Texte de Jacques Lacarrière « Le monde de l'errance Autrefois, dans les villages, il y avait toujours de quoi loger...
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«
Texte de Jacques Lacarrière
« Le monde de l'errance
Autrefois, dans les villages, il y avait toujours de quoi loger les
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: voyageurs, marchands, colporteurs, vagabonds.
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termes ne manquaient pas pour désigner ceux qui - pour des motifs
avouables ou non avouables - se déplaçaient sans cesse sur les
chemins.
Beaucoup de métiers, aujourd'hui sédentaires, étaient
autrefois ambulants soit par leur nature même, soit parce que la
clientèle d'une région ne suffisait pas à faire vivre l'artisan.
Rémouleurs, repasseurs, rempailleurs, rétameurs parcouraient les
routes avec leurs outils, où ils croisaient des ouvriers-compagnons
accomplissant leur Tour de France, des moines prlcheurs, des
pèlerins, des mendiants, tout un cortège de nomades, tenus, selon
les époques, pour un monde béni ou honni par les sociétés séden
taires.
Nomades et sédentaires, une grande part de l'histoire du
monde tient à elle seule dans ces deux mots.
Comme si, telles ces
étoiles doubles, ces systànes astraux comportant deux soleils gravi
tant l'un autour de l'autre, ils étaient voués tour à tour à s'opposer
ou à se compléter.
Le nomade a toujours constitué la part la plus
archaïque de nous-mêmes.
Il fut l'état premier de l'homme,
@l contraint de viv.re de cueillette, de changer de territoire de chasse,
!Î1 de suivre le gibier dont il vivait.
Avec la domestication, le noma
r) disme se mua en activité pastorale ou semi-pastorale, et le pasteur
r.J devint non seulement l'errant des steppes ou des alpages mais le
guide, le meneur, le porteur de nouveaux messages.
Car, des herbes·
J;f aux étoiles, rien .de ce monde ne pouvait lui être étranger.
En écri
vant ces lignes, je m'aperçois que le dialogue imaginaire dont je
liJ.
parlais plus haut, le dialogue entre berger et garagiste, n'aurait fait
que retrouver sous une fonne moderne la vieille opposition entre
nomade et sédentaire.
L'un transhume avec ses troupeaux ou suit
till leurs déplacements.
ici et là ; l'autre, rivé à son garage, voit passer
les autos, qu'il nourrit d'essence et répare, instruments du noma
disme saisonnier de notre monde.
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Ce monde de l'errance n'est jamais mort ni en nous, ni autour de
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Qu'il ait on non un but et des repères précis- dans les pèleri
l!i nages ou les déplacements des compagnons - ou des repères impré
cis - chez les missionnaires, les frères prêcheurs, les métiers ambu
)I! lants d'autrefois - il n'a cessé au cours des siècles de fasciner ou
l::I d'horrifier, d'inspirer la crainte ou l'admiration.
L'histoire fonda
mentale des rapports très complexes entretenus entre les séden
!j taires et les nomades, cette histoire reste encore à faire.
On l'a
entreprise pour des époques et des lieux limités, mais jamais dans
une perspective d'ensemble qui en dégagerait les axes, les courants, les jalons.
Car, tour à tour chassé, repoussé, excommunié,
m ou, au contraire Jeté,· recherché.
imploré, l'Errant apportait avec
lui, selon les mentalités, les besoïm/des différentes communautés,
un monde de damnation ou un monde de salut.
Les routes, les che
Î!l mins, les sentiers parcourant la France ont ouvert les portes de
l'enfer ou celles du paradis.
Ils furent sur notre terre comme les
l!ll infrastructures de l'amour ou de la haine, les voies qui amenaient
lefrère ou l'ennemi.
Et aujourd'hui rien de cela n'est mort.
Notre
société hyperurbanisée semble consacrer à jamais la victoire des
wl sédentaires.
Elle recèle pourtant plus que jamais ces fennents qui
nous portent à bouger, à partir, à nous jeter avec fureur vers les
m loisirs, organisés ou non.
