Veuillez commenter l'arrêt suivant rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 26 juin 2002 :...
Extrait du document
«
Veuillez commenter l'arrêt suivant
rendu par la troisième Chambre civile
de la Cour de cassation le 26 juin 2002 :
Sur le premier moyen :
• Attendu, selon l'arrêt attaqué
(Rennes, 19 novembre 1999), que les
époux Jacob ont fait construire une mai
son dont la réception a eu lieu en 1980,
M.
Le Guevel étant chargé des travaux de
charpente dont les bois ont été fournis par
la société Pinault Ouest ; que des
désordres ayant été constatés dans la
charpente attaquée par les capricornes, les
époux Jacob ont, après expertise, en
1995, demandé réparation de leur préju
dice à M.
Le Guevel et à la société
Pinault Ouest que ce dernier avait appelée
en garantie ;
• Attendu que les époux Jacob font
grief à l'arrêt de rejeter leur demande for
mée contre M.
Le Guevel, alors, selon le
moyen, que commet une faute précon
tractuelle constitutive de dol le contrac
tant qui ne révèle pas un fait qu'il aurait
da connaître ou vérifier en sa qualité de
professionnel ; qu'il s'ensuit qu'en pré
sence des conclusions des époux Jacob
faisant valoir qu'« en sa qualité de char
pentier professionnel du bâtiment »,
M.
Le Guevel « aurait da vérifier l'exis
tence du traitement » et qu'il « ne pouvait
ignorer que la charpente n'avait pas été
traitée » car « la nature des produits de
traitement utilisés par Pinault France est
telle qu'ils dégagent par essence une
odeur caractéristique, dont l'absence ne
pouvait échapper à M.
Le Guevel en sa
qualité de technicien hautement spécia
lisé », la cour d'appel ne pouvait subor
donner l'existence du dol à la preuve de
la mauvaise foi de l'entrepreneur ou
d'une dissimulation volontaire de sa part
sans violer les articles 1116 et 1382 du
Code civil;
• Mais attendu qu'ayant relevé, par
motifs propres et adoptés, que la com
mande adressée par M.
Le Guevel à la
société Pinault Ouest comme la facture
établie le 17 septembre 1979 par cette
société décrivaient les bois de charpente
mis en œuvre comme ayant reçu un trai
tement de protection contre les insectes,
qu'il ne pouvait être reproché à M.
Le
Guevel, qui avait payé le prix correspon
dant à ce produit, de n'avoir pas vérifié la
réalité de ce traitement alors qu'il n'y
était obligé ni par son contrat ni par les
usages et que son propre fournisseur le
lui avait certifié dans la facture qu'il lui
avait remise et qu'il ne pouvait être
déduit du seul fait que les bois traités
dégagent le plus souvent une odeur carac
téristique que M.
Le Guevel avait eu
connaissance d'un défaut de traitement, la
cour d'appel a pu retenir que le dol
imputé à ce dernier n'était pas constitué;
• D'où il suit que le moyen n'est pas
fondé;
Sur le second moyen :
• Attendu que les époux font grief à
l'arrêt de déclarer irrecevable comme
prescrite leur action contre la société
Pinault Ouest, alors, selon le moyen :
1° que le point de départ de la pres
cription de l'action en responsabilité
pour défaut de conformité est le moment
de la découverte du vice ; qu'en prenant
pour point de départ la livraison des
matériaux à l'entrepreneur par le four
nisseur, la cour d'appel a violé les
articles 1147 du Code civil et 189 bis du
Code de commerce ;
2° qu'une partie ne pouvant agir en
garantie avant d'avoir été elle-même
assignée, la prescription de son action ne
peut commencer à courir avant cette assi
gnation ; que la cour d'appel ne pouvait
situer à la date de la livraison des maté
riaux le point de départ de la prescription
de l'action de l'entrepreneur contre son
fournisseur, exercée par les époux Jacob
à qui elle avait été transmise, sans violer
les articles 1147 du Code civil et 189 bis
du Code de commerce ;
• Mais attendu qu'ayant relevé qu'elle
était saisie par les époux Jacob de l'action
contractuelle directe pour non-conformité
à la commande dont ces maîtres de
l'ouvrage disposaient contre la société
Pinault Ouest, fondée sur la non-confor
mité des matériaux que ce fabricant avait
fournis à M.
Le Guevel qui avait exécuté
les travaux, la cour d'appel en a juste
ment déduit que le délai de prescription
de dix ans applicable entre commerçants
ou commerçants et non-commerçants
était opposable aux époux Jacob et que ce
délai avait commencé à courir à compter
de la livraison des matériaux à I'entrepre
neur;
• D'où il suit que le moyen n'est pas
fondé;
• Par ces motifs : rejette le pourvoi.
Corrigé
Le principal intérêt de l'arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la
Cour de cassation le 26 juin 2002 est de préciser le point de départ de
l'action en responsabilité pour défaut de conformité.
Les faits sont classiques.
Deux époux (les maîtres de l'ouvrage) ont fait
construire une maison dont la réception a eu lieu en 1980.
Les maîtres de
l'ouvrage ont chargé un entrepreneur des travaux de charpente.
Pour mener
à bien ce travail, l'entrepreneur se procure le bois nécessaire auprès d'un
fournisseur.
Quinze ans après la fin des travaux, la charpente est attaquée
par les capricornes.
II s'avère que le bois n'a pas été traité contre ces
insectes xylophages.
Après expertise, les maîtres de l'ouvrage demandent
réparation à l'entrepreneur et au fournisseur.
