URSS (1983-1984): Une succession sans rupture L'analyse politique de l'URSS a longtemps été dominée par un constat, la remarquable longévité...
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URSS (1983-1984): Une succession sans rupture
L'analyse politique de l'URSS a longtemps été dominée par un constat, la
remarquable longévité politique des dirigeants de ce pays.
L'année 1983 invalide
- provisoirement ou non, c'est là une question importante - ce constat.
En
l'espace de quatorze mois - novembre 1982, février 1984 - deux dirigeants sont
succédé à la tête de l'URSS.
Et l'âge avancé des deux, plus de soixante-dix ans,
leur état de faiblesse physique indéniable, indiquent que pour un temps au moins
l'URSS est entrée dans l'ère des successions à répétition, de l'instabilité des
hommes en place, donc du transitoire.
Ce choix de solutions précaires au
problème du pouvoir, opposé aux choix potentiellement durables de l'histoire
politique soviétique passée, constitue la toile de fond de tout examen de
l'évolution de l'URSS en 1983.
C'est dans ce contexte qu'il faut discuter du
problème des successions, du bilan de l'année Andropov, des orientations
générales de la politique soviétique.
Les successions institutionnalisées
Un des éléments les plus intéressants et nouveaux de la politique soviétique
contemporaine qui marque profondément l'année écoulée est la prévisibilité des
successions.
Si l'URSS a été, dans le passé, surprise par la mort brutale de
Staline et le renvoi de Khrouchtchev, tout indiquait au début des années
quatre-vingt l'imminence de la disparition physique - donc d'une succession
inévitable - de Brejnev, puis d'Andropov.
Dans ces conditions la nécessité de
prévoir et d'organiser la succession, donc le choix du successeur, a été l'un
des problèmes majeurs pour la classe politique.
Ce problème qui encadre l'année
1983 a été résolu à deux reprises dans des conditions similaires.
Par deux fois,
novembre 1982, février 1984, le petit groupe qui décide des successions a choisi
en son sein des candidats de plus de soixante-dix ans et malades.
Par deux fois
aussi, la succession s'est déroulée sans secousses, sans conflits apparents et
elle a assuré à ceux qui en ont bénéficié la totalité des pouvoirs du Parti et
de l'État.
Leonid Brejnev avait dû attendre treize ans (1964-1977) pour
rassembler ces fonctions dans ses mains.
Pour ses successeurs, le délai a été
infiniment plus court.
Andropov a été élu président du Presidium du Soviet
suprême le 17 juin 1983, c'est-à-dire sept mois après son élection au
Secrétariat général du Parti ; son successeur, Constantin Tchernenko, a accompli
ce parcours en trois mois.
Pourtant, dans ces deux successions, Andropov comme Tchernenko devaient
affronter des concurrents.
Analysant les perspectives des deux successions à
venir, à la veille même de ces événements, l'expert américain Jerry Hough
indiquait les successeurs probables.
Octobre 1982 (quelques jours avant la mort
de Brejnev), dans l'ordre préférentiel: Kirilenko, Tchernenko, Andropov ; et en
décembre 1983 (deux mois avant la mort d'Andropov), il écrivait: "Si Andropov
mourait dans les mois à venir, il y aurait seulement deux candidats: Mikhaïl
Gorbatchev -90% de chances - et Grigori Romanov -10% de chances." Ces pronostics
que les faits ont infirmés sont évoqués ici non par dérision, mais parce qu'ils
témoignent d'une évidence: un choix ou des choix alternatifs existaient en URSS
à la fin de 1982 et de 1983.
En dépit de ces possibilités alternatives les
successions se sont opérées paisiblement, sans entraîner l'éviction brutale des
vaincus.
Tout au contraire, Tchernenko vaincu à la fin de 1982 réussira à être
le vainqueur de la succession de 1984.
Pour la première fois dans l'histoire des
luttes politiques de l'URSS, où la défaite entraînait une disparition politique
sinon physique, l'insuccès peut conduire au succès ultérieur.
De plus, ces successions à répétition témoignent de l'apparition d'une pratique
nouvelle, le cumul systématique des fonctions de chef du Parti et de chef de
l'État.
Sans doute faut-il être attentif à la réalité du pouvoir contenu dans
ces diverses fonctions.
Staline, et de 1957 à 1964 Khrouchtchev, ont cumulé les
pouvoirs du parti et ceux du gouvernement, c'est-à-dire de la machine
administrative.
Leurs successeurs ont expressément marqué leur volonté de ne
plus accepter un tel cumul, qui confère au titulaire de ces charges une autorité
considérable.
Depuis Khrouchtchev, le Secrétaire général du Parti a été, dans un
second temps, désigné comme chef de l'État, alors que la responsabilité du
gouvernement restait hors de ses fonctions.
