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Un univers fantastique Huis clos échappe à toute convention réaliste : athée convaincu, Sartre ne prétend pas nous persuader de...

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« Un univers fantastique Huis clos échappe à toute convention réaliste : athée convaincu, Sartre ne prétend pas nous persuader de l'exis­ tence d'un «enfer» après la mort et, à plus forte raison, le décrire tel qu'il est.

Rien, dans la pièce, n'est vrai, ni même vraisemblable.

Tout, ou presque, y est pourtant ordinaire. Quoi de plus banal qu'un canapé ou qu'un coupe-papier? L'univers que crée Sartre appartient en fait au fantas­ tique.

La notion est suffisamment complexe pour qu'on en précise la définition avant d'analyser en quoi Huis clos est une œuvre fantastique. QU'EST-CE QUE LE FANTASTIQUE? Dans le langage courant, le fantastique est synonyme d'extraordinaire, d'incroyable ou d'irréel.

Dans le vocabu­ laire de la littérature, il possède un autre sens. Le fantastique ne désigne pas l'étrange.

On qualifie d'étrange un événement réel dont on ne peut pas douter, mais qui est régi par des lois (scientifiques par exemple) que l'on ne connaît pas, par ignorance personnelle ou parce que le progrès n'a pas encore permis de les concevoir. Le fantastique ne se confond pas davantage avec le merveilleux, qui se meut d'emblée dans l'imaginaire.

C'est le cas des contes de fées.

Le lecteur admet, par hypo­ thèse, cette invraisemblance. Le fantastique naît d'une hésitation où se trouve soudain plongé le lecteur.

Dans un monde qui est bien le nôtre, voici que se produit un événement qu'on ne peut expli­ quer par les lois de ce même monde.

Mais on est dans l'incapacité de dire si cet événement est une pure illusion (on serait alors dans le merveilleux) ou s'il obéit à des causes mystérieuses (on serait dans l'étrange). Le fantastique résulte donc d'une incertitude intellectuelle.

Comme l'écrit Tzvetan Todorov, « c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel » 1 _ Si l'on applique cette définition à la pièce de Sartre, Huis clos est une œuvre fantastique par trois de ses aspects : la situation de base, qui est celle de morts vivants ; la présence d'objets insolites; et le lieu énigmatique de l'enfer. Cette atmosphère particulière de Huis clos résultant d'un choix délibéré, il conviendra à chaque fois de s'interroger sur la signification des divers procédés utilisés. DES MORTS VIVANTS Huis clos repose sur l'hypothèse fantastique, par excellence, de la survie incarnée.

En présence de qui sommesnous en effet ? Les personnages sont à la fois décédés et bien vivants. La vie après la rnort Garein a été fusillé; Inès a été victime d'une asphyxie par le gaz; et une pneumonie a emporté Estelle : tous trois sont censés être morts.

En même temps, ils vivent pour ainsi dire normalement.

Ils ont un corps; ils marchent, ils parlent.

Leurs sens restent en éveil : ils entendent, ils voient, ils peuvent toucher des objets.

Certes, ils ne peuvent ni dormir ni s'alimenter.

À quoi bon lorsqu'on est mort ? Mais, à ces deux exceptions près, ces décédés n'ont rien de macabre.

Le désir sexuel les habite encore. Une double rupture Cet état de morts vivants provoque une double rupture. D'abord, entre les personnages et leur propre existence qui appartient désormais au passé.

En ce qui les concerne, « les jeux sont faits» 2.

Ils n'ont plus qu'à dresser le bilan 1.

Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique (éd.

du Seuil, 1970, chap.2). 2.

Les jeux sont faits est le titre d'une pièce de Sartre. 47 définitif de leur vie.

Comme le dit Inès : « Le trait est tiré.

Il faut faire la somme» {p.

90).

Une distance s'instaure entre leur vie et leur conscience.

Personne ne peut en effet considérer sa vie comme un tout achevé sauf, précisément, à l'instant de sa mort.

Mais il est alors trop tard pour s'en apercevoir. Une seconde rupture, également fantastique, se produit entre les personnages et les spectateurs.

L:occasion est donnée à ces derniers de contempler l'impossible, c'est-àdire l'univers des morts.

Ils les voient évoluer de l'extérieur.

Face à qui sommes-nous ? Sommes-nous dans la vie? Ou en dehors? La question reste sans réponse nette. Un appel à la lucidité et à la liberté L:utilisation de cette technique n'est pas gratuite. D'une part, la mort contraint les personnages à regarder leur vie comme un objet fini.

Ils sont pour eux-mêmes des «en-soi».

D'autre part, ces morts demeurent des sujets pensants, des « pour-soi » 1.

Sartre réalise ainsi la séparation fondamentale de ces deux notions, qui ne se produit jamais dans le monde des vivants.

Tant qu'il vit, chaque individu est en effet un « pour-soi » (il sait qu'il pense) et un « en-soi » pour les autres {il sait qu'il est pensé par autrui). Cette séparation fonctionne comme une invitation au lecteur à ne pas se laisser réduire à un «en-soi», comme s'il était déjà mort, mais à décider de sa vie tant qu'il en a encore la capacité.

Garein apparaît dès lors comme un contre-exemple, lorsqu'il déclare : « Je suis mort trop tôt. On ne m'a pas laissé faire mes actes» {p.

90).

C'est toujours à plus tard qu'il remettait les actions héroïques dont il rêvait.

Sa « mauvaise » foi » réside dans cet incessant report.

C'est, selon Sartre, toujours dans le présent qu'il convient d'agir.

À chacun, donc, de ne pas vivre comme s'il était mort « trop tôt».

Le fantastique prend la valeur d'un avertissement et d'un appel à la liberté. 1.

Sur l' « en-soi » et le « pour-soi », voir ci-dessus, p.

32 et 33. 48 DES OBJETS INSOLITES L'univers de Huis clos est peuplé d'objets, que l'on peut ranger en deux catégories : les objets nommés, mais manquants; et les objets présents, mais inutiles. Les objets nommés mais manquants L' «enfer» sartrien se définit d'abord par ce qu'il n'est pas.

Par opposition à l'image traditionnelle de I' « enfer» chrétien, lieu de souffrances et de châtiments, il ne comporte aucun instrument de torture.

Dès son entrée, Garein demande où sont « les pals, les grils, les entonnoirs de cuir» (p.

15).

Le «garçon» s'étonne de la question et éclate de rire. De même, ce lieu qui a l'apparence d'un hôtel internationaP, n'a pas les caractéristiques des chambres d'hôtel ordinaires : « pas de glaces, pas de fenêtres », pas de salle de bain, ni même de « brosses à dents» (p.

15). Ces allusions aux objets manquants tendent à créer chez le lecteur un dépaysement total pour mieux le projeter dans un ailleurs vraiment inconnu.

Nul ne sait évidemment ce que pourrait être I' «.... »

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