Les maîtres de l'ouvrage font grief à l'arrêt d'appel de rejeter leur
demande formée à la fois contre l'entrepreneur (premier moyen) et le four
nisseur (second moyen).
Le premier moyen du pourvoi estime que l'entrepreneur a commis une
faute précontractuelle constitutive d'un dol en ne relevant pas un fait qu'il
aurait dû connaître ou vérifier en sa qualité de professionnel.
Dol que les
juges du second degré ne pouvaient pas subordonner à la preuve de la mau
vaise foi de l'entrepreneur ou à une dissimulation volontaire de sa part sans
violer les articles 1116 et 1382 C.
civ.
Le second moyen fait grief à l'arrêt d'appel d'avoir déclaré que l'action des
maîtres de l'ouvrage contre le fournisseur est prescrite.
Les demandeurs au
pourvoi estiment que le point de départ de l'action en responsabilité pour
défaut de conformité est le moment de la découverte du vice et non la livrai
son des matériaux à l'entrepreneur.
Deux questions, d'intérêt inégal, sont ainsi posées à la Cour de cassation.
La première question est de savoir si l'entrepreneur qui ne relève pas un
fait qu'il aurait dû connaître (obligation de renseignement) commet une faute
précontractuelle constitutive de dol.
L'importance de cette question est cer
taine.
En cas de faute dolosive, le point de départ de l'action délictuelle est
reporté du jour de la réception (art.
2270) au jour « de la manifestation du
dommage ou de son aggravation» (art.
2270-1 ).
La seconde question concerne le point de départ du délai de prescription
de l'action du maître de l'ouvrage contre le fournisseur : découverte du vice
par le maître de l'ouvrage ou livraison des matériaux à l'entrepreneur.
Si,
dans le premier cas, le maître de l'ouvrage conserve ses chances d'être
indemnisé, dans le second, cette possibilité disparaît car son action décen
nale est prescrite avant même de pouvoir être exercée !
Dans deux attendus particulièrement nets, la Haute juridiction rejette le
pourvoi.
La solution est assez classique et fondée en droit.
Elle atteste pourtant
d'une certaine rigueur : en dépit du préjudice subi, les maîtres de l'ouvrage
ne sont pas indemnisés.
L'arrêt présente deux intérêts.
Il rappelle, tout d'abord, les contours de
l'action du maître de l'ouvrage contre l'entrepreneur.
li présente, ensuite, un
grand intérêt en ce qu'il précise le point de départ de l'action du maître de
l'ouvrage contre le fournisseur.
En suivant la progression adoptée par la décision, on abordera, en pre
mier lieu, l'action du maître de l'ouvrage contre l'entrepreneur (1) ; en
second lieu, celle du maître de l'ouvrage contre le fournisseur (11).
1.
ACTION DU MAITRE DE L'OUVRAGE
CONTRE L'ENTREPRENEUR
En ce qui concerne le recours du maître de l'ouvrage contre l'entrepre
neur, l'arrêt apporte deux précisions.
La première concerne le contenu de
l'obligation de renseignement (A), la seconde intéresse sa sanction (B).
A.
Contenu de l'obligation de renseignement
Le domaine de l'obligation de renseignement se trouve nécessairement
limité par le devoir de se renseigner.
Tel est le principal enseignement qui
résulte de l'arrêt relativement au contenu de l'obligation de renseignement.
La Haute juridiction pose qu'il ne pouvait être reproché à l'entrepreneur de
« n'avoir pas vérifié la réalité » du traitement « alors qu'il n'y était obligé ni
par son contrat ni par les usages (...) et qu'il ne pouvait être déduit du seul
fait que les bois traités dégagent le plus souvent une odeur caractéristique».
Cet attendu énonce un principe : l'entrepreneur n'avait pas à se renseigner
sur la réalité du traitement ( 1 °) ; il réserve aussitôt le jeu de plusieurs tem
°
péraments (2 ).
O
I ) Principe
L'arrêt affirme nettement que l'entrepreneur n'avait pas à vérifier la réa
lité du traitement insecticide.
Cette affirmation peut surprendre.
La doctrine
a attiré l'attention sur le devoir de se renseigner.
Par exemple, il résulte de ce
devoir qu'un professionnel n'a pas à présenter les solutions ou les produits
de ses concurrents : cette comparaison incombe seulement au client.
Surtout, à propos de la garantie des vices cachés, hypothèse qui semble être
celle de l'arrêt, il est traditionnellement enseigné depuis Pothier, et jugé, que
l'acheteur est tenu à certaines diligences.
Il lui incombe, par exemple, de
vérifier les marchandises, c'est-à-dire, notamment, de déballer les objets ou
de mettre en marche les appareils.
Tout vice décelable à cet examen som
maire n'est pas caché, même si l'acheteur ne l'a pas vu.
À l'inverse, le vice
indécelable lors d'une telle vérification est un vice caché au sens de
l'article 1642 C.
civ.
À cela, il faut ajouter que si l'acheteur est un profession
nel de la même spécialité, la jurisprudence décide qu'il est censé connaître le
vice, sauf si le vice était indécelable.
Si l'on compare ces principes aux faits de l'espèce, la solution adoptée par
l'arrêt peut surprendre.
En effet, on peut tout d'abord se demander si le vice
n'était pas décelable lorsque l'entrepreneur a acquis le bois qui a servi à édi
fier la charpente.
L'absence de traitement ne résultait-il pas, comme
l'observe le pourvoi, de l'absence d'odeur caractéristique ? La Cour de cas
sation balaye pourtant l'argument.
Ensuite, l'entrepreneur est un profession
nel de même spécialité.
L'entrepreneur est un charpentier qui contracte
avec un vendeur....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