Texte de la copie Au moment où l'on ouvre un livre, où le film que l'on est allé voir va...
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Texte de la copie
Au moment où l'on ouvre un livre, où le film que l'on est allé voir va commencer, notre
esprit est imbibé du monde réel dans lequel on évolue.
Et c'est avec une vision
particulière de ce monde, la nôtre, que l'on s'apprête à découvrir celle de l'écrivain ou du
réalisateur.
Pour passer de l'une à l'autre, il ne suffit pas de la magie du cinéma ou de l'imprimerie ;
on a besoin d'être sollicité par un prétexte pour franchir cette limite, non pas
insensiblement, mais de manière très consciente.
Ce prétexte est le personnage.
Son avantage est de servir de pivot entre le monde réel et celui — inventé — de l'auteur.
Il est le moyen le plus parfait qui permette à celui-ci de rendre son oeuvre accessible au
lecteur ou au spectateur.
Chacun de nous a tendance en effet, sinon à s'associer au
personnage, du moins à se rattacher à lui comme à quelque chose de sûr et de
compréhensible dans ce monde nouveau.
Le personnage, ou les personnages, permettent donc de pénétrer dans l'oeuvre.
On peut
se demander si ce que l'on cherche dans un livre ou dans un film est lié à la découverte
progressive des personnages, et comment, à travers lui ou en dehors de lui, l'écrivain ou
le cinéaste satisfait notre désir.
Lorsqu'on cherche à voir dans les personnages le lien le plus évident avec la réalité,
notre attitude devient alors le désir de voir ces personnages comme des êtres réels.
On
se raccroche à la vraisemblance que l'on attend de leurs gestes, de leurs paroles.
Lorsqu'il n'y a pas de personnages, en poésie par exemple, on cherche à voir l'auteur luimême ou plutôt l'homme.
Ainsi, quand Mallarmé commence un poème :
« La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres », on pense que Mallarmé souffre ;
c'est à travers lui qu'on veut apercevoir la vraisemblance du poème.
Or cette vraisemblance devient finalement paradoxale ; on finit par trouver « normal »
qu'un personnage parle, même d'une manière tout à fait exceptionnelle, en faisant par
exemple de longs monologues, et par contre on supporte difficilement qu'un personnage
ait une attitude étrange — et pourtant vraisemblable dans la réalité : qu'il ne parle pas.
Conrad écrivait dans la préface d'un de ses livres, Falck, que celui-ci avait été refusé par
un éditeur qui lui reprochait que l'un des personnages les plus importants du roman ne
parle pas.
Et Conrad répondait simplement que s'il ne parlait pas, c'est parce que chaque
fois qu'il se trouvait dans le champ du narrateur, il n'en avait pas l'occasion, ou était trop
ému pour le faire.
Actuellement, le personnage tend de plus en plus à perdre son côté vraisemblable et
même parfois à disparaître : c'est peut-être à cause de ce malentendu qui existe entre le
public et l'écrivain.
Ainsi, dans A la recherche du Temps perdu, on ne sait pas vraiment
l'âge du narrateur au début, ou, plus exactement, celui-ci paraît avoir six ans ou seize,
sans aucun souci chronologique ; de même Swann mourra à un certain moment du récit
pour réapparaître ensuite, quoiqu'on puisse penser qu'il s'agit là d'une erreur.
Quant aux
personnages de Samuel Beckett, ce ne sont pas des héros tragiques et fiers, mais des
clochards, des malades, sans aucun idéal, sans aucune dignité.
Avec la disparition du personnage « vrai », c'est le caractère psychologique qui disparaît
de l'oeuvre.
Dans un film de Marguerite Duras intitulé India Song, le personnage principal
reste invisible.
En réalité, les images sont liées entre elles par la présence d'une femme
que l'on ne voit pas, qui ne parle presque jamais et qui est simplement évoquée tout au
long du film.
Or, c'est justement ce personnage qui, de manière étrange, va prendre l'importance la
plus grande dans le film.
Il n'est pas réel, mais fabriqué à partir des impressions ou des
anecdotes que l'on apprend à son sujet.
Néanmoins sa présence domine tout le film.
Cette présence qui existe malgré l'absence totale du personnage sur l'écran a donc un
autre rôle que celui de nous faire découvrir uniquement son caractère et sa vie.
Par sa transparence, c'est à travers lui....
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