UN MYTHE LITTÉRAIRE À partir du personnage de Tirso fut bientôt créé le concept de donjuanisme. Cette notion générale excède...
Extrait du document
«
UN MYTHE LITTÉRAIRE
À partir du personnage de Tirso fut bientôt créé le
concept de donjuanisme.
Cette notion générale
excède largement le héros légendaire et tous ses
avatars littéraires, et désigne toute attitude face à
l'amour comparable à celle de Don Juan.
Cette
création lexicale atteste encore, s'il en est besoin, la
fortune de ce mythe
littéraire.
Don Juan est devenu l'emblème des don
juan.
Au cours de l'histoire, le mythe s'est illustré
diversement, et de nombreux don juan qui ne portaient pas ce nom sont apparus.
■
La naissance d'un mythe
Bien entendu, Don Juan n'est pas le premier don
juan de l'histoire humaine.
Les séducteurs volages
n'ont pas attendu Tirso de Molina pour exister.
Pourquoi donc ce mythe, qui semble aujourd'hui quasi
universel, s'est-il seulement manifesté à partir du
XVII' siècle ? Répondre à cette question nécessiterait
de longs développements et l'on se contentera ici
d'apporter des éléments de réponse fort schématiques.
L'Antiquité gréco-romaine semble avoir connu et
pratiqué le donjuanisme.
Les cultes partout rendus à
Aphrodite ou Eros, les récits que nous ont transmis les
auteurs et les historiens, la vogue des courtisanes et
maints autres témoignages donnent à penser que le
libertinage amoureux était chose courante.
Zeus luimême, le premier des dieux, outre ses épouses légitimes, eut un nombre considérable d'amantes, sans
compter ses délicieux amants, qu'il savait bien par tel ou
tel prodige tromper, séduire ou enlever.
Un héros aussi
exemplaire que Thésée aima et abandonna l'une après
l'autre Ariane, Antiope, Hélène et Phèdre.
Pourquoi
n'y a-t-il donc pas eu de mythe de l'amour libre?
Précisément, parce que cela n'était pas nécessaire.
Dans cette civilisation où la morale sexuelle n'était pas
autoritaire et répressive, l'amour était généralement
libre.
Point n'est besoin d'un rite absolu pour consacrer l'union conjugale, qui marginaliserait du même
coup les autres pratiques amoureuses.
Partant, chez les
Anciens, globalement (il faudrait bien sûr nuancer ce
PROLONGEMENTS
113
propos), un don juan n'est pas un monstre dans".la
nature, c'est un homme tout à fait naturel, au contraire.
II n'y a donc pas lieu d'ériger en mythe une attitude
naturelle.
Ce qui fonde le mythe de Don Juan, c'est la
notion de transgression sacrée.
Or le donjuanisme n'a
rien, dans la civilisation gréco-romaine, qui offusque la
majesté divine de Zeus ou de Jupiter, évidemment!
II fallait qu'un jour, une religion fonde un sacrement
du mariage, et la société tout entière, sur la fidélité
conjugale pour que naisse, éventuellement, un Don
Juan.
Et encore, tant que cette idée de fidélité conjugale convint, officiellement du moins, à tout le monde,
les héros mythiques liés à l'amour devaient prendre
plutôt l'apparence d'un Tristan que d'un Don Juan.
Mais lorsque l'Espagne devint ce foyer catholique
rigoureux que l'on sait, la contrainte religieuse et
morale suscita, par réaction, la révolte individuelle mise
en scène dans la pièce de Tirso.
Certains critiques voient même dans ce mythe la
lutte de valeurs païennes incarnées par le héros face aux
valeurs chrétiennes de la société.
En Don Juan, la
société, figée dans ses principes religieux, aurait voulu
condamner les mœurs païennes de l'antique religion.
Lié à des croyances encore plus anciennes, ce héros
serait même, pour d'autres critiques, une survivance
archaïque du Totem animateur, ce dieu qui, dans certaines tribus, se doit de féconder les femmes vierges
avant leur mariage, pour donner, sans perdre la sienne,
une âme aux enfants.
C'est ce que dit, en somme, Otto
Rank à propos de Don Juan:
« Il ne veut pas posséder la femme dans le sens de la
durée, il veut seulement la féconder, c'est-à-dire : il
veut lui donner son âme, car c'était le rôle de l'amantdieu ou héros, auquel le mari abandonnait volontiers sa
femme pour garder pour lui-même l'âme immortelle au
114 DOM]UAN
lieu de la faire passer dans l'enfant.
Dans le Don Juan,
ce trait caractéristique important du héros idéal, la
tècondation de la femme par la substance animatrice
immortelle, est transformé en son contraire et, au point
de vue de l'idéologie chrétienne concernant l'immortalité, est flétri comme un acte de volupté diabolique.
»
C'est le fameux jus primae noctis qui octroie à une
puissance réputée supérieure le droit de jouir de la première nuit de la jeune mariée, la nuit de noces.
Quoi
qu'il en soit, le mythe de Don Juan serait à l'origine
une réaction idéologique de la société chrétienne, en
crise à cette époque, face à la rémanence d'anciennes
attitudes païennes ou face à l'émergence de nouveaux
comportements libertins.
Face à ce double péril, il fallut exorciser cette figure horrible, qui fut souvent de
fait diabolisée, et c'est ainsi, pour des besoins apologétiques, que naquit ce héros dans !'Histoire.
Ce fut donc
un tour de force incroyable de Molière que de retourner contre eux cette arme que les dévots, vrais ou faux,
avaient imaginée, puisque son Don Juan dénonce leur
hypocrisie.
■
L'explosion d'un mythe ?
Le donjuanisme devient une caractéristique des
héros au XVIIIe siècle, et à partir du XIX' siècle, les avatars du mythe sont si nombreux, et si divers, qu'il faut
bien se demander parfois s'il s'agit encore de donjuanisme ou de Don Juan, tellement ce....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