Tout dire Le tout est de tout dire, et je manque de mots Et je manque de temps, et je...
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«
Tout dire
Le tout est de tout dire, et je manque de mots
Et je manque de temps, et je manque d'audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J'ai mal vécu, et mal appris à parler clair.
Tout dire les roches, la route et les pavés
Les rues et leurs passants les champs et les bergers
Le duvet du printemps la rouille de l'hiver
Le froid et la chaleur composant un seul fruit
Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l'anime et qui le désespère
Et sous ses saisons d'homme tout ce qui l'éclaire
Son espoir et son sang son histoire et sa peine
Je veux montrer la foule immense divisée
La foule cloisonnée comme un cimetière
Et la foule plus forte que son ombre impure
Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres
La famille des mains, la famille des feuilles
Et l'animal errant sans personnalité
Le fleuve et la rosée fécondants et fertiles
La justice debout le pouvoir bien planté
_ La structure du poème ici étudié peut sembler déconcertante : si l’organisation
d’alexandrins au sein de strophes régulières peut faire croire à un respect de la forme
classique, une lecture plus attentive a tôt fait de détromper le lecteur.
Non seulement la
succession de cinq quatrains ne correspond à aucune forme connue, mais les vers ne sont
rimés qu’en deux endroits, et par des rimes pauvres.
Le sens même du texte répond à la
même étrangeté : chaque phrase est claire en soi, mais leur succession semble être un
amalgame décousu.
Une étude rigoureuse se doit donc d’explorer le poème non pas à
travers ce qu’il signifie, mais en fonction de ses apparentes contradictions internes.
I Un poème pour tout dire
_ La figure la plus visible du poème est celle de la répétition, très marquée dans la troisième
strophe par la longue allitération en « s » : « Sous ses saisons...
son espoir et son sang
son histoire et sa peine ».
Le procédé produit ici un effet d’accumulation, qui tend à donner
à l’énumération une apparence d’exhaustivité.
Le poème d’Eluard, comme le suggère son
titre « Tout dire », est un poème sans thème déterminé, ou plutôt un poème dont
l’ambition dépasse l’univers lexical qu’il met en place.
A ce titre, la première affirmation du
poème, « Le tout est de tout dire », joue des différentes natures grammaticales d’un même
mot, pour établir une correspondance entre le monde et son expression.
En effet, le
premier « tout » est un substantif, le second un adjectif numéral.
La phrase réduite à sa
pure articulation logique, revient à dire « tout = tout dire ».
Ainsi, Eluard reprend à son
compte la célèbre affirmation de Saint Jean « Au commencement était le verbe » pour lui
donner un contenu littéraire.
Le poème n’est rien d’autre que sa propre expression, il a
donc le devoir de tout énoncer du réel.
_ Une telle exigence est évidemment impossible à satisfaire totalement, puisque le poème
est un système sémantique, c’est-à-dire une configuration de terme particuliers désignant
des réalités particulières.
Par conséquent, il convient d’analyser les situations concrètes
décrites dans le poème, comme si nous avions affaire à n’importe quel texte en prose, afin
d’en déduire ce qui ne sera plus seulement une description, mais une qualité de regard.
Deux champs lexicaux apparemment fort étranger l’un à l’autre coexistent dans ce texte :
l’image du printemps, du renouveau naturel fait l’objet de la deuxième et de la cinquième
strophe, et encadre une seconde thématique, beaucoup plus attachée à une pensée
politique, développée autour du mot « foule », cinq fois répété dans les troisième et
quatrième strophes.
A l’idée de renaissance naturelle succède celle de révolution politique.
Il faut bien comprendre que, dans la pensée du communiste qu’est Eluard, l’un est l’autre
ne doivent pas être séparés.
C’est le sens de l’alliance de termes de la troisième strophe,
située exactement au centre du poème, qui est l’expression de « saisons d’homme ».
II Une poésie de l’indigence
_ Parallèlement à l’ambition explicite du poète, qui serait d’écrire une poésie totale, se
développe au sein du poème un jeu sémantique non moins explicite, déclinant inversement
les figures de l’impuissance.
L’anaphore « et je manque...
» de la première strophe est
particulièrement claire : en fait de totalité, le poète est réduit à bégayer le même groupe
verbal à trois reprises.
Cette indigence dans le choix de l’effet poétique redouble l’intensité
de l’aveu de sa maladresse, alors que la simple manipulation de ces mêmes figures
contredit cette impuissance.
Eluard propose donc une définition à la fois restrictive et
dithyrambique de l’activité poétique, exprimée dans le premiers vers par un mouvement
rhétorique de protase et d’apodose : « Il me faut tout dire / et j’en suis incapable ».
Enfin,
l’allitération en « v », « Je rêve et je dévide...
J’ai mal vécu » organise sur la page....
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