URSS (1981-1982): Un tournant? A l'Est, du nouveau? En 1981, l'Union soviétique semble sortir de la période de stabilité qu'elle...
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URSS (1981-1982): Un tournant?
A l'Est, du nouveau? En 1981, l'Union soviétique semble sortir de la période de
stabilité qu'elle a connue depuis près d'une décennie.
L'effritement de la
position du premier secrétaire du PCUS aura marqué le tournant entre 1981 et
1982.
Que l'on se souvienne: en 1981, Léonide Brejnev paraissait avoir surmonté
tous ses problèmes.
Son état de santé s'était amélioré (de manière si
spectaculaire que l'on évoquait une guérisseuse miracle), et cela coïncidait
avec la disparition, le 17 décembre 1980, du seul personnage qui aurait pu lui
porter ombrage: Alexis Kossyguine.
Le XXVIe Congrès du parti confirmait, en
apparence, cette situation.
Mais, au cours des premiers mois de 1982, celle-ci paraissait remise en cause.
Le 26 janvier mourait Mikhaïl Souslov.
"Grand Maître" de l'idéologie, le disparu
avait été à la base des manœuvres qui conduisirent à l'éviction de Khrouchtchev.
On lui attribuait un rôle capital dans l'ascension de Brejnev et, en dépit de
son âge avancé (79 ans), il était devenu au XXVIe Congrès le numéro deux du
parti.
Lors de ses funérailles, la télévision soviétique n'a pas hésité à
montrer longuement un Brejnev affaibli, visiblement très affecté.
La démarche
pesante du premier secrétaire, n'avançant que soutenu par les membres du bureau
politique, relançait les spéculations sur son état de santé.
Plus graves furent les rumeurs qui circulèrent en février.
Elles faisaient
mention de scandales financiers, de trafics de devises, auxquels auraient été
mêlés la belle-fille de Brejnev et son fils Youri, vice-ministre du Commerce
extérieur.
Certains n'hésitèrent pas à faire le lien entre ces "affaires" et la
mort subite du général Tsvigou, numéro deux du KGB et beau-frère de la femme de
Brejnev.
Enfin, de la fin mars à la mi-avril, l'absence du Premier secrétaire à plusieurs
cérémonies eut pour effet d'alimenter Moscou en informations contradictoires sur
la santé et même la vie de Brejnev.
Un jour hospitalisé, l'autre simplement en
vacances, on le tint même pour mourant, des suites d'une congestion cérébrale.
Il aura fallu sa présence, le 22 avril à la manifestation marquant le 112e
anniversaire de la naissance de Lénine, pour dissiper ces rumeurs.
L'aggravation des difficultés économiques
Mais, par-delà le jeu subtil de l'information et de la désinformation qui se
jouait dans la capitale soviétique, ces événements étaient les symptômes d'un
profond malaise politique dans les cercles dirigeants, survenant au moment où,
sur plusieurs fronts, la situation évoluait rapidement.
L'année 1981 n'aura pas, à cet égard, apporté de grands changements à la
tendance présente depuis quatre ou cinq ans.
La production nationale a continué
de progresser à un rythme inférieur à celui prévu par le plan et à celui de la
première moitié de la décennie 1970.
D'une moyenne de 5,1% de 1971 à 1975, on
est passé à 3,6% de 1976 à 1980.
Mais ces chiffres sont trompeurs.
Les
statistiques soviétiques tendent en effet à gonfler les résultats globaux à
travers des doubles décomptes.
Si l'on prend comme base les méthodes de
correction des statistiques utilisées par les chercheurs américains, le rythme
moyen de la croissance annuelle pour 1976-80 serait de 2,5% et il s'établirait
pour 1981 à 1,6%, voire en dessous.
Mais ces données globales masquent également
des distorsions importantes.
Ainsi l'agriculture a-t-elle connu sa troisième année de déclin consécutive.
La
récolte de céréales s'établirait, suivant le département américain à
l'Agriculture, à 170 millions de tonnes.