Cette séparation maintenue des deux
appareils administratifs de l'URSS, le fait que la charge de chef de l'État,
plus honorifique que réelle, ait été attribuée à des secrétaires généraux du PC
malades, âgés, hors d'état de toute manière de mésuser contre leurs collègues de
titres impressionnants, indique bien que la direction collective du système par
un noyau dirigeant au sein du Politburo est inscrite dans les faits ; que c'est
le choix de ce noyau qui domine le processus de sélection des dirigeants et
définit les charges qui leur sont conférées.
L'année 1983 a été, à cet égard,
importante, car elle témoigne que la succession en URSS, si elle n'obéit pas à
des règles écrites, tend à trouver ses normes de fonctionnement dans la
répétition des événements.
Le pouvoir andropovien
Iouri Andropov, dont le règne fut, à ce jour, le plus court de l'histoire
soviétique, a-t-il disposé d'une autorité personnelle? d'une base de pouvoir
personnel? ou bien ne fut-il qu'un représentant nominal de l'autorité de ses
collègues? Il est bon de rappeler ici deux faits contradictoires: l'extrême
brièveté de la période andropovienne, et la personnalité du chef de l'URSS en
1983.
Toute la carrière de Iouri Andropov témoigne d'une forte personnalité et
de capacités étendues: il a touché à peu près à tous les domaines de l'activité
politique - Parti, gestion économique comme responsable local du Parti, État
comme responsable de la sécurité, police, affaires internationales, relations
avec les partis étrangers ; dans toutes ses fonctions il a vu ses entreprises
couronnées de succès.
Combien de responsables soviétiques peuvent lui opposer
une expérience aussi vaste? un parcours aussi réussi? Il était douteux qu'un
homme fort d'un tel passé, sans aucun doute placé à la tête de l'URSS en raison
de l'autorité dont il jouissait, n'ait pas tenté de construire une base de
pouvoir personnel.
Un style et un "groupe" andropoviens, dont on entrevoit les contours, attestent
bien de cette volonté du Secrétaire général nommé en novembre 1982 de remplacer
le brejnevisme par un certain degré d'andropovisme.
Le style d'abord.
Dès
l'arrivée au pouvoir de Iouri Andropov, son nom devient une référence.
Il est
cité dans la plupart des articles, des discours, des décisions ; et rapidement
va s'imposer l'épithète d'Andropov qualifiant toutes les décisions prises par le
système politique soviétique ; on en verra un témoignage clair dans la
formulation: "déclaration de I.V.
Andropov, Secrétaire général du CC du PCUS et
président du Presidium du Soviet suprême" de septembre 1983 sur la politique
étrangère (29.9.1983) ; ou encore: "Le Politburo dirigé par Iouri Andropov." Il
est présenté comme "l'héritier de Lénine" (discours de Gorbatchev pour la
commémoration de la naissance de Lénine - avril 1983).
Enfin, dernier symbole
mais combien parlant, l'ordre de citation.
Lorsqu'il arrive au pouvoir, Andropov
est premier dans l'ordre de citation des membres du Politburo, pour la raison
naturelle qu'il est placé ainsi par l'ordre alphabétique.
Nul ne sait alors si
cet ordre confirme une primauté politique.
En revanche, lorsque au lendemain de
sa venue au pouvoir il assure la promotion au sein du Politburo de Geidar Aliev,
nommé ensuite premier vice-président du conseil des ministres de l'URSS (Pravda,
25.11.1982), il modifie l'ordre alphabétique: le nom d'Andropov restera en tête,
avant celui d'Aliev, ce qui souligne la personnalisation du pouvoir.
Par ailleurs, bien avant que son statut étatique ait été clarifié, Andropov se
pose en chef d'État, et cette volonté de se couler dans une fonction qui
reprenne totalement l'héritage de son précédesseur est clairement démontrée par
la comparaison avec le statut de Brejnev à la fin des années soixante.
Dans
cette période où il n'est encore que Secrétaire général du Parti, Brejnev
partage les fonctions représentatives internationales avec le chef du
gouvernement Kossyguine et le chef de l'État, Podgorny.
Plus encore, les
relations avec le monde occidental, qui sont les plus prestigieuses dans la
hiérarchie subtile des symboles du pouvoir soviétique, seront pour plusieurs
années le privilège de Kossyguine.
Tout au contraire, d'emblée, dès les
funérailles de Brejnev et aussi longtemps que sa santé lui permet de maintenir
des contacts avec le monde extérieur, Andropov se réserve le monopole des
relations avec les chefs d'État et de gouvernements importants, et confine le
Premier ministre Tikhonov dans les rapports avec les personnalités moins
importantes ou représentatives de pays tenus pour secondaires.
Les signes extérieurs d'autorité, la volonté d'incarner l'État seront confirmés
en juin 1983 par son élection à la présidence du Presidium du Soviet suprême qui
fait aussi de lui le président du Conseil suprême de défense, c'est-à-dire le
chef de l'armée soviétique (Pravda, 17.6.1983).
De cette autorité qu'il affirme
d'emblée, de ces fonctions qu'il va cumuler, Andropov a-t-il pu user pour
consolider son pouvoir en s'entourant d'hommes proches de lui? Les successions
qui se sont déroulées depuis la mort de Staline attestent que les changements de
personne, sur l'initiative et au bénéfice du titulaire nominal du pouvoir,
s'effectuent rarement d'emblée.
