière comme pièce organisée?), et 1e vie théâtrale, plus schéma
tique et plus conventionnelle, étroitement liée à un système dramatique
qui lui donne ses nécessités et ses limites { Guignol est-il concevable
hors· des aventures qu'on lui attribue?).
Dans le plan, oh examinera
donc successivement les cas él�mentaires où Salacrol!, .a p.11,rfaitem'ent
raison et on nuancera urie discussion autour de cette dùalité : vie
autonome et vie théâtrale du personnage.
PLAN
Introduction.
On peut introduire sur le problème de la création littéraire :
alors que, dans la création romanesque, il semble bien que ce soit
avant tout ses personnages que rencontre l'auteur (en lui et dans
la vie), un dramaturge contemporain estime que ce ne sont pas
'des personnages qui s'imposent d'abord au créateur théâtral,
mais un réseau de relations humaines et poétiques, ce qu'il appelle
une « pièce ,, : « Une pièce n'est pas-faite pour les personnages,
mais les personnages pour la pièce )>, affirme en effet Armand
Salacrou.
On voit le caractère un peu paradoxal de la formule,
surtout .si l'on pense à l'explication (( psychologique ,, à laquelle
le théâtre classique a.
habitué le spectateur; mais, à la réflexion,
jl apparait que très.
souvent le dramaturge a une (< mélodie »
scénique à jouer plus que dés_ personnages à faire vivre, ce qui
he veut pas dire que le personnage théâtral ne vit pas; mais il
vit d'µne manière particulière, dans un monde particulier.
I.
La primauté des liens scéniques.
(Écarter des cas intéressants, mais faciles, où l'auteur veut ;"
appliquer des théories ou exposer des idée.s.)
1.
Primauté du système théâtral.
De nombreuses pieces doivent le
Iour· à la volonté d'illustrer une dramaturgie; par exemple, entre
bien d'autres, la Cléopâtre de Jodelle et surtout divers drames
romantiques: Hernani de Hugo, Othello de Vigny, etc....
· 2.
Primauté d'un système d'idées.
D'autres auteurs veulent illustrer
une thèse : certains défendent un véritable système philosophique
(Curel, Gabriel Marcel, Gide, etc...
), mais, sans même aller si
lÔin, la plupart sont préoccupés d'étudier un certain type de rap•
ports humains qui, généralement, caractérise leur théâtre : Cor
neille semble plus soucieux d'enfermer Chimène, Rodrigue, Don
Diègue et Don.
Gormas dans un mécanisme o'ù éclateront leur.
(< gloire » et leur «�générosité » que de peindre en détail un héros
de son choix.
La meilleure preuve en est qu'il peut faire jouer·'.,·
son sy:stème théâtral avec des individus moralement mépri
sables, comme la Cléopâtre de Rodogune.
C'est que le théâtre,
plus que lente et fine psychologie, est rapports entre les ,
personnages.
On parlera plus facilement de situation théâtrale
que de situation romanesque ( quand on parle de (( situation ;·
romanesque >i, on ne se réfère pas tellement au genre du roman,
on veut· dire situation extraordinaire comme dans les mauvais
romans; au contraire quand on parle de situation théâtrale, on
pense expressément au genre littéraire correspondant).
·3.
Primauté d'un univers dramatique.
Les ca� précédents sont encore
un peu particuliers, car ils s'appliquent à' des âùteurs qui ont une
certaine conception du genre théâtral ou de l'homme.
Ce que veut
signifier exactement Salacrou, c'est que, de par la natur.e mê,me
du genre, un dramaturge conçoit plutôt sa pièce que ses person
nages.
En d'autres termes, ce qui est premier, c'est la volonté
d'imposer une certaine unité dramatique, un� certaine harmonie
qui est proprement théâtrale.
Salacrou pense à la « vie poétique de
_la pièce » : ainsi Andromaque de Racine n'est ni l'illustration
d'un système dramatique ni la présentation.
d'un certain nombre
d'idées sur l'homme, c'est avant tout un certain univers où tous,
les personnages poursuivent une ombre, ombre d'un amour
qui échappe ou ombre d'un mort - univers de l'irréel où chac1,m
voit les autres comme il voudrait qu'ils soient.
Le destin même
qui domine cette pièce n'est guère une idée·sur l'homme, mais
là encore une sort.e d'atmosphère étroitement en harmonie avec
cette passion de l'impossible.
Salacrou semble être en accord....
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