La récolte de 1981 serait ainsi
inférieure de 10% à celle de 1980, qui avait déjà été une mauvaise année.
L'URSS
devrait donc importer 42 millions de tonnes de céréales en 1982, contre 33,5
millions en 1981.
La production de viande a stagné et celle du lait baissé.
Dans l'industrie, plus de la moitié des branches, en particulier celles de
l'industrie lourde, stagnent ou régressent.
C'est le cas de la production
d'acier, de charbon, de matériel ferroviaire, mais aussi de l'industrie
agro-alimentaire.
Seules notes relativement optimistes: le bon comportement de
l'industrie légère non alimentaire et l'électroménager, et surtout de la
production de gaz naturel.
Autre indice préoccupant, la croissance du nombre des constructions inachevées.
Pendant le Xe quinquennat il a augmenté de 43% et se situe désormais aux
environs du quart de la valeur de la production nationale.
L'économie soviétique
se trouve donc dans une situation dégradée par rapport au début des années
soixante-dix, dont il importe d'analyser les causes, alors même que le XXVIe
Congrès du PCUS s'est prononcé pour un plan 1980-85 mettant l'accent sur la
consommation et la modernisation de l'appareil productif.
Les difficultés de l'agriculture peuvent s'expliquer en partie par les
structures de ce secteur.
Les secteurs étatisé (sovkhozes) et coopératif
(kolkhozes) reçoivent la très grande majorité des investissements et des biens
(machines et engrais) et ne produisent que 80% de la production agricole avec
97% des surfaces.
Le secteur "privé" (le lopin des familles kolkhoziennes)
produit 20% avec 3% des surfaces.
Cette anomalie a suscité un important débat
sur le rôle à accorder à l'agriculture privée.
Celui-ci oppose les tenants de
son extension, qui s'appuient sur l'exemple hongrois ou sur celui de la NEP, aux
partisans de la "tradition" qui continuent à voir dans le lopin un résidu
malsain du passé.
Dans l'industrie, les causes sont plus complexes.
Les soviétiques avancent deux
explications: l'insuffisance des investissements de modernisation et le manque
de main-d'œuvre.
Ce dernier point semble particulièrement crucial puisque le
gouvernement fait pression sur les retraités pour qu'ils reprennent un travail
et importe de la main-d'œuvre.
On estime déjà à 150 000 le nombre de
"travailleurs immigrés" en provenance des pays de l'Europe de l'Est (Bulgarie,
Tchécoslovaquie) mais aussi maintenant du Vietnam de Corée du Nord et même de
Finlande.
Ce manque de main-d'œuvre apparaît particulièrement préoccupant au vu
des perspectives démographiques de l'URSS: les estimations, tant soviétiques
qu'étrangères, font apparaître que la population en âge de travailler, qui
augmentait de 1,55% par an de 1970 à 1980, n'augmentera que de 0,9% par an de
1981 à 1985 et de 0,5% de 1986 à 1990.
C'est en raison des faibles gains de productivité du travail que la croissance
tend à dépendre de la démographie.
Ces faibles gains peuvent s'expliquer de
trois façons.
D'une part, par une mauvaise utilisation chronique du matériel qui
fait que de nombreuses tâches sont encore exécutées à la main, et que des
machines achetées à l'étranger pourrissent dans un coin de l'atelier.
D'autre
part, la résistance des ouvriers aux mesures d'intensification du travail fait
que ceux-ci prêtent de moins en moins d'attention aux "stimulants matériels" au
sein de l'entreprise.
De plus, et surtout, on assiste depuis la fin des années
soixante-dix à un sensible développement du travail au noir, qui s'opère au
détriment du travail officiel: les salariés préfèrent délaisser l'atelier ou le
bureau (d'où la croissance de l'absentéisme, qu'explique également le temps
occupé à faire la queue dans les magasins), pour effectuer illégalement toutes
sortes de "petits travaux" beaucoup plus rémunérateurs.