En 1983, la rapidité avec laquelle Andropov
réalisa un certain nombre de "mouvements" à des niveaux divers contraste avec la
prudence de ses prédécesseurs.
Ces mouvements s'effectuent généralement selon
trois axes, affaiblissement des positions des rivaux, promotions à divers
niveaux, instabilité des statuts.
Des promotions prudentes
Un bref regard sur l'année 1983 montre le caractère inégal des changements
opérés dans ces trois directions.
Au chapitre des évictions, Andropov resta
prudent, ou bien fut empêché de prendre des initiatives durables.
Au sommet, peu
de rivaux semblent s'opposer à lui.
Kirilenko, considéré un temps comme héritier
possible de Brejnev, est en disgrâce avant même que Brejnev disparaisse.
Reste
Tchernenko, héritier souhaité par Brejnev et vaincu par Andropov.
Dans les
dernières années du pouvoir brejnevien, Tchernenko fut secrétaire à
l'organisation du CC du Parti, ce qui lui donnait un pouvoir réel sur l'appareil
du Parti, et à travers lui, la possibilité de contrôler toute la machine
administrative et militaire de l'URSS.
Dès son accession au pouvoir, Andropov
l'écarta pratiquement des responsabilités organisationnelles, en lui confiant
des responsabilités non négligeables - celles de Souslov - dans le champ de
l'idéologie et des relations avec les PC étrangers.
Si, dans la pratique,
Tchernenko fut durant plusieurs mois tenu à l'écart des rencontres avec les
grands PC de l'extérieur et avec les responsables des États communistes, la
maladie d'Andropov lui laissera progressivement le champ libre pour s'affirmer
dès l'automne 1983 successeur de Souslov, idéologue de l'URSS, et par ces
fonctions il peut restaurer peu à peu une position d'abord très érodée.
Les
malheurs - relatifs - de Tchernenko représentent l'unique régression voyante au
sommet du système dans la période andropovienne.
Plus que par les purges c'est par un processus de promotion qu'Andropov façonne
son système.
Promotion spectaculaire au sommet que celle d'Aliev dès novembre
1982 et de Gorbatchev au printemps 1983.
Geidar Aliev, chef du PC d'Azerbaïdjan
et responsable du KGB dans cette république, fut élevé à la dignité de membre
votant du Politburo et de premier vice-président du conseil des ministres,
promotion à laquelle l'âge avancé du chef du gouvernement, Tikhonov - 77 ans -,
donnait tout son sens.
En mars 1983, Gromyko, ministre des Affaires étrangères,
est aussi promu au même poste de premier vice-président du conseil des ministres
(Pravda, 25.3.1983), encombrant ainsi un petit peu plus le groupe compact des
successeurs potentiels du chef du gouvernement.
Enfin, l'ascension presque
simultanée au coeur de l'organisation du Parti de trois hommes modifie les
rapports de forces.
Mikhail Gorbatchev, spécialiste des problèmes agricoles au
Politburo, étend dès le printemps 1983 sa compétence à la sélection du personnel
dirigeant du Parti, position combien décisive.
Au secrétariat du CC, deux
nominations: celles de N.
Ryjkov, vice-président du Gosplan depuis 1979, plus
technocrate que politique (Pravda, 22.11.1982), et de G.
V.
Romanov, déjà membre
du Politburo et responsable du Parti de Leningrad (Pravda, 17.6.1983).
Âgés
respectivement de cinquante-trois et soixante ans, ces deux hommes contribuent à
un certain rajeunissement du secrétariat.
Ainsi l'appareil dirigeant du Parti,
réticent à ouvrir ses portes à de nouveaux venus, à modifier radicalement sa
composition, assure-t-il progressivement la montée de trois responsables
relativement jeunes - Gorbatchev, Aliev et Romanov ont entre cinquante et
soixante ans - préparant ainsi une probable relève.
Dans le même temps qu'au premier plan s'imposent ces hommes, tous installés au
demeurant de longue date dans l'appareil, des ministères et des régions changent
de main.
L'âge, la maladie, la disgrâce parfois, aident à opérer sur le terrain
des changements de personnel et un relatif rajeunissement.
De ces mouvements de
personnes qui font de 1983 une année différente des longues années de stabilité,
on ne peut cependant conclure à un vrai ébranlement de la scène politique
soviétique.
La résistance de ses pairs sans doute, et le temps trop bref où il
est en état d'agir ont limité les efforts d'Andropov pour installer ses hommes.
Le bilan de l'année Andropov
Qu'Andropov n'ait pas eu le temps de construire sa propre équipe, que son
pouvoir se soit essoufflé dans cette entreprise dès l'été 1983, cela est clair.
Mais aussi il a consacré ses efforts à d'autres tâches où le bilan est loin
d'être négligeable.
Des raisons qui ont conduit les collègues d'Andropov....
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