URSS (1985-1986): Prudence Au printemps 1985, les débuts de Mikhaïl Gorbatchev à la tête de l'Union soviétique avaient pris l'aspect...
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URSS (1985-1986): Prudence
Au printemps 1985, les débuts de Mikhaïl Gorbatchev à la tête de l'Union
soviétique avaient pris l'aspect d'une véritable marche triomphale, ce que l'on
n'avait pas vu depuis bien longtemps dans l'histoire du communisme soviétique.
Épuisé par une longue lutte défensive contre ses adversaires réformateurs, le
groupe dirigeant brejnévien, ou plutôt ce qu'il en restait à la mort de
Constantin Tchernenko, était incapable d'offrir une véritable résistance au
nouveau secrétaire général.
Aussi, le rythme accéléré des changements de
personnel intervenus entre avril 1985 et le XXVIIe Congrès du Parti communiste
soviétique en février 1986 a-t-il pu impressionner les observateurs et donner de
l'URSS l'image d'un pays en pleine effervescence.
Toutefois, dans de nombreux domaines, et de manière quasi simultanée, des
difficultés ont été enregistrées dès l'été 1985.
Au-delà de la mise à l'écart de
telle ou telle personnalité du passé, les problèmes de fond du développement de
l'Union soviétique demeurent tout aussi aigus.
La politique étrangère n'est pas
moins délicate à manoeuvrer, et le poids de l'héritage y apparaît plus lourd que
prévu.
Enfin, des clivages ont déjà fait leur apparition au sein même du nouveau
personnel politique.
Ceci explique assurément l'impression de retombée de la dynamique qu'a donnée
l'Union soviétique au lendemain du XXVIIe Congrès, qui s'est révélé nettement
moins spectaculaire que prévu.
De même, si la tenue du sommet Reagan-Gorbatchev
en novembre 1985 a symboliquement marqué le retour au dialogue
soviéto-américain, aucune percée significative n'a pu être enregistrée sur le
front diplomatique depuis lors, les questions les plus aiguës ayant été
renvoyées au sommet suivant.
C'est dans ce contexte un peu maussade qu'est survenue en mai 1986 la
catastrophe de Tchernobyl.
Au-delà des conséquences à long terme, qui concernent
toute la politique énergétique de l'Union soviétique, et même du COMECON,
Tchernobyl a aussi provoqué de vifs remous politiques, qui expliquent en partie
le silence persistant observé par le secrétaire général pendant les vingt et un
jours qui ont suivi l'explosion.
S'il était encore tôt à l'été 1986 pour
entrevoir les conséquences de cette crise sur la politique intérieure du pays,
il apparaissait d'ores et déjà que cette première grave épreuve avait mis à mal
la solidarité du groupe dirigeant et posé à tous les Soviétiques des problèmes
fondamentaux pour leur avenir, tant sur le plan économique et sanitaire que sur
celui de leur accès à l'information.
Il apparaissait que Gorbatchev avait déjà
mangé son pain blanc dans tous les domaines, et qu'il lui faudrait trancher dans
le vif plus qu'il ne l'avait fait jusqu'alors, au risque de retomber, faute de
cela, dans les hésitations du passé brejnévien.
La nouvelle équipe de Gorbatchev
Les premiers mois de la nouvelle équipe au pouvoir ont largement été consacrés à
l'apurement des comptes du passé.
On a assisté successivement à l'élimination
complète du seul rival important de Gorbatchev, Grigory Romanov (juin 1985), à
l'entrée au Supersecrétariat (qui réunit les membres du Secrétariat siégeant au
Bureau politique) de trois nouveaux responsables: Igor Ligachev et Nikolaï
Ryjkov (mai 1985), et Lev Zaïkov (février 1986).
Au niveau gouvernemental, le
Premier ministre Nikolaï Tikhonov a été remplacé par Ryjkov (octobre 1985) ; le
patron inamovible du Gosplan, Nikolaï Baïbakov, a cédé la place à un spécialiste
des hautes technologies, Nikolaï Talyzine, qui est entré comme suppléant au
Politburo ; les secrétaires de Moscou, Victor Grichine et son ami Vladimir
Promyslov, maire de la capitale, ont été destitués pour corruption et plusieurs
vieux secrétaires du Comité central (dont Boris Ponomarev) ont été mis à la
retraite.
La plupart des ministères clefs ont changé de main, notamment les
Finances, l'Agriculture, le Commerce extérieur et l'Industrie d'armement.
Une
purge vigoureuse a été menée dans la plupart des Républiques d'Asie centrale.
Enfin, deux grandes figures militaires très âgées, le grand amiral Sergeï
Gortchkov, commandant en chef de la marine et le chef de la direction politique
de l'armée, Alexeï Iepichev ont été mises à la retraite.
Tous ces mouvements de personnel étaient, d'une certaine manière, attendus.
Dès
l'automne 1984, Gorbatchev n'avait pas hésité à se désolidariser, notamment dans
le domaine agricole dont il avait encore la charge, de la politique suivie par
Tchernenko.
Ce qui a davantage surpris les observateurs, compte tenu de la bonne
entente supposée avoir existé entre Youri Andropov et Mikhaïl Gorbatchev, c'est
l'extension de ces bouleversements à certains proches de l'ancien chef du KGB.
