Tout spectacle tragique est le spectacle d'un conflit. Un « drama », disent les Grecs, une action. Un conflit coupé...
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Tout spectacle tragique est le spectacle d'un conflit.
Un « drama »,
disent les Grecs, une action.
Un conflit coupé de chants d'angoisse,
d'espoir ou de sagesse, parfois de triomphe, mais toujours, et jusque dans
les chants lyriques, une action qui nous rend haletants, parce que nous y
participons, nous spectateurs, suspendus entre la crainte et l'espoir,
comme s'il s'agissait de notre propre sort : le heurt d'un homme de quatre
coudées (de deux mètres), dit Aristophane, d'un héros contre un obstacle
donné comme infranchissable et qui l'est, la lutte d'un champion, et qui
paraît être le champion de l'homme, notre champion, contre une puissance
envelopée de mystère
une puissance qui la plupart du temps, avec ou
sans raison, écrase le lutteur.
· Les hommes qui la soutiennent ne sont pas des «saints», quoiqu'ils
mettent leur recours en un dieu juste.
Ils commettent des fautes, la passion
les égare.
Ils sont emportés et violents.
Mais ils ont tous quelques grandes
vertus humaines.
Tous, le courage; plusieurs, l'amour de leur pays,
l'amour des hommes; beaucoup, l'amour de la justice et la volonté de la
faire triompher.
Tous encore, ils sent épris de grandeur.
Ils ne sont pas des saints, ils ne sent pas des justes : ils sont des héros,
c'est-à-dire des hommes qui, à la pointe de l'humanité, illustrent par leur
lutte, illustrent en actes, l'incroyable pouvoir de l'homme de résister à
l'adversité, de renverser le malheur en grandeur humaine et en joie - et
cela, pour les autres hommes, et d'abord pour ceux de leur peuple.
Quelque chose est en eux qui exalte en chacun des spectateurs auxquels
s'adresse le poète, qui exalte encore en nous la fierté d'être homme, la
volonté et l'espoir de l'être toujours davantage, en élargissant la brèche
ouverte par ces hardis champions de notre espèce dans l'enclos de nos ser
vitudes.
«L'atmosphère tragique, écrit un critique, existe toujours dès que je
m'identifie au personnage, dès que l'action de la pièce devient mo_n action,
c'est-à-dire dès que je me sens engagé dans J'aventure qui se joue...
Si je
dis «jeJJ, c'est mon être entier, mon destin entier qui entre en jeu.
JJ
Contre quoi donc se bat le héros tragique? Il se bat contre divers obsta
cles auxquels les hommes se heurtent dans leur activité, les obstacles qui
gênent le libre épanouissement de leur personne.
Il se bat pour qu'une
injustice ne soit pas, pour qu'une mort n'ait pas lieu, pour que le crime soit
puni, pour que la loi d'un tribunal l'emporte sur le lynchage, pour que les
ennemis vaincus nous inspirent fraternité, pour que le mystère des dieux
ne soit plus mystère mais justice, à tout le moins pour que la liberté des
dieux, si elle doit nous rester incompréhensible, n'offense pas la nôtre.
Simplifions : le héros tragique se bat pour que le monde soit meilleur ou,
s'il doit rester tel qu'il est, pour que les hommes aient plus de courage et de
sérénité pour y vivre.
Encore ceci : le héros tragique se bat dans le sentiment paradoxal que
les obstacles qu'il rencontre dans son action sont à la fois infranchissables
et nécessaires à franchir, du moins s'il veut rejoindre sa propre totalité,
accomplir cette périlleuse vocation de grandeur qu'il porte en lui, cela sans
offenser ce qui subsiste encore dans le monde divin de jalousie (némésis),
sans commettre la faute de démesure (hybris).
Le conflit tragique, c'est donc une lutte engagée contre le fatal, dont il
s'agit, pour le héros qui l'engage, d'affirmer et de montrer en acte qu'il
n'est pas fatal ou ne le restera pas toujours.
L'obstacle à vaincre est mis sur
sa route par une puissance inconnue sur laquelle il n'a pas de prise....
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