Veuillez commenter l'arrêt suivant rendu par la Cour d'appel de Caen le 20 novembre 2001 L'article 1384 du Code civil...
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Veuillez commenter l'arrêt suivant
rendu par la Cour d'appel de Caen
le 20 novembre 2001
L'article 1384 du Code civil dispose
qu'on est responsable du dommage qui
est causé par son propre fait ou par le fait
des choses que l'on a sous sa garde;
Il appartient, dès lors, à Mme Leclair
de démontrer que la maladie dont elle est
atteinte a été générée, en tout ou partie,
par l'amiante dont la société Valéo était
la gardienne ;
Il ressort des rapports d'expertise (...)
que Mme Leclair présente une asbestose
pulmonaire avec plaques pleurales dissé
minées et insuffisance respiratoire qui est
en rapport exclusif avec une exposition à
l'amiante et que le délai d'évolution de la
maladie est normal et compatible avec
une exposition à l'amiante remontant à
1961 (...),
Or, selon les experts dont les conclu
sions argumentées doivent être entérinées
par la cour sur ce point, cette exposition
ne peut être liée à la vie professionnelle
de Mme Leclair, laquelle a essentielle
ment travaillé dans des usines de caout
chouc (...) sans contact avec l'amiante
puis dans un bureau,
...
( )
Il apparaît ainsi, après élimination des
autres causes possibles de contamination
par l'amiante, que seule l'exposition
domestique et paraprofessionnelle géné
rée par les conditions de travail du mari
de la demanderesse, qui a œuvré pour la
société Valéo entre 1961 et 1986, peut
être à l'origine de la maladie de
Mme Leclair.
1
Les indices sont à cet égard suffisam
ment sérieux et concordants pour empor
ter la conviction de la cour et constituer la
preuve exigée par l'article 1384 du Code
civil;
La société Valéo soutient pourtant que
la survenance de l'asbestose suppose une
exposition massive et durable aux pous
sières d'amiante, ce qui ne pourrait être le
cas de Mme Leclair du seul fait du net
toyage des vêtements de son mari.
Il est vrai que dans le rapport
d'enquête INSERM de juin 1996, il est
indiqué en page 20 que « on admet que
l'asbestose est associée à des niveaux
particulièrement élevés d'exposition »
mais, compte tenu des difficultés d'éva
luation des expositions individuelles à
l'amiante et en l'état des connaissances,
le même rapport affirme en pages 28 et
29 qu'il faut tenir compte dans la surve
nance des maladies de l'amiante à la fois
du niveau d'exposition dans une situation
donnée et du temps passé dans cette
exposition, donc du niveau cumulé au
cours des années;
...
( )
C'est donc à juste titre que dans le cas
d'espèce, les experts judiciaires ont
estimé que le mode d'exposition par le
nettoyage régulier des vêtements et le
contact quotidien avec un travailleur de
l'amiante pendant la période 1961-1977
suffisait à expliquer l'apparition de
l'asbestose dont souffre Mme Leclair.
Le lien de causalité entre l'amiante
produite par la société Valéo et le préju
dice de Mme Leclair étant établi, seule la
preuve d'un transfert de la garde (ou
d'une cause étrangère) peut permettre au
gardien de dégager sa responsabilité.
Or à cet égard, la société Valéo ne
peut sérieusement prétendre avoir trans
féré les attributs de la garde de l'amiante
à Monsieur Leclair chaque fois que celui
ci quittait 1 'usine pour regagner son
domicile et rejoindre sa famille.
La nature même de la chose domma
geable, à l'état de poussières volatiles et
microscopiques, provenant d'une
substance dangereuse pour la santé de
l'homme, ne permettait pas aux ouvriers,
et ceci est particulièrement vrai pour la
période antérieure à 1978 (pendant
laquelle ils rapportaient chez eux leurs
vêtements de travail pour procéder à leur
nettoyage) de disposer sur elle d'un pou
voir de contrôle et de direction.
En d'autres termes, les intéressés ne
pouvaient, quand bien même ils auraient
soigneusement brossé leurs vêtements, se
débarrasser entièrement des poussières
d'amiante qui s'y trouvaient et, à plus
forte raison, de celles qui étaient sur leur
peau et leurs cheveux.
C'est donc bien l'absence d'exercice
par la société Valéo de son pouvoir de
contrôle sur la matière dangereuse pro
duite par son activité qui est à l'origine de
la diffusion des poussières hors de l'usine
par l'intermédiaire de ses préposés et au
delà, de l'inhalation de celles-ci par les
tiers.
Corrigé
Cet arrêt conduit à se poser la question des modalités d'application de la
responsabilité du fait des choses dans des hypothèses « atypiques », ici en
présence de fibres d'amiante.
En l'espèce, l'épouse d'un ancien salarié de la société Valéo, a été atteinte
d'une maladie pulmonaire (l'asbestose) dont il est établi qu'elle est en rap
port exclusif avec une exposition à l'amiante.
Elle prétendit obtenir répara
tion du préjudice résultant de sa maladie en engageant la responsabilité de la
société sur le fondement de la garde de l'amiante.
