Un théâtre d'avant-garde Les années 1950 virent se produire une révolution dramatur gique qui bouleversa aussi bien l'écriture que la...
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«
Un théâtre
d'avant-garde
Les années 1950 virent se produire une révolution dramatur
gique qui bouleversa aussi bien l'écriture que la pratique de l'art
théâtral 1 .
Pour qualifier cette révolution dont Beckett fut l'un
des initiateurs, les appellations ne manquèrent pas: on a tour
à tour parlé de « nouveau théâtre ", de « théâtre de l'absurde ",
de « théâtre de dérision ", de « théâtre d'avant-garde,, et même
d'« anti-théâtre "· Quelle que soit l'appellation que l'on préfère et
retienne, toutes ont le mérite de souligner l'émergence de nouvel
les conceptions qui rompent avec la tradition théâtrale.
Fin de partie en est une éclatante illustration.
La pièce ne reprend
aucune des caractéristiques de la dramaturgie traditionnelle.
Elle
ne milite en faveur d'aucune position esthétique 2 ou philosophique.
Mais elle élabore un nouveau langage dramatique.
LE REJET DE LA DRAMATURGIE
TRADITIONNELLE
La disparition de l'intrigue, l'effacement du personnage et l'aban
don de la structure ordinaire des pièces constituent les principales
formes du rejet de la dramaturgie traditionnelle.
1.
Beckett ne fut évidemment pas le seul.
Parmi les dramaturges qui participèrent à ce
bouleversement, citons Eugène Ionesco ou Adamov (voir note 1 et 2, p.
70).
2.
Esthétique: science du beau; idéal de perfection qu'un artiste souhaite atteindre ou
exprimer.
1La disparition de l'intrigue
Longtemps, comédies et tragédies ont raconté des histoires.
Elles reposaient sur une intrigue.
Aussi n'imaginait-on pas de
pièce sans action.
L'exposition 1 en présentait les données; des
péripéties 2 venaient en modifier le cours; enfin le dénouement
résolvait le conflit ou le problème soulevé.
Le théâtre d'avantgarde se refuse à raconter quoi que ce soit.
Fin de partie ne repose en effet sur aucune intrigue.
Enfermés
dans leur refuge dont ils ne peuvent ni ne veulent sortir, les personnages attendent la mort.
Ils ne font rien, sinon parler, sinon,
pour Clov, aller d'une fenêtre à l'autre et pour Nagg réclamer son
biscuit ou sa dragée.
Rien ne se passe, sinon ce « quelque chose »
qui
«
suit son cours » et qui est l'inexorable et silencieuse fuite du
temps (p.
26).
Attendre et, tout en s'impatientant d'attendre, parler
de presque rien: on ne peut mieux détruire l'idée même d'action.
1L'effacement du personnage
La disparition de l'intrigue s'accompagne de celle du personnage.
Qu'est-ce en effet qu'un personnage? Longtemps on l'a défini par
son rôle.
Mais un même personnage peut dans une même pièce
assumer plusieurs rôles.
Par exemple, dans Le Malade imaginaire
(1673) de Molière, Toinette joue tour à tour le rôle d'une servante et
d'un médecin.
Par lequel de ces deux rôles la définir? Et pourquoi
la définir plus par l'un que par l'autre? Un personnage n'est pas
davantage un caractère comme on l'a également longtemps dit:
il n'est pas un être vivant pour posséder un caractère.
Le person11age ne préexiste ni ne survit au texte.
Ce n'est qu'un être fictif, un
«
ètre de papier», dont il est vain d'analyser la psychologie.
Nell et Nagg, Hamm et Clov sont ainsi dépourvus de tout carac-
tère: Hamm peut apparaître inquiet ou exigeant et parfois tyran-
1.
L'exposition présente les éléments indispensables à la compréhension de l'intrigue.
2.
Péripétie: événement imprévu qui modifie le cours de l'action.
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 95
nique: ces réactions et sentiments ne suffisent pas à dessiner un
caractère; pas plus que l'obéissance de Clov n'autorise à dire qu'il
est servile.
Ce qui commande leurs réactions, c'est la situation
dans laquelle ils sont, pas ce qu'ils sont par et en eux-mêmes.
Leur biographie se réduit d'ailleurs à des bribes: une promenade
sur le lac de Côme et un accident de tandem pour Nell et Nagg;
l'adoption de Clov par Hamm.
Leur âge reste imprécis, on sait
seulement qu'ils sont « vieux » (p.
106}.
Même leur identité est des
plus floues.
Leur patronyme les individualise à peine: ce sont des
monosyllabes, comme si le raccourcissement de leur nom était le
reflet de l'amoindrissement de leur existence.
Peut-on d'ailleurs encore parler à leur propos d'individu ou
d'individualité? Les quatre personnages de la pièce vont deux par
deux.
Aucun n'est franchement autonome, pas même Clov qui,
s'il est le seul à encore pouvoir marcher, dépend de Hamm pour
se nourrir.
Interdépendants les uns des autres, ils se ressemblent
au point de devenir interchangeables: Clov sera demain ce que
Hamm est aujourd'hui
(➔ PROBLÉMATIQUE
1).
Les personnages ne
sont donc pas des types.
1L'abandon de la structure classique
Depuis le début du XV11• siècle, une pièce se divise en actes qui
eux-mêmes se subdivisent en scènes, généralement rythmées par
les entrées et sorties de scène des personnages.
Rn de partie
ignore ce type de découpage.
Tout au plus peut-on dire que la
pièce est en un acte.
Mais c'est une facilité de langage, car rien ne
l'indique formellement1.
Ce sont les silences (« Un temps ») et les
didascalies qui en constituent les éléments organisateurs.
Ils isolent
des séquences, comme dans l'exemple suivant: p.
17, depuis« (Un
temps) HAMM.
-A part ça,
ça va?» jusqu'à«// va vers la porte»
(p.
18).
On retrouve le même schéma aux pag.es 18 et 19.
1.
Aucune didascalie ne dit en effet que la pièce est en un acte.
Beckett précise en
revanche qu'En attendant Godot est en deux actes.
96
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
LE REFUS DE TOUT SENS
Fin de partie reste par ailleurs aussi éloignée de tout réalisme
que de tout idéal, par méfiance envers tout langage signifiant.
1Le refus de tout réalisme
r
Le théâtre d'avant-garde n'ambitionne pas d'imiter ou de reproduire le réel.
Les notions les plus élémentaires comme le temps
et le lieu sont brouillées.
Rien ne permet de préciser où se situe
le refuge, sinon sur un vague littoral
(➔ PROBLÉMATIQUE
12).
Rien
ne....
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