- UNE TRAGÉDIE RÉGULIÈRE Une tragédie pour les doctes ? Le Cid avait été un triomphe public, mais il avait...
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UNE TRAGÉDIE RÉGULIÈRE
Une tragédie pour les doctes ?
Le Cid avait été un triomphe public, mais il avait déclenché une polé
mique que l'Académie française avait tranchée.
Ce fut l'occasion pour
les «doctes» d'affirmer l'importance de la «régularité».
Les doctes sont
des hommes cultivés qui, s'appuyant sur les arts poétiques de !'Antiquité
(Aristote, Horace), essaient de définir les principes techniques, les
«règles», d'une œuvre littéraire sans défaut.
Leur exigence d'une
méthode réfléchie les rapproche du mouvement rationaliste qui
renouvelle à l'époque la pensée scientifique, elle les inscrit aussi dans
un goût de l'ordre dicté par l'autoritarisme croissant du pouvoir.
Corneille, qui s'est éloigné deux ans du théâtre, revient avec Horace.
Au cours de l'hiver 1639-1640, il en fait la lecture devant un groupe de
doctes influents, dont Chapelain et l'abbé d'Aubignac, les deux grands
théoriciens de la nouvelle dramaturgie.
La pièce est jouée ensuite en
avant-première devant Richelieu, dont l'autorité veut régner jusque sur
la «république des lettres•.
Corneille lui dédie Horace à sa publication,
soulignant le «changement visible qu'on remarque» depuis qu'il «est» au
cardinal, se félicitant de chercher non pas à «plaire au peuple• comme
le recommandaient les Anciens, mais à divertir un ministre, ce qui est un
véritable «service de l'État» : on croirait entendre le vieil Horace (v.
1711-1718).
Horace est une tragédie, genre plus régulier que la tragi-comédie.
Ble
puise son sujet dans !'Antiquité.
Elle respecte les préceptes des doctes.
C'est comme si Co�neille avait essayé d'écrire une pièce modèle pour
cette doctrine qui se construit à l'époque, qui régnera à la fin du siècle et
qui est le fondement de la littérature classique.
Mais au-delà des règles
qu'elle suit ou qu'elle viole, la pièce témoigne du génie propre de
Corneille, de ce que Guez de Balzac appelait à propos du Cid • un secret
qui a mieux réussi que l'art Da technique] même•.
Faire vrai avec de l'extraordinaire
•~imitation en tous poèmes [œuvres] doit être si parfaite qu'il ne paraisse
aucune différence entre la chose imitée et celle qui imite• (Chapelain, Lettre
sur la règle des vingt-quatre heures, 1630).
C'est de ce principe de base
(créer l'illusion du réel) que dérivent toutes les règles et d'abord celle de la
vraisemblance.
Corneille cherchant des héros «hors de l'ordre commun»
va élargir cette règle et il s'en justifiera dans les Discours en s'appuyant sur
Aristote.
Il accepte le vrai invraisemblable, les faits historiques et même les
légendes mythologiques, acceptées de tous, ne trouvant «point d'incrédules»: c'est le cas du meurtre de Camille qu'on ne peut retrancher, car
«l'histoire est trop connue» («Examen•).
Il accepte le vraisemblable extraordinaire (•il est vraisemblable que beaucoup de choses arrivent contre la
vraisemblance»): c'est le cas de la fausse nouvelle donnée par Julie, nécessaire à la colère du vieil Horace' et justifiée par •l'impatience d'une femme
qui suit sa première idée• («Examen»).
Quand on invente, il faut rester dans
la «vraisemblance générale» : c'est le cas du personnage de Sabine.
D'autre part «la scène ne donne point les choses comme elles ont été,
mais comme elles devraient être» (d'Aubignac).
Le théâtre .pré-classique
ne reculait pas devant la représentation de certaines vulgarités du quotidien, d'expressions crues ou sensuelles, ou devant la mise en scène de la
mort sous les yeux horrifiés du spectateur.
Mais vers 1630 s'impose peu à
peu la nécessité de bannir tout ce qui peut choquer le public, il faut respecter les• bienséances•.
Chimène avait été jugée «impudique» dans Le
Cid; Corneille réussit à présenter une héroïne plus passionnée encore,
Camille, sans qu'on s'en plaigne.
Le point d'achoppement sera sa mort
sur scène (voir commentaire de la scène 5 de l'acte IV).
C'est encore en vue d'une meilleure «imitation» que se formule la «règle
des trois unités•.
L'unité de temps et la liaison des scènes
«La représentation dure deux heures, et ressemblerait parfaitement si
l'action qu'elle représente n'en demandait pas davantage pour sa réalité
(Corneille, troisième Discours «Sur les trois unités»).
À défaut de cette
coïncidence parfaite, la dramaturgie classique se f!Xe sur la durée d'une
journée, le «tour de soleil» recommandé par Aristote.
Il s'agit en tout cas
de ne pas dépasser les vingt-quatre heures, règle suivie dans Horace et
discrètement soulignée tout au long de la pièce.
La guerre est annoncée
pour le jour même dans la première scène (v.
79) et, dans la troisième,
Curiace dit que le duel aura lieu «dans deux heures au plus» (v.
329).
Julie
fait espérer le mariage de Camille dans «la fin de la journée» (111, 3).
À la fin
de la pièce, le roi rappelle que la mort de Curiace et celle de Camille ont eu
lieu «en un même jour» (v.
1779) (voir aussi commentaire de la scène 4 de
l'acte IV}.
Ce resserrement temporel rend aussi plus intense la crise tragique.
Camille a consulté l'oracle la veille, Tulle ordonne une cérémonie expiatoire
pour le lendemain : tout se concentre dans cette journée intermédiaire.
Les
allusions à des événements antérieurs ou postérieurs à l'intrigue sont peu
nombreuses, en revanche des rappels historiques et des prédictions
situent ce court moment dans la dimension grandiose de l'histoire de
Rome, de ses origines (v.
52-56, v.
1756) à sa chute (v.
1305-1310) et en
font une histoire exemplaire et fondatrice.
Toutes les scènes d'autre part sont« liées».
Horace est la première tragédie à le faire : Corneille écrit le «nouveau théâtre » de son époque.
«Ornement » facultatif, la liaison des scènes deviendra après 1650 une règle :
«Nous y avons tellement habttué nos spectateurs qu'ils ne sauraient plus
voir une scène détachée sans la marquer pour un défaut: l'œil et l'oreille
même s'en scandalisent avant que l'esprit y aye pu faire réflexion» (troisième
Discours); et c'est encore une règle du théâtre de....
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