Corrélativement, le
marché noir de services et de biens de consommation se développe lui aussi,
offrant de nouveaux débouchés au revenu excédentaire dont disposent les salariés
dans le cadre de l'"économie officielle" (par opposition à l'"économie
parallèle"), puisque sa capacité à produire des biens consommables augmente
moins vite que les salaires.
Témoin de cette évolution: le ralentissement de la
croissance annuelle des dépôts dans les caisses d'épargne, qui est passée de 14
à 15% par an en moyenne entre 1975 et 1979 à 5,7% en 1981.
La mise en place en
1981 d'une nouvelle méthode d'organisation du travail (le travail en "brigades")
a été présentée comme un moyen de résoudre les problèmes de productivité.
Mais,
derrière les bilans de victoire qui ont accompagné son instauration, on sent
percer la résistance des hommes et des structures.
D'autres phénomènes contribuent également au ralentissement très net de la
croissance soviétique.
Le déplacement des sources de matières premières vers
l'Est, qui accroît les coûts de transports, pèse d'autant plus que l'industrie
continue à gaspiller les produits de base.
L'effort militaire, tant par les
dépenses qu'il entraîne que par l'immobilisation d'une fraction non négligeable
du potentiel industriel à des fins non productives, joue aussi un rôle certain.
La part de la production "militaire" dans le secteur clé de la mécanique est
ainsi passée de 54% en 1965 à 60,8% en 1978.
Enfin, le retard technologique de
l'URSS, qui se maintient dans plusieurs secteurs de pointe (comme l'électronique
et la mécanique de précision), contribue à la fois à diminuer les performances
économiques et à retarder l'exploitation de certaines ressources (comme le gaz
sibérien).
La dégradation du tissu social
Les difficultés économiques semblent loin d'être dépassées.
La possibilité d'une
crise ne saurait être exclue, avec le risque d'une grave rupture sociale et
politique comme on l'a vu en Pologne.
De 1965 à 1975, le citoyen soviétique s'était habitué à une progression
régulière et importante de son niveau de vie.
Or, depuis 1975, cette évolution
s'est interrompue.
La consommation de produits alimentaires stagne, voire
régresse (poisson, fruits, viande).
Il en va de même pour de nombreux biens
manufacturés comme les tissus et les chaussures.
Et pourtant, les Soviétiques
sont loin d'être suréquipés et surnourris.
Le niveau de vie moyen est le tiers
de celui des États-Unis, la moitié de celui de la France et de la RFA, et il est
même inférieur à celui des autres pays de l'Est, à l'exception de la Bulgarie.
Ce qui rendait supportable une telle situation était jusqu'alors l'existence de
services sociaux assez développés.
Or, ce secteur connaît lui aussi une sérieuse
dégradation.
En particulier dans le domaine hospitalier où se développe une
médecine à "deux vitesses".
A côté d'hôpitaux vétustes, où la salle commune est
de rigueur et où manquent médicaments, serviettes, moyens de stérilisation, se
développent des unités "de pointe" réservées à la "Nomenklatura".
Résultat
incroyable pour un pays industrialisé, des calculs effectués par des chercheurs
américains et que ne contestent pas les Soviétiques montrent que la mortalité
infantile augmente, de 23 pour mille en 1971 à 34 pour mille en 1976 (taux
quatre fois supérieur à celui de la Suède), et que l'espérance de vie pour les
hommes diminue: de 66 à 63 ans (statistique qui ne concerne pas les dirigeants
du parti et de l'État...).
La recrudescence de l'alcoolisme, fléau traditionnel, témoigne également de
cette dégradation.
Les clients des "dessoûloirs" sont de plus en plus jeunes: 2%
ont entre 16 et 17 ans.
Le nombre de personnes soignées pour le "serpent vert"
(nom familier donné au delirium tremens) a augmenté de 30% en quatre ans et
doublé chez les femmes.
Cette évolution pose en termes nouveaux la question de la stabilité sociale du
régime soviétique.
Ce dernier, par une répression systématique, a porté des
coups très durs à la "dissidence".
La trinité arrestation-relégation-exil a
décimé les cadres et les personnalités les....
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