La "Révolution des places" ne s'est donc pas opérée au détriment d'un seul des
camps en présence: ainsi, un très proche collaborateur d'Andropov, Vassili
Fëdortchouk, s'est vu retirer le ministère de l'Intérieur à la veille du
Congrès, au profit d'un collègue provincial de Gorbatchev, Alexandre Vlassov.
Il
n'est pas jusqu'au nouveau ministre des Affaires étrangères, Edouard
Chevarnadze, ancien responsable du KGB en Géorgie, qui n'ait vu nombre de ses
amis locaux épurés pour cause de corruption, et pour finir, n'ait dû encaisser
la nomination d'un très influent et très compétent coadjuteur, l'ancien
ambassadeur aux États-Unis, Anatoli Dobrynine.
Celui-ci a été placé par
Gorbatchev à la tête d'un nouveau secrétariat aux relations internationales,
nettement élargi dans sa compétence.
Il faut enfin noter que le nom d'Andropov,
pas plus que ceux des autres secrétaires généraux décédés, n'a été mentionné au
cours du XXVIIe Congrès: le nouveau secrétaire général a eu le souci de se
dissocier assez clairement de tout parrainage et de définir lui-même les axes de
sa nouvelle politique.
Diplomatie, défense: le poids de l'héritage
C'est dans les domaines de la diplomatie et de la défense que la volonté de
Gorbatchev de voler de ses propres ailes est la plus manifeste.
Andropov avait
déjà considérablement innové en la matière, en prônant ouvertement l'entrée en
lice de nouveaux interlocuteurs, essentiellement l'Europe et la Chine, qui,
selon lui, pourraient pallier en partie la détérioration des relations
soviéto-américaines, qu'il estimait devoir être durable.
Dès sa mort, de
puissants courants institutionnels avaient contesté ces nouvelles orientations
et, épaulés par les victimes putatives de la nouvelle diplomatie (Tchèques,
Bulgares, Vietnamiens), ils étaient parvenus en grande partie à les paralyser au
cours de l'année 1984.
Andreï Gromyko avait été le principal artisan de cet
enterrement des ouvertures andropoviennes tant vis-à-vis des Allemands que de la
Chine.
Si Gorbatchev, en élevant Gromyko - qui n'est autre que l'oncle de son épouse à la dignité de chef de l'État (juin 1985), est parvenu à se débarrasser d'un
mentor par trop autoritaire dans la conduite de la politique extérieure, il n'en
a pas moins conservé l'attitude prudemment réservée qui avait été celle du chef
de la diplomatie: à Berlin-Est, en avril 1986, il a multiplié les attentions à
l'égard d'Erich Honecker et les éloges envers l'esprit laborieux et discipliné
des citoyens de la RDA.
Mais il n'a pas pour autant autorisé le dirigeant
est-allemand à se rendre en RFA.
De même, les ouvertures envers la Chine ont été
beaucoup plus prudentes que sous Andropov, et sur plusieurs théâtres (Vietnam,
Corée du Nord, Pakistan), les Soviétiques se sont fort peu souciés de ménager
Pékin, à la différence de ce qui s'était esquissé trois ans auparavant.
En revanche, dans la continuité de la diplomatie de Gromyko, les rapports
soviéto-américains ont été l'objet d'un soin constant.
Dans un interview à Time
Magazine en septembre 1985, le secrétaire général n'a pas hésité à invoquer Dieu
lui-même pour souhaiter le retour à la détente entre les deux grandes nations,
et après avoir tempêté pour que le sommet de Genève, en novembre, parvienne à un
début de solution de la controverse sur la militarisation de l'espace, il a fini
par se résigner à ce que les principaux problèmes soient renvoyés au sommet
suivant, peut-être à l'automne 1986.
Si les points les plus controversés des relations soviéto-américaines n'ont pas
encore été résolus, loin s'en faut, la dégradation des rapports a en tout cas
été enrayée, certains échanges économiques et culturels ont repris, et
l'ouverture réciproque de consulats en province a fait l'objet d'un accord.
Néanmoins, en dépit de l'évidente bonne volonté des Soviétiques qui misent, à
n'en pas douter, sur un démantèlement progressif de la stratégie reaganienne, la
partie américaine n'a pas facilité la tâche du nouveau secrétaire général et a
clairement indiqué les limites d'un rapprochement éventuel.
Face à ces manoeuvres en recul, qui ne ferment pas pour autant la porte à un
compromis, la diplomatie soviétique, conduite par Dobrynine, a davantage cherché
à renforcer sa crédibilité dans l'opinion publique américaine qu'à isoler les
États-Unis par des mouvements en direction d'autres partenaires possibles.
Par rapport aux déclarations nettement pro-européennes de ses débuts, Gorbatchev
a incontestablement déçu.
Son voyage en France a certes été un succès de
relations publiques, mais sa proposition d'ouvrir des négociations bilatérales
sur les armes nucléaires françaises est apparue comme maladroite, compte tenu
des positions traditionnelles de la France dans ce domaine.
La diplomatie
soviétique s'est aussi efforcée de développer ses rapports avec l'Italie,
l'Espagne et s'est engagée dans une reconnaissance officielle de la CEE.
Mais
toutes ce initiatives, encore timides, se heurtent au problème allemand,
vis-à-vis duquel la plus grande circonspection demeure de mise à Moscou, depuis
l'été 1984.
Dans ces conditions, la carte européenne a été jouée avec trop peu
de....
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