UNE TRAGÉDIE DE LA SURPRISE ET DE L'ILLUSION Multiplication des péripéties La péripétie chez Aristote est le retournement de situation...
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UNE TRAGÉDIE
DE LA SURPRISE ET DE L'ILLUSION
Multiplication des péripéties
La péripétie chez Aristote est le retournement de situation qui amène le
dénouement: le personnage tragique y connaît le « revers de fortune• qui le
fait passer du bonheur au malheur.
Mais la tragédie classique multiplie sou
vent les péripéties, qui ne sont alors que des retournements réversibles et illu
soires ou bien des « dénouements provisoires • qui « inaugurent un nouveau
nœud en même temps qu'il dénoue le premier• (J.
Schere�.
Corneille justifie
ces intrigues complexes : • Il ne peut y avoir qu'une action complète, qui
laisse l'auditeur dans le calme, mais elle ne peut le devenir que par plusieurs
imparfaites, qui lui seNent d'acheminements et tiennent cet auditeur dans une
agréable suspension• (troisième Discours).
Le resserrement et la continuité
de l'action ne résulteront pas d'un sujet dépouillé, réduit au minimum
(recherche que mènera Racine dans Bérénice), mais au contraire d'un en
chaînement de« rebondissements et de coups de théâtre• qui font d'Horace
un« drame haletant • /A.
Adam).
Le récit de Tite-Live fournissait de ce point
de vue un bon sujet.
La suspension des hostilités permet d'écrire un premier
acte s'achevant par une péripétie qui est un faux dénouement.
Corneille laisse
de côté le récit de la cérémonie religieuse du traité entre les Albains et les
Romains pour la remplacer par une consultation des dieux: et c'est l'occa
sion de suspendre le combat lui-même par une nouvelle péripétie qui est
cette fois un retournement de situation provisoire.
Une cascade de coups de théâtre
Mais ces simples péripéties narratives vont sur scène se dédoubler et
donner lieu aussi à des coups de théâtre.
!.'.annonce de la trève donne lieu,
dès l'acte 1, à celui de l'arrivée de Curiace à la scène 3, que souligne la
stupeur de Camille (v.
234, • En croirai-je mes yeux ? •).
Le faux dénoue
ment à la fin de l'acte I permet un nouveau coup de théâtre dès les trois
premiers vers de l'acte suivant où l'on apprend le choix de Rome.
Mieux,
Corneille a pris soin de ne pas annoncer ce dernier en même temps que
celui d'Albe et c'est l'occasion de faire de cette annonce, dès la scène sui
vante, un nouveau coup de théâtre et un splendide dialogue qui fera
l'admiration de Voltaire, pourtant si scrupuleusement critique dans ses
commentaires de la pièce : « Voilà la première scène où un simple messa
ger ait fait un effet tragique en croyant apporter des nouvelles ordinaires.
J'ose croire aue c'est la oerfection de l'art.
•
Même coup de théâtre redoublé à l'acte Ill dans deux scènes qui se suivent (scènes 2 et 3).
Nouveau redoublement dans les scènes 6 de l'acte Ill
et 2 de l'acte IV grâce à la trouvaille d'un récit fait en deux fois.
l'.acte V lui-même n'est pas dénué d'imprévus (voir commentaire).
Tension continue mais gradation d'intensité
Corneille n'utilise pas la multiplication des entrées et des sorties pour
animer sa pièce: il y a vingt-sept scènes dans Horace, et c'est assez peu
{dans le théâtre classique, le nombre de scènes oscille entre vingt-cinq et
quarante, selon J.
Scherer).
Mais I'« unité de jour» et la liaison des scènes
donnent l'impression de mouvement sans repos.
Surtout Corneille prend
soin de mettre dans la bouche de ses personnages de nombreuses indications temporelles qui tendent l'action.
l'.issue de la bataille sera connue
"aujourd'hui», dit Sabine dans la première scène (v.
79).
Curiace nous
apprend que, " dans deux heures au plus », le conflit entre Albe et Rome
sera réglé (1-3, v.
329).
Horace ne laisse au second acte " qu'un moment »
à Camille et Curiace (11-5, v.
531).
Le vieil Horace arrive pour presser les
combattants 01-7, v.
680).
Puis c'est la succession trépidante de nouvelles,
avec les allers et retours de Julie, dans les actes Ill et IV presque liés par un
effet de « fondu »(voir commentaire de la scène 1 de l'acte IV) et l'arrivée
de Valère annonçant le retour d'Horace " dans un moment ».
Dans cette temporalité tendue par l'imminence et par l'urgence, l'accumulation des péripéties vaut comme une montée de l'intensité, d'autant
que, loin de confirmer les espérances, elles s'achèvent sur une situation pire
que la précédente.
Le " double péril • qui pèse sur Horace est, sinon une
réussite dramatique, du moins un élément significatif de la recherche de la
gradation accumulative : le tragique progresse sur le mode de la surenchère et de la généralisation.
Ainsi au dernier acte, même le vieil Horace
suscitera la pitié.
Enfin, chaque étape de la pièce donne à voir un des personnages poussé
jusqu'à l'extrêmité de la tension.
« Piteux jouets• de l'oscillation tragique, ils
parviennent jusqu'à un "comble» qui est aussi un état de lucidité: Curiace à
l'acte Il {scène 4), Sabine à l'acte Ill {scène 1), Camille à l'acte IV {scène 4), le
vieil Horace et son fils à l'acte V{scènes 1 et 2), et même Julie dans l'épilogue
retranché.
Car tous ces rebondissements sont là aussi pour permettre la succession
ininterrompue des« agitations puissantes» et des« passions diverses•.
Le spectacle des passions
Le bouleversement de l'action qui résulte de la péripétie se double en
effet de bouleversements psychologiques.
C'est l'invention d'un récit invo
lontairement mensonger de Julie qui permet le bouleversement le plus
spectaculaire.
Le vieil Horace jusque-là optimiste et bienveillant se méta
morphose en un vieillard désespéré et cruel.
Sabine....
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