Alors qu'un contentieux
important s'est développé sur ce thème en droit du travail, l'une des origina
lités de cet arrêt réside dans le fait que la demanderesse n'était pas et n'avait
jamais été salariée de la société dont elle entendait rechercher la responsabi
lité.
Le seul contact entre cette personne et la société avait eu lieu par l'inter
médiaire de son mari, salarié ayant travaillé pour Valéo de 1961 à 1986, qui
avait rapporté à son domicile des particules d'amiante.
On sait que pour ce
qui concerne les salariés exposés à l'amiante dans le cadre de leur activité
professionnelle, la Chambre sociale de la Cour de cassation a, par ses arrêts
du 28 février 2002 (Cass.
soc.
28 février 2002 : JCP 2002.11.
1 0053, concl.
A
Benmakhlouf), opéré un spectaculaire revirement de jurisprudence.
Elle a
retenu que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat,
notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par
le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; le man-
quement à cette obligation a le caractère de faute inexcusable, au sens de
l'article L.
452- I C.
Sée.
soc., ce qui permettra au salarié victime ou à ses
ayants droit, d'obtenir un complément d'indemnisation ou une indemnisation
intégrale du préjudice subi.
La spécificité de l'amiante a, par ailleurs, conduit le législateur à créer un
fonds spécial destiné à indemniser les victimes de l'amiante : le FIVA.
S'il est vrai que l'actualité conduit à conférer à l'amiante une place particu
lière parmi les sources de maladies professionnelles, la solution retenue par
la Cour d'appel de Caen dépasse très largement ce seul contexte.
C'est par
le recours à l'article 1384 al.
I er du Code civil que la responsabilité de la
société est retenue du fait des fibres d'amiante dont elle a la garde.
Suivant le
raisonnement retenu par la Cour d'appel de Caen, on envisagera la détermi
nation du lien de causalité avant d'étudier la garde de l'amiante ; sous ces
deux aspects, la décision mérite d'être approuvée.
1.
LA CAUSALITÉ
C'est sur le terrain de la causalité que la Cour s'est tout d'abord placée
afin d'envisager l'affaire qui lui était soumise, en relevant que c'est à la
demanderesse d'établir que la maladie dont elle était atteinte avait « été
générée », en tout ou partie, par le fait de l'amiante dont la société avait la
garde.
À l'incertitude sur la causalité, la Cour répond en accueillant une
preuve négative de celle-ci.
1
A.
Les difficultés dans l'établissement de la causalité
L'établissement du lien de causalité est source de bien des difficultés et
peut être perçu comme l'une des limites à l'efficacité des mécanismes de la
responsabilité civile.
En l'espèce, la société Valée contestait qu'il puisse y avoir une quelconque
causalité entre le fait de la chose, les fibres d'amiante qu'elle utilisait, et la
maladie de la demanderesse.
La contestation de la société sur ce point reposait sur le fait que la mala
die en cause ne pouvait résulter que d'une « exposition massive et durable
aux poussières d'amiante ».
Cet argument, qui visait à exploiter les incerti
tudes scientifiques sur la maladie afin d'établir une incertitude sur le rapport
causal, n'est pas accueilli.
II faut souligner la fragilité de l'argumentation développée par la demande
resse dans la mesure où, effectivement, il peut y avoir un paradoxe à invoquer
une exposition indirecte et - on peut le penser - faible quoique répétée là où,
précisément, c'est une exposition massive qui est généralement retenue
comme de nature à entraîner le développement de la maladie.
L'argument aurait pu être décisif si la victime s'était trouvée exposée à
l'amiante dans un autre cadre sans qu'il soit possible de regarder l'exposition
« domestique » comme déterminante.
Si plusieurs causes de contamination
avaient été observées, il aurait été envisageable que par application de la eausalité adéquate, la contamination domestique soit évincée.
Cela aurait
d'autant plus été envisageable que, précisément, l'exposition domestique
apparaissait atypique par rapport à la maladie.
Pour autant, divers éléments conduisaient à la solution retenue.
En pre
mier lieu, on peut évoquer la faveur grandissante pour l'équivalence des
conditions dont l'application pouvait justifier la mise en cause de la responsa
bilité de l'employeur du mari.
En second lieu, et surtout, en l'absence de
toute exposition alternative, il n'y avait pas de choix : la Cour d'appel était
tenue de se livrer à une analyse qui lui permette, éventuellement, de retenir
la responsabilité de la société Valée.
En l'absence de toute autre source
d'exposition, même la théorie de la causalité adéquate conduisait à la solu
tion retenue: si une exposition « domestique» n'était pas survenue, le dom
mage n'aurait pas eu lieu.
B.
L'accueil de la preuve négative de la causalité
Si la preuve du lien de causalité doit être rapportée par la victime, la juris
prudence accueille favorablement des éléments permettant d'établir des pré
somptions graves, précises et concordantes (art.
1353 C.
civ.) dont l'appré
ciation relève de la compétence souveraine des juges du fond.
Mais allant
plus loin, il est possible, comme en l'espèce, de retenir l'établissement du
lien de causalité par l'impossibilité de trouver une autre cause que celle invo
°
quée (Civ.
2, 13 octobre 1971 : Bu//.
dv.
11, n 274, p.
198).
C'est alors d'une
preuve....
»
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