Peu importent les motivations.
On ne part
IIB plus sur les routes pour prêcher ni faire son salut, pour conquérir
quelque Graal (l) au cœur des châteaux forts.
Mais l'image n'est
pas morte - bien qu'elle soit caricaturale aujourd'hui - des paradis
�Î promis et trouvés par le départ et par l 'errance.
Cette quête flé
%1 vreuse du loisir - Graal de notre époque - à pris fatalement des
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formes organisées - et moins chevaleresques qu'autrefois - des
formes saisonnières aussi retrouvant par moments l'ampleur des
vieilles migrations.
C'est pourquoi on accepte très bien les vacan
ciers, les campeurs, voire les randonneurs, moins bien le vagabond,
le solitaire marchant pour son plaisir en dehors des sentiers battus.
Le plus révélateur pour moi, dans ce voyage de quelques mois,
furent justement l'étonnement, l'incertitude, et surtout la méfiance
que je lisais sur les visages.
Ne fût-ce qu'à l'égard de soi-même, une telle entreprise est donc
édifiante et même nécessaire.
Affronter l'imprévu quotidien des
rencontres, c'est rechercher une autre image de soi chez les autres,
briser les cadres et les routines des mondes familiers, c'est se faire
autre et, d'une certaine façon, renaître.
La lassitude, le décourage
ment, le sentiment d'absurdité ou d'inutilité de l'entreprise, qui
vous prennent quelquefois aux heures difficiles ou mornes de la
marche, deviennent autant d'épreuves, qui n'ont d'ailleurs rien de
tragique.
De plus en plus, ceux qui réclament autre chose que le
visage artificiel des villes, les rapports routiniers, conventionnels
de nos cités, iront chercher sur les routes ce qui leur manque
ailleurs.
Et en ce jour plein de soleil où j'aborde le Gévaudan, je
me dis qu'en marchant ainsi on ne recherche pas que des joies
archai'ques ou des heures privilégiées, on ne fait pas qu'errer dans
le labyrinthe des chemins embrouillés qui nous ramèneraient à
nous-mêmes, mais qu'au contraire on découvre les autres et, avec
eux, cette Ariane (2) invisible qui vous attend au tenne du chemin.
Marcher ainsi de nos jours - et surtout de nos jours - ce n'est pas
revenir au temps néolithiques, mais bien plutôt être prophète.
»
JACQUES LACARRIÈRE
Chemin faisant, Mille kilomètres à pied à travers la France,
"Du Morvan au Gévaudan".
© 1977, Librairie A.
FAYARD
1 (1) Le Graal : selon une légende médiévale, le Graal était le vase contenant le sang du
Christ.
La "quête du Graal" symbolise la recherche de la pureté mystique.
1(2) Ariane : princesse cr:étoise, sœur de Phèdre, qui conduisit Thérèse hors du labyrinthe.
N.B.
À titre exceptionnel; dans les épreuves classiques, certains jurys
donnent des textes longs (par exemples, une grande page imprimée).
Dans certains concours plus spécialisés, des textes longs (équivalents par
fois à 3 ou 4 pages dactylographiées) sont extraits de rapports ou autres
documents administratifs.
Le candidat est alors obligé de consacrer beaucoup de temps à la lecture
et à la compréhension du texte.
Le travail initial s'apparente alors, pour
une bonne part, à l'épreuve d'analyse de texte.
Bien entendu, il faut rester prêt à parler des grands problèmes évoqués
dans le texte, en fonction du domaine ou de la spécialité.
Exemple : les grands problèmes de la recherche scientifique et technique,
pour les concours du C.N.R.S.
ou ceux des nouveaux corps de fonction
naires d'Administration et de recherche au Ministère de !'Éducation
nationale et au Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Ces exercices sont également très fréquents dans beaucoup d'écoles de
commerce ou gestion, notamment à partir de textes portant sur les rela
tions humaines ou sur....
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